Consécration des Vaniteux par Lun 21 Aoû - 12:11
Les rues désertées n’accueillaient que les échos clopinant des fers et le tintement feutré d’une fine bruine s’écrasant sur les dalles irrégulières, scintillantes d’humidité sous la lueur blanche du lumos projeté par la baguette d’Aïlin. Celui-ci, se rappelant soudain l’interdiction d’user de la magie, attrapa une brindille fichée dans la crinière de sa monture. D’un habile sortilège, il métamorphosa cette dernière en torche puis désillusionna les ailes du cheval. Enfin, il cacha son arme magique à l’intérieur de sa cape de voyage.
La fatigue tirait ses traits et lui brûlait les yeux. Pourtant, le sorcier dédaigna chaque auberge, chaque refuge qui aurait pu lui permettre d’avoir, pour cette nuit au moins, un toit au-dessus de la tête. La pluie, de plus en plus dense, alourdissait sa cape et ses cheveux, mais la fraîcheur vivifiante de l’air, le parfum si particulier des temps de pluie, l’apaisaient. Seul au cœur d’une Dublin rendue mortifère par la peur de son voisin, Bower se sentait presque en paix. Puis, alors que le calme et la nuit l’enveloppaient, un « plop » effraya son cheval, qui manqua de le désarçonner sous le coup de la surprise.
Un petit elfe nu et sanguinolent venait d’apparaître devant la monture d’Aïlin qui, stupéfait, mis pied à terre pour s’approcher. Son cœur rata un battement lorsqu’il reconnut Brady, sa fidèle elfe. Elle cachait son corps dévêtu à l’aide d’un simple gant et de ses petits bras. Un couinement lui échappa et elle leva de grands yeux flous vers lui. Puis s’effondra face contre terre.
« Brady ! »
Le sorcier dénoua sa cape et enveloppa la petite elfe du mieux qu’il pu, puis la prit dans ses bras. Elle était inconsciente. Remontant à cheval sans tarder, le jeune sorcier se mit en quête d’un abri à peu près sûr où passer la nuit.
« Brady ? Tu m’entends ? »
La petite elfe ouvrait enfin les yeux. Soulagé, Bower lui tendit un mouchoir humide afin qu’elle puisse se débarbouiller et se rafraîchir les idées. Il n’avait pas besoin de lui demander ce qui s’était produit. L’état dans lequel elle se trouvait parlait pour elle. Si cela le mettait en colère, il n’était pas étonné pour autant que son père, plutôt que de tuer purement et simplement l’elfe infidèle, l’ait jetée nue et sans défense dans la nature. La souffrance était manifestement une meilleure source de plaisir que la mort, pour lord Bower.
« Il… il m’a donné un vêtement... »
Aussitôt, de gros sanglots secouèrent l’elfe de maison. Aïlin en éprouva autant de gêne que de pitié.
« Allons, allons… tenta-t-il maladroitement.
– Il voulait que Brady lui dise, Monsieur… Il voulait que Brady révèle le secret. Mais Brady ne l’a pas fait, Maître Aïlin ! Brady est restée silencieuse…
– Bravo, Brady. Je savais que je pouvais te faire confiance.
– Brady aurait voulu être une bonne elfe, Maître Bower… Elle aurait voulu pouvoir continuer à vous servir… Brady préférerait être morte que de ne plus servir Maître Aïlin ! »
La pauvre créature était pitoyable à regarder. Elle se moucha dans le gant de Devin avec forces barrissements et il fallut cinq bonnes minutes à l’alchimiste pour parvenir à la calmer.
« Tu n’appartiens peut-être plus au manoir, Brady, et Devin a renoncé à toi… Mais je ne t’ai pas désavoué, pour ma part. Tu as toujours été une amie loyale, à laquelle je confierai ma vie sans hésiter. »
Sans d’autre mot, Aïlin découpa un pan de sa propre cape et, d’un sortilège, la transforma en une petite robe noire, à la taille de l’elfe. Puis, non sans une certaine solennité, il la tendit à Brady.
« V… v… vous me donnez un vêtement ? Mais Br… mais Brady n’a plus le droit d’entrer au manoir Bower, comment Brady va-t-elle pouvoir…
– J’ai quitté moi aussi le manoir, Brady. Et j’ai plus que jamais besoin d’une amie qui ne soit pas sous le joug de mon père. »
Si l’elfe s’était arrêté de pleurer, elle recommençait à présent, et à chaudes larmes. Cependant, elle riait en même temps et, tandis que le jeune lord se détournait, elle s’empressa de revêtir son nouvel attribut, abandonnant à Aïlin le gant en guise d'échange. Celui-ci s'empressa de le détruire.
« Vous êtes un grand sorcier, maître Aïlin. Vous êtes le plus grand sorcier que je connaisse ! »
Un rire jaune échappa à l’héritier Bower.
« Tu ne connais hélas guère beaucoup de sorciers dignes de prétendre à ce titre. Si tu avais les moyens de comparer…
– Brady vous connait depuis que vous êtes tout petit, Maître Aïlin. Vous l’avez oublié, mais vous avez bon cœur. Ne laissez pas votre père vous noircir… » l’elfe, soudain, baissa les oreilles. « Maî… Lord Bower a chargé Brady de vous transmettre un message, avant de la renvoyer… Une réception en l’honneur du nouveau gouvernement irlandais va être donnée au manoir d’ici deux jours. Il compte sur vous pour honorer votre devoir, comme vous avez dit que vous le feriez…
– Sinon ?
– S… sinon… le sort subi par votre elfe sera plus enviable que l’indicible souffrance de votre mère… Son chagrin risquerait de la tuer... »
Un bloc de glace tomba dans l’estomac d’Aïlin.
« Rentre au laboratoire, Brady, et repose-toi. Elya y sera peut-être. Pour l’heure, je ne te demanderai qu’une chose. Soigne-toi, et trouve le moyen de me prévenir si Drew Black te rejoint. »
Cela faisait longtemps qu’Aïlin n’avait pas eu aussi bonne mine. Il avait les cheveux lavés et coiffés de frais, ses joues soigneusement rasées avaient retrouvé un peu de leurs couleurs, quand bien même il conservait dans ses choix vestimentaires le signe du deuil. Il portait en effet une longue redingote de sorcier noire sur des chausses tout aussi sombres. Seule sa cape, qui tombait jusqu’à ses genoux, voyait son col et ses pans brodés de fleurs anthracites. Du reste, les seules pierreries qu’il portait étaient ses boutons de manchettes en topaze, présents enchantés de sa sœur. Un foulard écru, soigneusement noué autour de son cou, cachait la cicatrice qu’il garderait désormais à vie.
La vaste salle de bal du manoir ne portait guère le deuil, quant à elle. De soyeuses bannières tombaient du plafond, de part et d’autre de la pièce, affichant alternativement des armoiries qu’Aïlin ne reconnaissait pas. La première représentait une créature marine qui ressemblait à un kelpie, et l’autre une chimère rugissante, dont la queue de serpent paraissait pointer un ennemi invisible.
« J’imagine que vous vous posez la question… Il s’agit du symbole de l’Addanc, les nouvelles forces de l’ordre du pays… et… la chimère blanche sur gueules est le symbole que s’est choisi votre père en tant que Haut-Sorcier. »
Aïlin se retourna pour faire face à sa mère. Elle portait une sobre robe noire et ne semblait pas apprêtée pour prendre part à la fête. Etonné, l’alchimiste la considéra de la tête aux pieds.
« Votre père ne souhaite pas que je gâche la célébration en affichant mon deuil. »
Les deux Bower restèrent immobiles l’un face à l’autre, dans un silence lourd. Autour d’eux, des dizaines de serviteurs, elfes comme humains, attendaient avec une immobilité digne d’œuvres de marbre. Des larmes perlèrent dans les yeux de Bronach, mais elle inspira pour ne pas céder à son émotion. Avant qu’Aïlin ait eu le temps de faire un pas vers elle, elle fit une légère révérence et s’éclipsa sans produire d’autre bruit que le murmure de ses voilages.
