Les ennemis de mes ennemis sont mes amis ? par Dim 15 Avr - 14:13
On ne le défiait pas impunément. Quiconque le tentait en subissait les conséquences. Sa propre chair ne réchappait pas à cette règle.
Pourtant, le vampire leur avait échappé.
« Disposez. »
Un vague geste de la main, plus las qu’autoritaire, accompagna l’ordre que le messager s’empressa d’exécuter. Sûrement sentait-il l’aura menaçante du sorcier se diffuser lentement mais sûrement dans l’office.
Lorsque l’homme se trouva seul, il s’enfonça dans le dossier de sa chaise, et attrapa après un moment de réflexion un vélin vierge et une plume. Il prit un instant de réflexion, puis se mit à rédiger.
« Mon lord, en tant que garant de votre sécurité, permettez-moi d’insister. Laissez-moi vous constituer une escorte.
— Dites-moi, Finegal… Qu’est-ce que vous ne saisissez pas exactement dans le mot « non » ? »
Le chef de l’Addanc ouvrit des yeux ronds, surprit par la répartie du Haut-Sorcier.
« Mais, je…
— Non, Finegal. Je vous ai dis non. Il s’agit de rien de plus qu’une rencontre diplomatique dont la teneur ne vous concerne en rien. Faites-moi le plaisir d’obéir aveuglément.
— L’obéissance aveugle n’est pas le rôle que vous m’avez confié en me nominant à ce poste, mon lord.
— Mais pour l’heure, c’est tout ce que je vous demande. »
Devin était sûr qu’en plus de l’appel du devoir, Finegal avait été harcelé par les membres du Conseil Restreint qui tremblaient à l’idée que leur tête pensante ait assez d’assurance pour partir seul vers l’Écosse, avec pour destination finale un château où séjournait le roi vampire en personne. Néanmoins, le dédain avec lequel le sorcier repoussait une protection avancée n’était pas tant la manifestation d’un orgueil démesuré que d’une froide rationalité. Lord Bower savait qui représentait un danger. Comme il savait qui n’avait aucun intérêt à sa disparition. Or, Ewald faisait partie de la dernière catégorie.
Une heure après cette négociation infertile, Devin, affublé d’une cape de voyage bien trop ouvragée pour ne pas trahir son importance, attrapa une dague recouverte de feuilles d’or. Une poignée de secondes plus tard, le portoloin se mit à luire et à vibrer. Puis, dans un son semblable à un claquement de fouet, Devin Bower disparut.
Le ciel était profondément sombre, pour cette heure de la soirée. La nuit était tombée depuis une demi-heure seulement, mais de lourds nuages cachaient les dernières lueurs du jour comme l’éclat timide des premières étoiles. L’obscurité tombait ainsi comme une chape sur la tente provisoirement dressée sur la plaine, à quelques minutes de marche du château d’Orkney. Celui-ci ne dégageait aucune lumière, si bien qu’on ne devinait de l’édifice que l’ombre massive tranchant l’horizon.
Soudain, un craquement retentit à l’intérieur de la tente. Le vampire qui attendait, semblable à un jeune homme aux cheveux de jai, se leva quand la silhouette du Haut-Sorcier d’Irlande apparut subitement, le poing fermement serré sur le portoloin. Un sourire se devina dans ses yeux lorsqu’il remarqua que le chef de la jeune Fédération était venu seul. Assurément, les deux chefs avaient en commun leur absolue confiance en eux-mêmes.
« Bienvenue en Écosse, Lord Bower. » s’entendit saluer Devin, dans un anglais certes parfait, mais à l’accent indéfini.
Le sorcier se tourna vers le vampire qui le salua en retour d’une inclinaison du buste. Il avait un visage remarquablement fin sur lequel étaient incrustés deux yeux incroyablement clairs. Il dégageait quelque chose de magnétique, mais d’aussi profondément inhumain. Aucune émotion particulière ne semblait le traverser. Devin masqua sa répulsion derrière un bref salut de la tête.
« Le château n’est qu’à quelques minutes de marche. Ewald vous y attend. »
La politesse n’était pas se qui semblait étouffer ce vampire, mais au moins cela permettait-il à Bower de ne pas s’embarrasser de ronds de jambes avec cette créature dont il ne connaissait pas l’importance. Aussi signifia-t-il d’un simple mouvement de menton qu’il était prêt. Les deux hommes s’extirpèrent de la tente pour prendre la direction du château pluricentenaire.