La fête battait son plein, et si l’alchimiste n’en était pas à son premier verre de vin, il ne ressentait toujours pas davantage qu’un profond ennui, voire un mépris ardent pour tous ceux qui, jusqu’alors, étaient venus lui adresser la parole. De jeunes femmes, pour beaucoup, qu’Aïlin connaissait pour certaines, et d’autres dont il n’avait jamais eu l’occasion, jusqu’alors, de connaître le visage. Des jouvenceaux lui demandaient régulièrement, avec un enthousiasme exaspérant, le récit de sa confrontation avec un vampire, quand seulement quelques rares éludaient ce genre de sujet pour échanger quelques banalités dont il se fichait, mais qui avaient l’avantage d’être les seuls échanges convenables à adresser à un héritier dont on ne connaissait rien.
Bizarrement, il ne s’était pas attendu à être un tel centre d’attraction, et s’en trouvait bien stupide à présent. Son père venait d’accéder aux plus hautes fonctions de l’Irlande magique, et, plus fort encore : il les avait créées pour lui, par un coup de force dont lui seul avait le secret. Cela semblait évident : que son sang soit réputé pur ou pas, Aïlin était par la même occasion devenu l’un des meilleurs partis de son pays. Il aurait pu s’en réjouir mais, en croisant le sourire mielleux d’une jeune fille qui ne devait pas dépasser les dix-sept ans, il en éprouva plutôt un vif dégoût. Cette hypocrisie lui donnait la nausée.
Il n’avait jamais été un grand sociable, mais ce soir plus que jamais, la mascarade des mondanités faisait naître en lui le désir viscéral de brûler le manoir, et tous ces gens avec.
La fille lui parlait. Il ne s’en était pas rendu compte, comme il n’avait pas remarqué qu’il répondait automatiquement à cette sollicitation non désirée par des sourires aussi faux qu’automatiques, jusqu’à ce qu’une phrase d’elle ne lui parvienne au travers le blabla abrutissant qu’elle vomissait jusqu’alors.
« … mais vous êtes toujours bien en vie, lord Bower. La rumeur voulant que vous ayez percé le secret de l’immortalité, à l’instar de Monsieur Flamel, serait-elle vraie ? »
Interloqué, Aïlin baissa les yeux sur elle et la fixa quelques secondes.
« Évidemment. Cela m’a pris trois semaines. »
Le jeune homme posa son verre vide sur le buffet et planta là la sorcière.
Il avait à peine amorcé quelques pas en direction d’un serveur lorsqu’il croisa un regard qui suscita d’abord en lui une incompréhensible surprise. Il s’arrêta, saisi par les deux citrines qui le fixaient, éclairées d’une lueur vivace, presque scrutatrice. Son visage aux traits nobles était encadré par une crinière blonde dont chaque mèche semblait savamment sculptée pour orner à la perfection son cou gracile. Il fallut, pourtant, encore une poignée de secondes contemplatives pour saisir l’origine de son trouble. Aïlin ne s’attendait pas à la voir ici ce soir, Lenore Greengrass. La fille du meilleur ennemi de son père.
Comment s’était-elle retrouvée au cœur d’une célébration qui ne pouvait que faire grincer des dents lord Greengrass ? La question aurait presque piqué sa curiosité, mais elle était en réalité sans importance. Il s’étonnait, en revanche, de n’avoir eu la chance de croiser son cousin Crestian, qui aurait été une compagnie autrement plus supportable que ces Malefoy et consorts. Il y avait, d’ailleurs, bien trop d’anglais pour cette partie irlandaise. Devin démontrait son pouvoir à leurs voisins du sud, il n’avait guère d’intérêt à convaincre ceux qui l’étaient déjà.
Lenore, ici. Amusant. Elle avait détournée le regard et écoutait maintenant un jeune homme qui semblait absorbé par ses propres paroles. Il n’échappa pas à l’alchimiste que la lady, en revanche, venait de porter quelques doigts délicats à ses lèvres, en signe, possiblement, d’un bâillement retenu. Un demi sourire apparut sur les lèvres de l’héritier Bower. Il avait reconnu le jeune nobliau qui tentait d’intéresser Lady Greengrass en la personne de Callaghan, l’un de ses compagnons de mauvaise fortune lors de cette fameuse attaque qui faisait encore tant jaser. La pauvre jeune femme devait sans doute supporter le récit des prouesses du garçon qui, il fallait l’admettre, avait été particulièrement brave. Son concours lui avait certainement permis de demeurer en vie, quand bien même l’emballement de son cheval n’avait pu lui permettre de voir de ses yeux les prouesses du jeune homme en combat. Il était clair, cependant, que Callaghan s’était illustré. Il s’était retrouvé seul contre plusieurs sorciers férus de magie noire et il était encore là pour en parler.
Aïlin ne l’avait jamais remercié. Un sentiment de culpabilité l’inonda et, comme si cela ne suffit pas, Callaghan tourna les yeux vers lui. Le reconnaissant aussitôt, il eut un léger mouvement du buste, puis après une brève hésitation, il alla à sa rencontre. Mortifié, Bower l’observa approcher en compagnie de la jeune Greengrass. Allait-il lui faire l’affront d’un reproche devant la lady ? Au moins la présence d’une tierce personne amenuisait le risque, mais l’audace d’une pique serait autrement plus humiliante.
« Lord Bower ! »
L’enthousiasme du blond ne semblait pas feint, mais quand bien même, l’alchimiste ne put lui retourner qu’un sourire tendu. Alors, se rendant compte d’un coup d’œil de la tenue de l’héritier, il perdit son sourire et se déconfit quelque peu. Gêné, il se planta devant lui, puis céda le pas à Lenore.
« Je manque à tous mes devoirs… ! Permettez-moi d’introduire auprès de vous Lady Lenore Greengrass, mais peut-être vous connaissez-vous déjà ? »
Les joues légèrement rouges du jeune sorcier trahissaient sans mal son embarras à commencer la conversation. Bizarrement, ce fut la première attitude qui parvint à adoucir quelque peu l’humeur jusqu’alors exécrable de l’alchimiste. Celui-ci tournant un regard aimable à Lenore, s’inclina légèrement en signe de respect.
« Nous avons eu l’occasion de nous rencontrer, en effet. »
Avant que Bower ait eu le temps d’ajouter quoi que ce soit d’autre, Callaghan se lança dans une explication précipitée :
« J’expliquais justement à Lady Lenore... »
Par Merlin, nous y étions… Le jeune homme, qui dépassait à peine les dix-huit ans, se lança dans une explication alambiquée de la façon dont l’attaque de Sligo l’avait métamorphosé à jamais, au point de se découvrir un autre regard sur lui-même, regard qui l’avait poussé à intégrer l’Addanc, dont il était fier ce soir de porter la robe d'apparat. Ce fut seulement alors que l’héritier Bower remarqua combien Callaghan bombait le torse pour exhiber le kelpie brodé d’argent sur sa poitrine, fier d’asséner que, comme Aïlin, il avait préféré à la voie de la politique que son père lui destinait, celle qu’il se voyait prendre pour débarrasser l’Irlande des forces du Mal et de tous ceux ou celles qui, par leurs actes, faisait déshonneur à leur pays.
Son discours enflammé avait tant de force et de grandiloquence mêlés qu’Aïlin ne sut plus s’il était seulement stupéfait ou s’il allait finir par laisser éclater son hilarité, et son regard, incrédule, vint quérir un espoir de connivence dans celui de Lady Greengrass.
« Voilà de quoi faire un fidèle échanson pour notre gouvernement naissant. N’est-il pas Milady ? »
- Héritier rebelle
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Re: Consécration des Vaniteux par Jeu 24 Aoû - 23:03
Le manoir était immense. Immense et plus richement décoré que la décence ne le tolérait. Lenore n’était pas surprise. Ce n’était pas la première fois qu’elle mettait les pieds en ces lieux aussi farauds que majestueux, et rares étaient les démesures qui, dans les démonstrations de pouvoir et de richesse, la stupéfiaient encore. N’avait-elle elle-même pas grandi dans un lieu outrageusement ostentatoire ?
Pour autant, elle ne se lassait pas d’observer les moindres détails qui ornaient l’endroit, depuis les motifs des brocarts qui agrémentaient çà et là les murs ou le sol marbré qui reflétait d’immenses langues de feu sur des pans historiés, dessinant de nombreuses ombres anonymes, toutes également plus fastueusement parées les unes que les autres. Elle notait d’un œil expert la moindre excentricité, le moindre détail, stigmate d’histoires passées ; le moindre blason suranné et s’amusait, quand sa culture atteignait ses limites, à imaginer les fables qui avaient un jour animé ces mille dessins d’or ou d’argent, témoignages précieux des hauts faits d’antan. Sur un mur, une tenture lourde de velours émeraude, camouflant peut-être l’un ou l’autre passage voulu plus ou moins secret, témoin de l’intimité relative des lieux. Non loin, un guéridon soigneusement poli à la marqueterie fine où reposaient deux verres de cristal abandonnés, un héritage de famille peut-être, entouré d’inconnus qui péroraient à n’en plus pouvoir, déblatéraient des frivolités sans nom, mariaient leurs enfants ou contaient la conquête lointaine d’un fief reculé. Là, une dame empennée – c’était probablement là le terme le plus adéquat – d’autruche au point qu’on ne décelait plus la femme de l’animal ; ici un vieillard rabougri à l’allure austère mais à la chevalière imposante qui se détachait sur tapisserie de pourpre ; là encore une fillette emmaillotée à outrance dans une dentelle de qualité, en provenance de Bruges, certainement ; plus loin un Apollon au ventre et au verbe plats mais à la robe de soie. Et enfin elle qui, parmi cette population à la généalogie pesante, errait sans but quand elle n’échangeait pas quelques réparties d’usage, s’arrêterait souvent, le regard seul en mouvement, se rappelant les noms, découvrant les visages, imaginant le tissu de relations complexes qui liaient ces grands seigneurs à ces dames, ces lords à ces comtesses, ces ladies à ces chevaliers, ces marquis à ces baronnes. Morgane, comme elle n’avait point le goût de se trouver là !
« Vous ici, Lenore ? »
On la tira de sa pensée et elle se retourna pour découvrir avec étonnement la tignasse rousse de Grace Bridgeman, puînée d’une famille de petite noblesse anglaise sans intérêt ni importance ; ancienne Gryffondor ayant intégré Poudlard la même année qu’elle, avec laquelle elle avait noué de bonnes relations sans toutefois développer de véritable amitié.
« Quel plaisir de vous retrouver ! Depuis combien de temps n’avons-nous plus eu la chance de nous croiser ? Comme vous avez changé ! Vous êtes toujours aussi belle, naturellement. J’ai entendu dire que vous épouseriez bientôt votre cousin, dont je me souviens qu’il avait plutôt belle allure ! Quelle nouvelle. Figurez-vous que je suis moi-même promise au jeune… »
Elle était lancée. Lenore n’avait qu’un vague souvenir de Grace, mais elle gardait néanmoins en mémoire le flux entretenu de ses tirades. Sa conversation n’était pas forcément toujours inintéressante, mais les ragots dont elle tentait actuellement de la délecter ne l’intéressaient pas outre mesure. D’un naturel avenant, Lenore riotait pourtant courtoisement, ponctuant le palabre de quelques vagues répliques : « Non ! Vraiment ? ». Et bientôt, sans qu’elle ne comprenne comment, elle fut entourée de trois jeunes ladies, toutes colportant les derniers commérages dont avaient récemment été régalées leurs délicates esgourdes. C’en fut cette fois trop pour Lenore qui profita de ce qu’elles se pâmaient au passage d’un éphèbe à la chevelure d’ébène pour discrètement leur fausser compagnie. Elle pourrait toujours prétendre avoir subitement perdu leur trace en talonnant le verre de vin qu’elle tenait désormais à la main, et qu’importerait qu’elles y croient ou non.
Indubitablement, même en y mettant du sien, elle n’avait pour l’instant pas le goût des mondanités. Y compris quand elles étaient bien menées, celles-ci n’avaient d’appétence qu’en conjonctures favorables et à fréquence moins élevée qu’en ces temps chamboulés ; et elle n’avait, du reste, pour l’instant point encore eu le plaisir d’une rencontre qui aurait soulevé son intérêt. Elle s’était ainsi à trois reprises déjà débinée de fades causeries . Qui le lui reprocherait quand elle n’avait aucune raison de se trouver là ? Elle ignorait pourquoi lord Greengrass, son père dont la politique s’affichait en faveur de la pureté de sang, avait souhaité à se rendre à une célébration qui consacrait l’orgueil de d’un homme dont il était l’ennemi uniquement parce qu’il ne partageait pas cette politique, mais elle ne doutait pas que la raison n’était en rien honorable.
Mais quelque soit celle-ci, le rôle dont elle était elle-même investie n’était vraisemblablement que celui, vil, d’être malgré elle les yeux et les oreilles qu’il ne pouvait balader à sa guise, à défaut d’un ton d’ubiquité, dans chaque salon et sous chaque alcôve où se pâmaient ces dames sous les doux compliments intéressés de ces messieurs. Lady Isobel Greengrass, présente également dans une superbe robe carmin, avait probablement quant à elle pour tâche de délier les langues en même temps que ses charmes, savamment suggérés mais jamais accordés, déridaient les sourires. Rien, de la présence de sa mère ou de la sienne n’était innocent ; et il était incontestable que le lord poursuivait un but bien précis en se trouvant lui-même en la résidence des Bower ce soir. Lenore, pourtant d’un naturel curieux, n’avait cette fois-ci toutefois rien souhaité entendre des intentions de son géniteur, dont elle imaginait cependant sans grande difficulté les détours. En d’autres temps, elle aurait probablement tenté d’en savoir davantage sur les manigances qui l’amenaient malgré elle à figurer au profit de sa politique, mais depuis qu’il avait annoncé son intention de la marier à Crestian une dizaine de jours auparavant, leur relation s’était inévitablement dégradée et elle évitait désormais soigneusement, ou tout du moins du mieux qu’elle le pouvait, tout contact avec celui-ci. L’affection qu’elle lui portait, aussi sincère et forte fut-elle, ne pourrait résister à un tel mariage s’il devait avoir lieu, mais le lord, persuadé qu’il ne s’agissait-là que d’un nouveau caprice, ne cédait pas. Tous deux entretenaient donc sourdement leurs positions, empêchant par là même le moindre dialogue constructif. Lenore en avait du reste été longuement malade. Ou peut-être pas si longuement, mais cet épisode lui avait paru être une éternité. Elle n’était ordinairement pas de faible nature et n’avait pas souvenir d’avoir à ce point été physiquement affligée depuis de longues années. Après l’entretien qui l’avait opposée à ses parents et à sa tante, elle était rapidement devenue intolérante à toute forme de nourriture, rejetant bien malgré elle la moindre bouchée jusqu’à ne plus vouloir s’alimenter. Immanquablement puisqu’on l’avait indirectement contrainte à se refroidir l’échine sous des vêtements trempés jusqu’à ce que sa peau ne puisse plus se différencier de l’étoffe qui la couvrait, elle avait également attrapé la grippe. Elle était ainsi restée une semaine entière enfermée dans sa chambre, refusant de recevoir ses parents ou de les rejoindre pour les repas. Elle avait ainsi profité de sa solitude pour maugréer contre les rédacteurs de la Gazette du sorcier qui avaient cru bon de colporter leurs ragots à son sujet, tout comme d’ailleurs contre les infâmes traîtres qui les avaient ébruités. Lorsqu’elle avait recouvert un peu de santé, elle s’était forcée à paraître à nouveau aux repas, ne gratifiant pourtant jamais les maîtres des lieux que de courtes réponses lapidaires. Demeurer en leur présence l’indisposait, mais elle n’était pas de ces créatures qui s’apitoient sur leur propre sort en espérant miraculeusement le voir s’améliorer. Elle s’était donc prise en main, bien déterminée à trouver une solution à cette situation plus que dérangeante. Et si on la trouvait, quelques jours plus tard, à son grand déplaisir, légèrement amaigrie, ses joues avaient repris, pour l’occasion du moins, un teint rose et frais et ses pupilles leur impérissable lueur vive. Un œil extérieur n’aurait aisément pu deviner, à la voir ainsi parée, le trouble qui l’habitait depuis lors ; et les quelques sollicitations qu’elle avait reçues de la gent masculine depuis le début de la soirée semblaient le corroborer. Cette attention que certains lui accordaient n’était guère surprenante, puisqu’aucune annonce officielle n’avait été faite. Pour un peu, elle aurait presque regretté que cela ne fut pas le cas afin de tirer de cette situation au moins l’avantage d’une réelle tranquillité. Tant qu’il resterait l’espoir d’une chair fraîche, les vautours ne pourraient en effet s’empêcher de tourner.