Sur le chemin, le vampire se décida à se présenter sous le nom de Virgil. Il expliqua au sorcier qu’à l’instar de la FMI, l’autorité d’Ewald était renforcée par le soutien d’un conseil restreint, les Quatre. Devin, déjà renseigné sur ces détails, ne l’écouta que d’une oreille distraite, jusqu’à ce qu’ils parviennent enfin à l’intérieur du refuge vampirique. Là, Virgil le guida au travers de larges couloirs, pour s’arrêter finalement devant une porte.
« C’est ici que je vous laisse.
— Vous ne m’annoncez pas ? s’étonna lord Bower, haussant un sourcil presque agacé.
— Inutile. » sourit le vampire en retour.
Il lui tourna le dos et s’évapora dans l’ombre d’un couloir, laissant le sorcier seul, le profil éclairé par un unique flambeau sculpté à même le mur, près de la porte.
Pour aussi peu impressionnable était-il, Devin prit une inspiration. Il n’était pas habitué à des atmosphères aussi mortifères, lui qui avait coutume des grandes maisonnées richement décorées et éclairées.
Cette race suintait la mort. Balayant cette pensée parasite, le Haut-Sorcier ouvrit la porte et entra.
- Haut-Sorcier
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Re: Les ennemis de mes ennemis sont mes amis ? par Ven 20 Avr - 21:41
Le roi autoproclamé ne pouvait empêcher la culpabilité de le piquer de son dard glacé lorsqu’il songeait au petit blondinet. Malgré ce que l’on disait à son sujet Ewald n’était pas un tyran, il était parfois extrême dans ses méthodes, mais son but était toujours que ses sujets vivent aussi heureux que possible. C’est ainsi qu’il avait laissé agir ce jeune chiot selon son désir après avoir tué sa créatrice trop sauvage. A présent il s’en voulait de n’avoir rien fait pour corriger son caractère. Une chance lui avait été offerte lorsque Kenneth avait survécu à l’extermination du clan de Lester mais le petit blondinet avait tout bonnement disparu dans la nature quand lui et les siens avaient dû regagner leur repaire pour lécher leurs blessures. Au fond Ewald se demandait si cette chance avait été réelle ou s’il ne l’avait pas tout simplement imaginée. La culpabilité qu’il ressentait faussait son jugement, et comme on ne cessait de le lui répéter : Kenneth n’était plus maîtrisable, il fallait qu’il disparaisse, pour de bon cette fois. Cette missive irlandaise le confirmait.
« Envoyons-lui une invitation. » déclara le roi aux quatre vampires qui attendaient un signe de sa part.
Mais personne n’intervint. Tous savaient la nécessité d’agir, pas tant pour le lord humain que pour le bien de leur clan.
Le parchemin en velin si couteux s’échappa de la main d’Ewald et tomba sur la pierre dans une lente chute gracieuse que suivit le regard du vampire. Les dés étaient jetés.
Quelques nuits plus tard, le lord irlandais arrivait à l’heure et à l’endroit convenu. Le comité d’accueil était prêt à le recevoir. Virgil en première ligne, qui devait le conduire devant les cinq, installés comme il se doit dans ce qui tenait lieu de salle du trône. Cinq sièges imposants étaient disposés en arc de cercle sur une estrade. Au milieu, le plus imposant de tous se dressait de toute sa masse brute. C’était le siège d’Ewald, son trône, qui se démarquait des autres autant par sa taille que par sa sobriété. Car les quatre autres avaient des sièges aussi fastueux et lourds de décoration que celui du roi était simple : ni sculpture, ni peinture, ni drapé, pas même un simple coussin ou rembourrage pour rendre l’assise plus confortable. Il était à l’image de son occupant : sans faux semblant, d’une franchise naturelle, et sauvage.
L’humain avait été repéré de loin. Il est compliqué de s’introduire dans l’antre d’un clan aux sens surdéveloppés sans que la présence étrangère ne soit détectée rapidement. Et les humains étaient à la fois si lents et si bruyants, comment ne pas les percevoir à une lieue à la ronde ? En conséquence, la plupart des vampires avaient fait place nette et s’étaient retirés. Ils n’avaient pas envie de fréquenter l’humain, chacun ayant ses raisons. Ewald ne les en avait pas dissuadé, il n’avait pas plus le désir qu’eux de fréquenter les humains et ne le faisait que par nécessité, d’autre part, il préférait que le lord humain en sache le moins possible sur le clan.