Bientôt, l’un d’eux, les plumes gonflées d’arrogance, profita de cet espoir de bonne pitance pour l’aborder ; un certain Callaghan dans sa plus belle tenue d’apparat, qui lui contât sans vergogne et avec force de détails et de conviction ses exploits à Sligo, n’omettant pas de bomber le torse pour exposer son pennage avec l’intention probable d’éveiller en elle une quelconque fascination. Il avait été engagé par l’Addanc, sorte d’équivalent des aurors pensé pour la seule défense de l’ego titanesque de Devin Bower. Dans les faits, ce tête-à-tête eut pu avoir de l’intérêt si il n’avait pas été mené avec tant de grandiloquence. Mais il était évident que le jeune nobliau – quel âge avait-il, quinze ans, peut-être ? Assurément plus, mais le flot immodéré de ses paroles doublé de sa posture maladroitement outrecuidante le faisaient paraître moins habile, et donc plus jeune – ne maîtrisait pas avec brio le brillant art de la conversation. Aussi Lenore répondait-elle de manière mécanique lorsque cela semblait nécessaire, cherchant de ses prunelles brunes, quand l’occasion lui était offerte, l’opportunité qui lui permettrait de disparaître. C’est ainsi qu’une œillade fuyante parmi la foule des inconnus lui fit entrapercevoir le jeune lord Bower, déambulant sans but apparent tel un automate. Elle s’était vaguement demandée, au vu des récents événements, s’il honorerait son père de sa présence ce soir. Un nouveau regard, et elle l’aperçut clairement, vêtu de noir comme les récentes circonstances qui l’avaient accablé l’obligeaient, l’air ennuyé et la mine renfrognée.
Bientôt, ses iris accrochèrent les siens, tandis qu’ils détaillaient minutieusement son port et sa tenue. Il avait l’air fatigué, mais tâchait de faire bonne figure. Elle n’était pourtant pas dupe. Les rumeurs à son égard caracolaient gaiement, et sans doute n’étaient-elles pas toutes infondées. À force de courir, elles feraient bientôt de lui, et probablement malgré lui, un héros d’Irlande, oppressé pour une quelconque noble cause par les forces maléfiques qu’à l’instar de ce Callaghan, il tentait de combattre ; victime de sa propre réputation. Elle ne l’enviait pas et, probablement en raison de l’empathie naturelle qu’elle éprouvait souvent pour autrui, ressentait pour lui, au contraire de beaucoup d’autres qui préféraient voir en sa personne l’éventualité d’une accointance profitable, une certaine forme de compassion
Une modulation plus prononcée de la voix de Callaghan la surprit dans sa pensée. Elle sursauta et détourna lentement les yeux, ne manquant pas un dernier regard patent en direction de l’héritier Bower dont elle avait parfaitement conscience qu’il la détaillait en retour. Elle accorda ainsi de nouveau sa pleine attention à son vis-à-vis, s’attardant davantage toutefois à étudier sa gestuelle qu’à écouter vraiment son monologue de fatuité. Merlin qu’il pouvait être quelconque ! Il ne lui faudrait plus longtemps avant de l’abandonner là sans autre forme de procès. Fort heureusement, le phraseur remarqua également la présence de Bower et s’interrompit brusquement pour le saluer, l’emmenant malgré elle dans la foulée.
Aïlin n’avait pas l’air aussi enchanté de rencontrer Callaghan que Callaghan ne l’était de rencontrer Aïlin. Un bref malaise flotta bien entre les deux mais, très vite, après les salutations de circonstance, le gentillâtre se reprit d’une passion singulière pour les événements qui composaient sa propre vie, ne manquant pas de revenir avec véhémence sur ceux qu’il avait déjà si longuement détaillés à la sorcière. À voir l’expression mi-dubitative, mi-amusée de l’Irlandais qui venait de les rejoindre, il ne faisait aucun doute que Lenore n’était point la seule à trouver le personnage grotesque, ce que souligna bientôt habilement un trait d’esprit subtilement placé du fils Bower. Un demi sourire sur les lèvres, l’Anglaise se pencha discrètement dans sa direction et murmura d’un ton faussement provoquant :
« En effet Milord. En éprouveriez-vous quelque jalousie ? »
Cette allusion à leur précédent entretien la divertit, mais elle n’osa ouvertement l’exprimer alors que Callaghan, qui avait tant d’affection pour lui-même qu’il n’avait rien remarqué de l’échange des deux jeunes gens, persévérait dans son commentaire détaillé de ce qui semblait, dans sa bouche, être le plus épique des épopées. Soudainement inspirée, Lenore termina son vin et profita de ce que le conteur reprenait son souffle pour prendre à son tour la parole :
« Veuillez m’excuser Milord, mais je crains que me verre ne soit vide, et c’est la gorge particulièrement sèche que j’arrive au bout de votre récit. Si vous voulez bien m’excuser, je vais aller m’en quérir un nouveau. À moins que vous n’ayez l’amabilité de vous acquitter de cette tâche pour moi ? Je me sens un peu fatiguée et crains de n’avoir pas le courage de m’aventurer dans la masse des invités. »
Comme escompté, Callaghan lança un regard dépité vers la foule des convives et constata, comme Lenore quelques secondes auparavant, qu’aucun serveur ne se trouvait dans leur proximité immédiate. Visiblement contrarié d’être ainsi coupé dans son élan, mais non moins gentleman, il prit un air résigné et s’inclina dans sa direction :
« Mais certainement, Milady. »
Enfin, le vaniteux s’en alla en quête du précieux Graal tandis que Lenore contenait un sourire de soulagement. Quand finalement elle n’aperçut plus que sa chevelure dans l’essaim de noblesse qui se pressait là, la sorcière tourna la tête vers Bower :
« Pardonnez-moi Milord, mais j'ai bien peur de devoir lâchement profiter de cet intermède pour fuir le combat en parfait traître. Je n’oserais vous suggérer d’en faire de même, néanmoins… »
- Rendez-vous ce soir à la taverne (et incognito !)
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Re: Consécration des Vaniteux par Sam 26 Aoû - 12:44
Comme pour enjoliver un peu plus les couleurs prenant corps autour de la jeune Lady Greengrass, celle-ci profita d’une soudaine inspiration pour congédier le plus loin possible d’eux l’énergumène piaillant comme un jobarbille sur le point de mourir. Piégé par les convenances, Callaghan ne put faire autrement que d’accéder à la demande de Lenore. Avait-il comprit qu’il s’agissait d’une prise de congé en bonne et due forme ? A son air renfrogné, Aïlin émit l’hypothèse que le membre de l’Addanc avait saisi le message, mais dans le doute, il n’était pas prudent de rester sur place. Comme en réponse à ses pensées, Lenore profita du prétexte qu’elle venait de se créer pour lui suggérer, avec la subtilité qui lui semblait propre, une fuite en bonne et due forme. Quand ses paroles ressemblaient à un retrait, son attitude, quant à elle, suggérait à l’alchimiste de lui emboîter le pas. Amusé par la tournure de leur rencontre, Aïlin plia légèrement le torse, feignant un air affecté :
« Milady, permettez-moi de couvrir vos arrières durant votre fuite ! Merlin sait quels terrifiantes chimères cette faune avide cache-t-elle encore… ! La foule babillante me semble pareille à une hydre : à peine a-t-on coupé l’une de ses têtes qu’une autre revient à votre assaut. »
Pour écho à sa remarque acerbe, la chevelure blonde d’un Malefoy apparut tandis qu’une grosse lady libérait leur champ de vision en s’acheminant vers la table des mignardises. Phœbus, qu’il avait croisé un peu plus tôt dans la soirée, avait retrouvé sa sœur qu’il avait tant tenu à lui présenter. Ils étaient, pour l’heure, entouré d’une petite troupe et Aïlin devina qu’il s’agissait pour la plupart de jeunes hommes attirés par la beauté de l’apprentie sorcière, comme des papillons par la flamme d’une bougie. La façon dont le frère avait parlé d’Evannah était si peu innocente qu’Aïlin préférait éviter ce face à face gênant aussi longtemps qu’il le pouvait.