Quand l’invité passa la porte, les cinq vampires étaient à leur place. Ewald trônait de toute sa majesté, fidèle à ses habitudes il était aussi altier qu’austère. Nul faste chez lui, aucun luxe, aucun éclat : une mise simple avec des habits plus pratiques qu’imposants. Il n’y avait pas non plus de couronne, ni le moindre bijou. Rien ne brillait sur sa personne hormis ses yeux bruns posés sur le visiteur. Ewald n’avait pas besoin d’accessoire pour se prétendre roi. Son statut de monarque était incontestable et la déférence des autres vampires remplaçait tout le décorum que l’on attendait dans l’antre d’un souverain.
« Bonjour, Lord Bower. » salua Ewald d’une voix grave teintée d’un léger accent nordique. « Soyez le bienvenu dans ma demeure. »
Tout dans sa personne imposait le respect. Sa façon de se tenir droit, sa manière de bouger en économisant ses mouvements, et ce petit je-ne-sais-quoi dans son attitude laissant penser que la force de ses paroles n’était pas la seule sur laquelle il se reposait. Sa hache n’était certes pas à sa ceinture mais Ewald n’en avait guère besoin en vérité pour dominer n’importe lequel des êtres présents dans le château, à plus forte raison face à un humain si faible.
Un fauteuil avait été disposé face aux cinq vampires. Il était manifestement destiné à leur invité. Moins imposant que ceux des vampires, il n’en était pas moins riche, faisant honneur aux origines de ce lieu qui fut, à une époque, la demeure d’un seigneur humain fortuné. Le reste de la salle en témoignait tout autant, décorée de tapisseries vieilles de plusieurs siècles mais relativement bien entretenues, ainsi que les divers tableaux, lustres et autres dorures qui enluminaient les lieux.
Ewald désigna le fauteuil en face de lui.
« Si vous voulez vous asseoir » proposa-t-il sans vraiment s’en préoccuper, ni tenter d’ajouter un ton poli à son invitation. Si le visiteur voulait rester debout, grand bien lui fasse, le roi vampire n’en avait que faire.
Il ne fallait pas attendre de la part du souverain vampirique qu’il fasse montre de manières sophistiquées. Ewald avait gagné son droit de régner par la force des armes, et c’est en guerrier qu’il dirigeait son clan. Les bonnes manières, particulièrement humaines, lui importaient peu. C’est ainsi qu’il en vint directement au sujet qui les réunissaient, sans fioriture, rond de jambe ou chemin détourné.
« Dans votre message vous avez parlé de Kenneth et de problèmes qu’il poserait dans votre région, sans vous étendre cependant. Vous désirez notre aide, dites-moi pour quelle raison je devrais vous l’accorder. »
Son regard brun fixait l'humain sans ciller. Il cherchait à savoir de quel bois celui-ci était fait, jaugeant sa réaction face à lui ainsi qu'à ses paroles. Kenneth était certes un problème, une épine dans son pied, mais le roi n'avait pas l'intention de s'incliner devant un humain, pas même d'en donner l'impression. Ewald se déplacerait lui-même s'il le fallait, mais pas pour rien, ni pour un être insignifiant. Le lord humain allait devoir montrer qu'il en valait la peine.
Dernière édition par Ewald le Sam 19 Mai - 8:48, édité 1 fois
- Lamia Regis
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Re: Les ennemis de mes ennemis sont mes amis ? par Sam 28 Avr - 0:38
Il ne s’embarrassa ni de courbette, ni de politesse particulière à l’égard du vampire. Cette créature n’était pas de son espèce et, s’il comptait bien se montrer diplomate — puisqu’il y avait un intérêt — il ne comptait pas pour autant faire preuve d’une déférence particulière. Tout comme Ewald n’en eut guère pour lui. Était-ce une manie de vampire, que de se montrer si désinvolte vis-à-vis des sorciers ? Il fallait le croire, mais quelque chose disait à Bower que les sorciers n’étaient pas les seuls cibles d’un tel dédain. Exécrable race.
« Bonsoir, Sir Ewald. C’est un plaisir. »
Prenant ses aises sur le fauteuil qu’Ewald lui présenta, un sourire aimable ourla les lèvres de l’irlandais. Dès lors, le sorcier croisa les jambes et ne quitta plus des yeux le roi vampire. Il paraissait totalement à l’aise et, si une certaine tension l’habitait, elle ne semblait pas être particulièrement liée à sa présence ici.