Annonçant d’un signe de tête le chemin qu’il allait prendre – soit à l’opposé total des Malefoy – Aïlin s’engagea courageusement au travers les robes, les capes et les traînes, en direction d’une des alcôves discrètes dans laquelle ils pourraient se reposer un peu de la foule. Chemin faisant, il avisa d’un regard appuyé un elfe de maison, qui d’un claquement de doigt, fit apparaître deux nouveaux verres dans les mains de l’alchimiste. Parvenant à leur cachette improvisée, le jeune homme tendit un verre à Lenore, tandis que l’elfe venait à leur rencontre, chargé d’un plateau de mignardises qu’il fit léviter auprès d’eux. Dès lors, l’elfe resta à une certaine proximité d’eux, mais si le prétexte était de mieux servir son maître, Aïlin ne doutait pas qu’ils s’agissait surtout d’une consigne de lord Bower visant à épier l’héritier rebelle. Pour l’heure, le jeune homme n’y prêta guère plus d’attention.
« Contre toute attente, il semblerait qu’une grande amitié soit en train de naître entre nos pères. » feignit de constater Bower avec dans les yeux une lueur caustique. « J’ai le sentiment qu’il s’agit de la soirée de toutes les incongruités : il n’y a jamais eu autant d’anglais réunis sous ce toit depuis Hannraoi dit le Rouge… mais il avait alors empoisonné tous les convives… »
Baissant un regard dubitatif vers son verre, Aïlin se fit la réflexion que Devin tenait certainement beaucoup à cet ancêtre du Moyen-Âge, dont l’épopée sanglante avait marqué le nom de la famille pour des siècles : « Jamais ne ploie ni ne s’effondre. Un Bower se relève toujours. ». C’étaient les quelques mots qu’avait fait parvenir le sorcier aux familles décimées par l’assassinat de leurs principaux héritiers. Une histoire de vengeance et d’honneur, contée depuis lors aux jeunes descendants comme l’exemple glorieux d’un homme qui, ayant presque tout perdu de la main de ses ennemis, s’empara en un coup terrible de la grandeur de ceux-ci par la force de la seule chose qu’il lui restait : un esprit agile et déterminé.
« Nous pouvons cependant trinquer sans crainte ce soir, Milady. Je serais sinon déjà mort. » sourit le jeune homme en levant son verre.
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Re: Consécration des Vaniteux par Sam 2 Sep - 19:51
Il ne s’était écoulé que peu de temps depuis leur première et dernière rencontre, cinq mois peut-être, mais tant d’événements avaient chamboulé le cours jusqu’alors tranquille de son existence depuis que le printemps avait rendu aux terres leurs couleurs tendres qu’elle avait l’impression de ne plus habiter le corps de la sorcière qui avait alors accompagné son père jusqu’en ces lieux. Le sorcier qui lui faisait face, de ce qu’elle savait, également happé par le tourbillon de sa vie et le poids de ses actes, partageait probablement avec elle ce ressenti, bien que certainement d’une manière bien différente. Mais il ne faisait aucun doute pourtant que ces pupilles vives qui la détaillaient avec insistance, transperçaient presque, bien que chargées d’un évident tourment, dissimulaient l’esprit acéré de jeune homme dont elle avait alors fait la connaissance. Au vu de ce qu’elle avait appris et compris à son sujet, elle s’était brièvement demandée si elle aurait l’opportunité de le rencontrer ce jour en la demeure de son père et avait conclu à une conjoncture peu probable, mais elle masqua l’étonnement que sa présence fit naître en elle au profit d’un sourire charmant et des manières avenantes qu’on lui avait inculquées quand il lui proposa avec verve et emphase de l’accompagner dans sa fuite.
« Oh, faites donc, je vous en prie ! Je ne pourrais refuser une telle protection lorsqu’on me la propose. Une dame a toujours besoin d’un galant pour la protéger des montres tapis dans l’arène féroce des mondanités. Je ne vous saurai jamais assez bon gré de votre prévenance, et moins encore de votre protection si nous devions y essuyer un assaut ! », répondit-elle avec force d’affectation en ponctuant son discours d’un coup d’œil vers l’aristocratique cohue qui s’emmêlait-là. Prise d’une soudaine inspiration, elle ajouta, sur le ton de la confidence que l’on prêtait volontiers aux on-dit : « C’est que, figurez-vous, il paraîtrait que l’on y croiserait même des cochons… »
C’est ainsi qu’avant même d’avoir eu le temps de se voir offrir un nouveau verre de rouge, elle se retrouva à suivre, dans une réception des plus guindées où même la boisson ne suffisait à faire oublier la place que chacun occupait, un jeune sorcier au sang mêlé, fils du rival paternel, qui leur dessinait un chemin dans la masse des badauds. Au regard dont il venait de gratifier les Malefoy, elle supposa que c’était davantage elle qui couvrait ses arrières que l’inverse, ce que semblait d’ailleurs corroborer le fait qu’elle le talonnait et non le contraire. Elle ne s’en sentait pas offusquée, mais au contraire relativement divertie. Elle avait entièrement conscience du fait qu’elle aurait pu se sentir flattée d’obtenir ainsi l’attention du fils Bower alors même qu’il était manifeste qu’il esquivait les convoiteux au moins autant qu’elle-même le faisait et alors que la nouvelle position de son père faisait de lui un morceau de choix pour ces derniers, mais c’était bien l’amusement qui étirait discrètement la commissure de ses lèvres. Constater qu’elle n’était point la seule à se dérober ainsi des coïncidences intéressées la soulageait, et deviner que le jeune lord l’emmenait vers les alcôves où aimaient à se nicher tantôt les pires prémisses de complots, tantôt les jeunes couples, légitimes ou non, était plutôt cocasse. Voilà qui ne plairait pas au lord, son père, ce qui n’était actuellement pas pour lui déplaire. Et si en plus la conversation s’avérait stimulante, ce dont elle ne doutait pas au vu de la teneur de leur précédent échange et du vocabulaire aussi fleuri qu’imagé de l’Irlandais, alors elle n’aurait pas à se repentir de l’impudence d’oser s’entretenir avec lui plus longuement que les convenances ne les y obligeaient.
Le renfoncement dans lequel ils arrivèrent était ténu mais lumineux, éclairé par tant de bougies à la lueur si anormalement claire qu’on eut pu se croire en plein jour. Deux fauteuils ouvragés étaient placés l’un en face de l’autre, appelant les confidences. À moitié dissimulé par un lourd rideau de velours carmin, l’endroit était si discret qu’il n’attirait l’attention que de l’elfe qui les y avait suivis. Peu de monde s’aventurait d’ailleurs en cette partie de l’immense espace dédié aux réjouissances du moment, tous préférant s’attrouper autour des musiciens et de l’immense table gourmande où s’amoncelaient mignardises et plats aux senteurs colorées. Le brouhaha incessant de la foule, bien que toujours omniprésent y apparaissait donc légèrement estompé, et Lenore en profita pour brièvement clore les paupières et savourer, dans une profonde inspiration, cet ersatz de quiétude. Consciente qu’en cette circonstance la solitude ne pouvait être qu’un leurre, elle les rouvrit et accepta ensuite gracieusement le verre que lui tendait son vis-à-vis tandis qu’il évoquait avec ironie la relation qu’entretenaient leurs pères respectifs, ce qui lui arracha un rire retenu mais non moins sincèrement déridé. Qu’une amitié naisse entre ces deux hommes était au moins aussi improbable qu’une entente soudaine entre Gaunt et Weasley, mais cette vue de l’esprit rendait la situation d’autant plus sapide qu’elle était incongrue. Quant à la générosité du vin, qu’elle fut ou non entachée par un quelconque poison, elle en avait déjà bu deux pleins verres : il était somme toute, déjà trop tard, pour elle comme pour tous. Aussi goûta-t-elle à la remarque et leva-t-elle son verre quand celui de Bower appela le sien.
« Si nos boissons devaient contenir quelques substances nocives, je me méprendrais en supposant qu’il ne soit pas déjà trop tard pour moi également. », répliqua-t-elle d’une moue faussement inquiète. « Mais puisque le vin est bon et que nous y avons déjà goûté, autant lui rendre justice en nous en délectant jusqu’à ce que mort s’en suive. C’est amusant, j’aurais pensé que les Irlandais préféraient le whiskey. Mais je conçois que votre père ne veuille point frelater ses réserves avec de la ciguë. Mal dosée, elle ne nous donnerait que quelques maux d’estomac. Imaginez un peu le gâchis ! », plaisanta-t-elle en gratifiant le jeune homme d’un regard rieur.
Et comme pour mieux déguster à leurs réparties à tous deux, elle marqua une pause et trinqua enfin sans crainte aucune, si ce n’est celle de trop s’abreuver du vin dont il était actuellement question : « Aux incongruités ! »
Enfin, elle trempa ses lèvres dans la boisson dont elle prit le temps de discerner chaque arôme, depuis ceux légèrement fruités jusqu’à ceux, plus présents, subtilement boisés desquels s’échappaient quelques effluves de terre mouillée, détaillant par là même à nouveau la tenue de l’homme qui lui faisait face. Il portait le deuil et elle se demanda combien de fois, sur la soirée, il avait déjà dû entendre prononcer le nom de sa sœur. Elle n’osait imaginer le chagrin qui l’habiterait si elle devait un jour perdre Marius ou Maxwell et constamment se le faire rappeler. Aussi, par pudeur et parce qu’elle portait déjà au jeune Bower un respect plus grand qu’elle n’en porterait jamais au Callaghan qui se vantait tant de ses exploits, elle décida de ne point orienter pas la discussion dans cette direction. L’héritier Bower aurait toujours la possibilité d’aborder lui-même le fâcheux sujet s’il lui venait à l’esprit que c’était là un mal nécessaire, mais en ce qui la concernait, sa curiosité ne souffrirait pas de ne point se laisser aller à ce genre de débordements. En lieu et place de cela, elle s’autorisa une autre réplique badine ; légère, sans aucun doute, mais de bien meilleur aloi :
« Comment se porte votre guérisseur, Milord ? J’ose espérer qu’il ne vous reprochera pas vos… débordements de ce soir. »
Et pour illustrer ses propos, la jeune femme, passablement égayée, passa un pouce discret sur sa lèvre inférieure et accompagna ce geste d’un regard explicite, indiquant ainsi avec bienveillance au futur maître de cette demeure des plus nanties que ses propres lèvres étaient partiellement mouchetées du poison grenat dont elles se régalaient pourtant avec tant de bienséance. La soirée s’annonçait finalement de plutôt bon augure.
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Re: Consécration des Vaniteux par Ven 22 Sep - 21:12
En quelques pas agiles et pressés, les deux jeunes sorciers furent bientôt à l’abri de ces gens dont l’apparente fatuité l’irritait tant. Ainsi abrités sous la confortable alcôve, presque cachés par le lourd rideau couvrant leur refuge sur sa moitié., Aïlin se fit la réflexion qu’aucune des nombreuses alcôves du manoir ne lui avaient paru si chaleureuses jusqu’alors. Peut-être parce qu’il gardait le souvenir de recoins sombres où son père l’arrêtait pour l’y sermonner en toute discrétion, lorsqu’il était enfant.
Alors qu’ils trinquaient l’un et l’autre, Aïlin fut frappé par l’étonnante intimité dont ils avaient l’impression de jouir à présent. Le brouhaha des conversations, des rires et des exclamations semblaient moins leur parvenir que les harmonies des musiciens, dont les échos semblaient caresser la pierre blanche avant d’atteindre leurs oreilles. C’était dans cette atmosphère charmante, que l’on aurait pu prétendre romantique si tenté que l’un ou l’autre avait eu la moindre arrière pensée, que Lenore l’invitait, ni plus, ni moins, à profiter des plaisirs de la boisson sans se soucier de la mort ou, plus probablement, de l’ivresse. Un sourire au bord des lèvres, Bower écouta les plaisanteries de la jeune Greengrass avant d’y répondre avec la même spontanéité :
« Les irlandais aiment les bonnes choses et ne sauraient se restreindre à un seul et unique plaisir, Milady. M’est avis que mon père estime cependant plus judicieux de servir du vin lorsque les festivités se composent d’une dominante britannique… Sans vouloir vous vexer, les vôtres n’ont pas la réputation de tenir l’alcool… pas assez tout du moins pour tenir la distance face à vos obligés ! Mais, si le vin ne vous semble pas assez typique, je serai ravi de vous débusquer une bouteille aux saveurs plus… locales. »
Se taisant, l’alchimiste savoura une gorgée de vin, non sans perdre Lenore du regard. Aussi, l’éclat amusé dans les yeux de son invitée ne lui échappa pas lorsqu’elle entonna une question qui, sous couvert d’innocence, camoufla un jeu de mot qu’un pouce glissé sur le bord de ses lèvres révéla avec éloquence. Un mélange de surprise et d’amusement fit réagir le jeune homme qui, machinalement, détourna à demi la tête pour effacer le carmin maculant sa lèvre, comme une preuve de son accointance un peu trop prononcée avec la bouteille. Ne se démontant pas pour autant, il répliqua, sur le même ton :
« À mon plus grand soulagement, l’interdiction qu’elle m’a opposé lors de ma convalescence est depuis longtemps levée. Je ne serais sinon pas là pour servir votre vin et veiller sur votre tranquillité !... » jetant un regard par delà le rideau, il ajouta : « ...Je ne saurai supporter un tel cheptel en demeurant sobre. ».
En parlant de son guérisseur, Lenore avait ravivé le souvenir de Passiflore Delacour, la charmante française à qui il devait ni plus ni moins la vie. Un sourire assombri étira ses lèvres lorsqu’il se rappela la conversation qu’il avait eue, des semaines auparavant, avec Crestian. Le destin semblait s’être amusé avec eux, en faisant de celle à qui Aïlin devait sa survie, la promise de son ami. Mais il avait aussi été cruel, car ce soir où Crestian surprenait l’héritier Bower par cette union pour le moins inattendue, avait été le soir où Donaghue était revenu prendre sa revanche sur les hommes Bower, en s’emparant de la vie de la fille cadette. Malgré le respect et la sympathie que lui inspirait Miss Delacour, son souvenir était entaché par les sombres circonstances qui, par un odieux coup du sort, gravitaient autour d’elle.
Bower réalisa cependant que Lenore avait dû au moins entendre parler de Passiflore, si ce n’était la rencontrer. Crestian n’avait certainement pas pu cacher aussi longtemps ses stupéfiantes intentions. Certes, le clivage entre sorcier du peuple et élite n’était pas officiellement marqué par le don de titres de noblesse entre sorciers, mais Aïlin ne savait que trop bien quels défauts on prêterait à Miss Delacour. Quand bien même il n’en avait rien dit à son ami, lui-même avait eu immédiatement conscience qu’il ne s’agissait pas d’un parti tolérable pour un héritier de la stature de Crestian. Il ne s’agissait pas seulement de ses ascendances, déjà très discutables, mais également de son extraction. Il y avait un fossé entre les deux soupirants qu’Aïlin imaginait difficilement surmontable. Qu’en pensait la jeune sorcière face à lui ? Amener le sujet pourrait être considéré comme une provocation ou une moquerie, la branche Greengrass de la famille ayant dû être davantage retournée par la nouvelle que les Longbottom, mais en tant que cousine, Lenore éprouvait peut-être assez d’empathie envers Crestian pour ne pas le juger définitivement stupide. Il y avait fort à parier néanmoins que toute cette histoire devait la rendre aussi sceptique que lui.
« Cependant, il n’est peut-être pas avisé de vous laisser être témoin de mes excès ! Après tout, celle à qui je dois la vie n’est autre que la fiancée de votre cousin. J’espère cependant avoir les arguments pour faire de vous, ce soir, ma complice plutôt que mon délateur. »
Ramenant son verre à ses lèvres, le Serdaigle ponctua son invitation d’un clin d’œil mutin.