Il avait le port raide mais altier d’un homme soumis à une pression continuelle, mais qui vivait mieux dans l’adversité que dans le calme. Il avait, aussi, dans cette expression royale imprimant son faciès anguleux, l’aura d’un homme habitué à ce qu’on tente de l’impressionner, et qui ne s’émouvait plus des situation dans lesquelles il pouvait être amené à évoluer.
Quand bien même certains auraient eu le sentiment d’être un accusé devant un magenmagot infernal, en pareille situation, Devin, lui, paraissait parfaitement tranquille. Ou presque parfaitement. Car il semblait sommeiller en cet homme une colère prête à éclater à tout instant, mais pourtant savamment contenue. Était-ce les évènements qui avaient touché sa famille, ou était-ce un trait de caractère ? Il était bien difficile d’en savoir davantage.
Malgré la tranquillité du lord, lequel avait fait le choix de laisser son hôte ouvrir la conversation, il ne put s’empêcher de hausser un sourcil lorsqu’il entendit Ewald mentionner le conditionnel en parlant de Donaghue.
« poserait des problèmes », vraiment ? Le vampire avait-il à ce point la mémoire courte, ou faisait-il si peu de cas de son « peuple » qu’il se fichait de savoir que les échappés du troupeau se frottaient à des personnalités susceptibles de causer bien des dégâts chez la race vampirique ?
Bower glissa sa langue sur ses dents pour retenir une réplique bien sentie. Cette entrée en matière appelait naturellement à la menace, mais le lord était bien trop expert en négociation pour savoir qui menacer, et avec qui traiter.
« Sir Ewald… entonna-t-il de sa voix basse et doucereuse. Il ne s’est guère passé plus de quelques semaines depuis vos dernières tractations avec mon pays. Il s’avère qu’entre ce moment où la Commission Irlandaise et les vôtres se sont alliés pour détruire le clan séparatiste et aujourd’hui, le paysage politique a subi quelques… métamorphoses. Aujourd’hui, je suis à la tête de la Fédération Magique d’Irlande, et je compte défendre les sorciers d’Irlande avec la même férocité que je protègerai mon sang, ma lignée. »
Les mots étaient posés. L’homme marqua une courte pause, laissant à tous le temps d’assimiler son entrée en matière sans pour autant leur laisser le loisir de la commenter.
« La réunion de nos forces pour combattre un groupe qui nous faisait outrage a été efficace et je ne peux que m’en réjouir. Cependant, vous n’ignorez pas, comme moi, la menace que représente celui qui n’était miraculeusement pas parmi les rebelles ce soir-là… »
Il pinça les lèvres, l’air grave, avant d’émettre un petit geste de la main, comme pour balayer ne serait-ce que l’idée d’attribuer la faute à l’un d’entre eux.
« Pour l’heure, Kenneth Donaghue se cache. Je ne doute pas pour autant qu’il reviendra à l’attaque. Il a par deux fois prouvé sa nature violente et son opiniâtreté. Je sais que votre peuple n’a rien de comparable à cet être, mais la communauté d’Irlande, magique comme moldue, n’aura aucune hésitation à faire d’un cas une généralité. Je crois, pour la sécurité de chacun d’entre vous, qu’il serait avisé d’arracher la dernière branche de chienlit avant qu’elle ne commette un acte irréparable. Aussi ne s'agit-il pas de m'aider, mais de nous associer encore une fois autour d'un intérêt commun. »
Y avait-il une menace camouflée dans les paroles du Haut-Sorcier ? Aux vampires d’en décider. Le sorcier avait pris grand soin de s’exprimer sur le ton amène et cordial qu’il réservait à ses associés de poids. Il avait pu constater que les vampires avaient un ego chatouilleux. Pour autant, il n’était pas Bartholomew Prewett. Il n’était pas homme à se soumettre, ou à capituler. Il se chargerait de Kenneth lui-même, s’il devait en arriver là, mais pour l’heure, il jugeait utile de renforcer les bons rapports entre les vampires et l’Irlande. Ceux-là avaient assez soufferts de l’immatriculation forcée imposée par le Conseil des Sorciers. Devin avait cœur à ce que la Fédération Magique d’Irlande se démarque jusque dans la façon dont elle traitait les autres créatures magiques. Devin avait toutes les raisons de penser avoir beaucoup trop à perdre à afficher le moindre mépris. Quoi qu’il pensait dans le cadre privé.
- Haut-Sorcier
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