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Re: Consécration des Vaniteux par Lun 16 Oct - 18:37
« Je ne suis pas bien certaine, en ce qui me concerne, de vouloir gager de la véracité des réputations que l’on prête si volontiers à l’un ou à l’autre. M’est avis que les fonds de vérité qui se tapissent parfois derrière ces préconceptions se déforment trop facilement derrière le miroir grossissant de la méconnaissance et de l’incompréhension, et que la fable nous en apprend parfois autant sur le sujet que sur le colporteur. »
Elle sourit tandis qu’une mélodie nouvelle en provenance de la salle de réception accrochait son oreille, s’interrogeant sur la pertinence de la remarque qui venait de lui traverser l’esprit et dont elle fit rapidement le choix de ne pas se priver : « Je pourrais par exemple m’interroger sur ce que votre observation très à propos sur les Anglais m’apprend du rapport qu’entretiennent les Irlandais avec la sacro-sainte boisson. »
Ou même sur celui que le sorcier lui-même nourrissait avec celle-ci, ne put-t-elle s’empêcher de mentalement ajouter sans toutefois oser le formuler.
« Mais je ne pourrais nier que ces idées reçues recèlent parfois des réalités, dont la plus criante, sans doute, est qu’il faut bien entretenir nos vieilles rancunes, n’est-ce pas ? »
Ce disant, elle s’autorisa un clin d’œil en direction du jeune homme, et conclut : « Je ne suis, en ce qui me concerne, pas très rancunière. Et si je ne peux vous cacher que je suis bien Anglaise, je ne recule jamais devant un peu d’exotisme. »
Alors que Lenore acceptait si subtilement de délaisser le vin, pourtant si bon, dont ses lèvres goûtaient à nouveau avec tant de délices, pour les faveurs d’un confrère plus corsé, elle se pencha légèrement pour observer par derrière le rideau qui camouflait à demi l’amas tapageur que lui désignait le futur lordship. Aussi, en quelques sortes déjà complice, elle rit de bon cœur en lui assurant sa totale compréhension lorsqu’il confessa trouver en la boisson une alliée de taille pour affronter l’essaim piqué d’augustes mondanités qui s’affolait là comme des abeilles autour de mélilots blancs. C’est alors qu’en écho à une surprenante tentative mélodique que s’autorisa l’un des violonistes, l’entrevue prit un tour inattendu. Cependant qu’évoquant le guérisseur d’Aïlin, la sorcière s’était contentée d’un bon mot en référence à leur précédent entretien ; celui-ci avait préféré ne pas voir l’allusion pour amener, aussi soudainement qu’un saule cogneur pleure son feuillage au début de l’automne, l’épineux sujet Passiflore Delacour au centre de la conversation. Loin pourtant de se laisser déstabiliser, Lenore dévisagea son interlocuteur avec une intensité redoublée, sondant placidement, mais non sans vergogne, ses intentions. Qu’il ne soit pas au courant de ce qu’il s’était passé en la demeure Greengrass quelques jours auparavant lui semblait particulièrement improbable, tant cette histoire si bien vendue par la Gazette du sorcier reluisait encore, grasse et appétissante à souhait, comme le poisson à la criée un jour de marché ; et tant celle-ci alimentait jusqu’en la résidence Bower, les racontars de bas étage les plus vils. Qu’il se figure que la vélane soit toujours la promise Longbottom était donc particulièrement surprenant, tout comme d’ailleurs le fait qu’il fût tenu au courant de cette première affaire, soigneusement camouflée aux oreilles indiscrètes. Concernant ce dernier fait néanmoins, il demeurait possible que Bower ait été instruit des romanesques résolutions d’épousailles de Crestian par Crestian lui-même, ce dernier ayant vaguement laissé entendre à sa cousine qu’une camaraderie nouvelle les liait désormais tous deux. L’auror, très peu avisé dans cette démarche – ce qui, regrettablement, ne surprenait en ce moment plus Lenore – aurait donc précipitamment annoncé ses desideratas envers miss Delacour sans avoir eu par la suite l’opportunité d’informer son nouvel ami des heureux changements qui, depuis un peu moins de deux semaines, s’étaient si bien immiscés dans le cours tranquille de sa vie.
Cette explication, toute plausible qu’elle était, ne satisfaisait cependant que moyennement la Serdaigle qui s’étonnait toujours de ce que Bower fût apparemment le seul à n’avoir point ouï dire que Longbottom et Greengrass seraient promis l’un à l’autre. La période troublée que devait vivre le frère qu’il avait été – et était encore, d’une certaine façon – expliquait peut-être sa potentielle ignorance, mais dans un monde d’apparats et d’apparences, persiflage et raillerie semblaient être des motifs plus cohérents. Quelque chose, pourtant, dans l’expression de son vis-à-vis – cette connivence dont avait témoigné un clin d’œil discret dans sa direction, sans doute – la faisait douter d’aussi pernicieuses visées et rendait malaisées ses interprétations. À cela s’ajoutait à l’évidence la collusion qu’il avait évoquée et qui était supposée les unir, en ce moment du moins, dans la protection mutuelle de leurs arrières et de leur tranquillité. Elle n’était d’ordinaire pas sensible aux flatteries mais, pour l’heure, elle devait bien admettre préférer s’accointer d’un Serdaigle à l’esprit vif que de n’importe quel autre convive à la jacasserie futile et au jugement fat d’indolence. Mais cela rendait-il celui-ci pour autant bienveillant à son égard ? La sympathie qu’il lui inspirait présentement ne le rendait pas moins inconnu de sa personne.
Un sourire intrigué au coin des lèvres, elle retint donc un son incertain, et, continuant de sonder Bower avec une intensité de semblance paisible, elle porta une nouvelle gorgée de vin à sa bouche avant de lui donner la réplique sans la moindre affectation :
« Miss Delacour serait donc votre guérisseur ? Voilà qui est plutôt cocasse. J’ai récemment eu le plaisir de faire sa connaissance… Une personne tout à fait charmante. »
Elle hésita. Malgré l’évidente ironie de son intervention, elle se demanda si elle devait ou non étoffer son propos. D’une complexion plutôt discrète en matière d’émotions, Lenore n’avait pas pour habitude de s’épandre sur sa vie privée avec des inconnus. Sans compter qu’aborder la chose ne ferait que donner du crédit à une rumeur – pour autant qu’il s’agisse vraiment d’une rumeur – déjà grandissante. D’un autre côté, s’il n’était déjà pas au fait de celle-ci et pour autant que cela l’intéresse vraiment, Aïlin Bower finirait par l’apprendre de son propre chef, et peut-être valait-il mieux que ce soit par la bouche de la jeune femme elle-même que par celle de l’un ou l’autre détracteur. Par ailleurs, énoncer elle-même ne serait-ce que le fait que Crestian et la Française n’étaient plus engagés, lui donnerait un certain contrôle sur le renseignement. Mais cela ne décrédibiliserait-il pas Crestian ? Ce n’était pas là sa volonté, mais Bower devinerait sans peine quelles raisons pouvaient avoir poussé un jeune héritier à dissoudre ses promesses de mariage avec une demi-vélane sans fortune ni titre. Indécise sur la marche à suivre, la fille Greengrass conclut donc que le plus avisé serait certainement, dans un premier temps, d’interroger directement Aïlin Bower sur l’objectif qu’il poursuivait en évoquant une histoire qui ne le concernait en rien, ce qu’elle fit finalement en lui posant avec spontanéité et simplicité la première interrogation que lui avait inspirée sa répartie :
« Mais, pardonnez la question qui me vient à l’esprit. La décence voudrait que je la taise, mais je ne pourrais faire honneur à la franchise un peu fruste qui m’est d’ordinaire naturelle si je n’osais vous demander : vous ririez-vous d’une quelconque façon de la situation, lord Bower ? C’est que, voyez-vous, aussi engageante que puisse a priori paraître la perspective, à l’heure de me risquer en terres inconnues, je ne voudrais pas me méprendre sur vos intentions. »
Sans le moindre aigreur ou inimité sur le visage, Lenore pencha la tête sur le côté, approcha sa coupe de sa mâchoire et offrit un demi-sourire serein à son allocutaire, simplement curieuse de sa réponse qui, sans aucun doute, l’éclairerait sur la réaction qu’il cherchait à susciter. Qu’il ne soit pas informé de la situation et il verrait en celle-ci une allusion au déshonneur que représenterait l’union d’un Longbottom avec une illustre inconnue venue du continent ; qu’il le soit et il afficherait vraisemblablement un air trompeusement désolé et se dédouanerait en déclarant, d’une façon ou d’une autre, n’avoir point voulu la froisser ou s’immiscer dans une affaire qui ne le regardait pas. Dans tous les cas, le dessein de sa dernière répartie lui apparaîtrait plus clairement et elle tiendrait par conséquent un rien plus adroitement les rênes de cette discussion, en espérant que cela la rendrait à nouveau si plaisante qu’elle l’avait été jusqu’alors. Se faisant cette réflexion, Lenore s’autorisa, après une parole de courtoisie, à prendre place sur l’un des deux sièges qui les appelaient à un repos sommaire. Puisqu’ils devaient tous deux se cacher là des tentacules pressants du beau monde malgré le léger inconfort dans lequel le fils de Devin Bower venait de la plonger, autant ne point davantage faire souffrir ses jambes de trop rester à la verticale sans se dégourdir réellement et se préparer à accueillir avec respect la réponse du jeune homme en même temps que l’Irlande confinée dans ses plus beaux atours de verre, comme cela lui avait si galamment été proposée quelques instants auparavant.
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Re: Consécration des Vaniteux par Dim 19 Nov - 21:34
Avant même qu’elle n’ait étayé sa pensée, l’héritier Bower avait pressenti, plus qu’un jugement sur l’amour des irlandais pour les excès liquoreux, une insinuation au sujet de sa propre personne, qui, dans une bouche moins charmante, l’aurait à coup sûr vexé.
Jusqu’alors, rien n’avait pourtant laissé présager que Lenore porte sur lui un tel regard, tant elle paraissait apprécier sa compagnie. Aussi, la légère estocade n’avait pour l’heure, lui semblait-il, guère plus de méchanceté qu’une taquinerie amicale.
Bower n’avait d’ailleurs pas la réputation de se vautrer en public dans les excès que l’on pouvait reprocher à d’autres sorciers de son âge et, contrairement à ce qu’en disait la rumeur, il n’avait pas une hygiène de vie aussi questionnable que le voulaient ses détracteurs. Les mauvaises langues voulaient en effet que le sang-mêlé qu’il était, ce bâtard au regard de la précieuse et pure lignée irlandaise qu’il aurait dû représenter, se noyait en secret dans l’alcool, les poisons hallucinogènes dont il avait appris les recettes dans le dos de son maître à penser mais, surtout, qu’il était un véritable danger pour les jeunes femmes sur lesquelles il jetait son dévolu, sans se soucier du terrible déshonneur qu’il faisait peser sur elles.
En vérité, il devait cette rumeur infâme davantage à son père qu’à son propre comportement, bien qu’il admettait être volontiers charmeur.
Celles dont le nom avait été associé au sien avaient plutôt été les proies du marquis de Sligo et de ses manipulations politiques. Il avait l’art et la manière de faire croire en des promesses qu’il ne faisait pourtant jamais. Mais, à force de suggérer la main de son fils sans jamais la donner, Devin viendrait un jour à ne plus trouver de familles dupes de son jeu.
Sa pensée s’égarait cependant, et Aïlin se rappela à lui-même tandis que Lenore acceptait sans rechigner l’invitation de son hôte à profiter d’un alcool du cru. Aussitôt, le jeune homme attira d’un regard appuyé l’elfe qui, ayant écouté l’échange, comprit aussitôt ce qu’on attendait de lui. Il disparut dans un « plop » alors qu’Aïlin se laissait aller à une remarque acerbe sur le quidam de cette soirée, s’octroyant l’éclat de rire et de connivence de la fille Greengrass.
Pourtant, sa dernière remarque métamorphosa subtilement l’atmosphère. Il s’en était douté, quand bien même il n’avait pas eu d’autres intentions que celles motivées par sa curiosité et l’intérêt qu’il portait à son ami Crestian.
Les grands yeux de Lenore semblèrent le sonder derrière leur superbe tranquillité, et le sourire que cachait à demi son verre invitait presque le jeune homme à se méfier de ce qu’il allait dire ensuite.
La question, savamment formulée, que ne tarda guère à poser la jeune lady confirma la nature des questionnements tournant dans cette cervelle bien faite. Et, tandis que Lenore s’autorisait enfin à prendre ses aises dans un fauteuil en attendant la réponse de son vis-à-vis, Aïlin suivit le mouvement de son interlocutrice pour s’asseoir dans celui d’en face.
« N’y voyez pas là la marque d'une moquerie. » sourit-il en levant machinalement son verre au niveau de son visage. « J’ai une sincère estime pour Crestian, quand bien même nous différons sur bien des points. Quant à Miss Delacour, je ne saurai vous décrire la gratitude que j’éprouve envers elle. »
Aïlin marqua une courte pause pour appuyer la sincérité de son propos. Il avait, sans s’en rendre compte, approché sa main libre du foulard qu’il portait autour du cou jusqu’à effleurer du bout des doigts le tissu de soie derrière lequel se cachait la cicatrice argentée qu’il porterait désormais jusqu’à la fin de ses jours.
« Si elle n’avait pas eu l’audace d’imposer des méthodes non conventionnelles pour me sauver, je ne serais pas là ce soir pour décrire avec quelle tempérance et quelle abnégation elle a exercé son devoir. Pourtant, autant en tant qu’alchimiste qu’en tant qu’irlandais, je suis loin d’être un patient docile... »
Il réalisa, en concluant sa phrase d’une gorgée de vin, à quel point le sujet de la conversation s’approchait de lui. Alors, Bower se racla discrètement la gorge et accrocha le regard de Lenore, à laquelle il adressa un nouveau sourire.
« Par ailleurs, je serais bien mal placé pour critiquer ses ascendances, bien qu’en toute honnêteté, le choix de mon ami m’a surpris de part l’extraction de sa promise. Il est toutefois bon de se rappeler que la noblesse de l’âme vaut souvent bien mieux que la noblesse de naissance, et qu’il est plus admirable, pour aussi dur que cela soit, de vivre selon son âme et conscience plutôt que selon l’étiquette imposée par nos aïeuls. »
La joyeuse mascarade qui se déroulait à côté d’eux et de laquelle ils s’étaient provisoirement protégés était une criante illustration des paroles du jeune alchimiste, si bien qu’il quitta un instant le regard de Lenore pour rouler une oeillade méprisante vers le rideau les protégeant.
Finissant d’un trait son verre de vin, il ajouta :
« C’est à ce titre que je lui ai promis mon soutien, quoi qu’il vaille, et je m’efforce d’être un homme de parole. »
Comme pour conclure, le jeune homme fit tourner son verre vide entre ses doigts. Celui-ci disparut dans un discret volute de brume magique, au moment précis ou l’elfe de maison revenait chargé d’une bouteille de whiskey dont l’apparence laissait présager le temps qu’elle avait passé à veiller dans la cave du manoir. On ne devinait plus le nom du breuvage sur l’étiquette usée par le temps et la poussière, mais au travers le verre, le breuvage semblait aussi chatoyant que s’il avait s’agit d’or liquide. Une belle nuance ambrée marqua l’apéritif quand, d’un claquement de doigts, le serviteur fit pivoter la bouteille vers les deux verres flottant maintenant entre les deux jeunes gens. Puis, dans un mouvement doux, ceux-ci allèrent vers leur propriétaire désigné, qui n’eurent plus qu’à tendre leur main pour recevoir la boisson à la saveur aussi puissante que l’éclat de sa robe.
Son verre calé dans le creux de sa main, Aïlin leva celui-ci et, adressant un clin d’œil complice à lady Greengrass, prononça dans sa langue natale :
« Sláinte agus táinte, bhean Lenore. »
- Héritier rebelle
Que vois-tu…?
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