Diplomatie à l'anglaise par Dim 1 Nov - 20:46
Transplaner eût été plus avisé. Non pas que contempler la couleur vert et gris de l’immense plaine qu’ils traversaient eut quoi que ce soit d’ennuyeux, mais elle eût préféré se sentir le droit de s’en émerveiller. Marcus avait cependant été catégorique : transplaner attiserait la méfiance des quelques diplomates moldus qu’ils rencontreraient et ils avaient présentement besoin de leur entière coopération. Il semblait pourtant évident, aux yeux de la jeune femme, que la supposée absence d’animaux de trait serait plus propice à susciter cette méfiance, mais elle s’était abstenue de donner son avis à ce sujet. Pour l’heure, ils voguaient donc enfermés dans leur cabine, chaudement vêtus de capes et de fourrures, dans le silence le plus complet.
L’affaire qui occupait le porte-parole était un imprévu et semblait fortement le contrarier. S’il n’avait pas informé sa fille de sa teneur, leur destination et la lecture des journaux lui avaient fait supposer qu’il s’agissait des deux sorciers qui, ayant cru bon faire publiquement démonstration de leurs talents de combats à Londres, s’étaient aussitôt réfugiés à l’ambassade d’Irlande, et dont l’Angleterre exigeait désormais qu’ils lui soient remis. Comme souvent, le futur des uns se réglerait donc autour d’une boisson chaude chez les autres, idée qui contrariait quelque peu la sorcière.
Elle soupira et une fumée vaporeuse la sépara un instant de l’homme qui l’avait élevée. Elle n’avait pas envie d’être là, à figurer d’un salon à l’autre, d’autant qu’elle savait qu’elle n’y était pas pour les bonnes raisons. Ce n’était en aucun cas parce qu’il l’estimait capable d’entendre la politique ou, pire, de donner son avis sur la chose, que son père l’avait emmenée avec lui ; et moins encore dans un souci de formation ou d’information, mais bien parce qu’il savait d’expérience que la présence d’une femme tempérait les ardeurs les plus houleuses, et notamment celle ce noble moldu, le comte de Mexborough, qui n’avait osé exposer devant elle l’étendue de son mécontentement. Tout avait soigneusement été calculé par lord Greengrass : l’effervescence de certains individus plus prompts à débattre qu’à agir se tempère naturellement face à la gent féminine, mais cette sensation d’être l’un des infimes rouages d’une manipulation trop bien rodée sans en avoir été préalablement informée lui était tout aussi déplaisante qu’elle était salissante. La mission terminée, elle avait d’ailleurs émis le souhait de rejoindre l’Angleterre mais, bien qu’elle ne percevait désormais plus l’utilité de sa présence, la permission ne lui avait pas été accordée : ils partiraient dès le lendemain, elle souffrirait bien une journée de plus, après tout.
Un craquement sonore se fit entendre et l’extirpa de ses pensées. La brouillard bas qui demeurait immobile, comme suspendu entre sol et azur depuis leur départ, s’était intensifié, mais les tableaux qu’il dessinait se faisaient néanmoins plus sobres et dénotaient leur arrivée dans le domaine Bower, dont les chemins bien tracés semblaient instinctivement les mener vers le cœur. Bientôt, s’esquissèrent des allées domptées où fleurissaient, par moments, dans des parterres faussement sauvages, quelques prétentieuses fleurs d’hiver, et leur voiture s’arrêta. Sans mot dire, Lenore observa Marcus Greengrass poser le pied au sol et lui offrir sa main gantée de cuir pour l’inviter à en faire de même. Bien malgré elle, elle prit alors appui sur celle-ci et fut instantanément piquée par le froid mordant du pays. Raidie jusqu’à l’échine, elle redressa alors la tête et considéra placidement la considérable résidence de lord Devin Bower.
Leur arrivée, forcée par les événements, n’était pas prévue, et il était probable que celle-ci incommoderait leur hôte au plus haut point ce à quoi, malgré les bonnes manières qui lui avaient été inculquées, la jeune lady était totalement indifférente. D’ordinaire, elle ne jugeait pas autrui avant d’avoir eu l’opportunité d’une discussion, mais elle ne parvenait pour autant pas à accorder sa confiance à ce lord qui avait laissé croire à tous au décès de son héritier, et moins encore en ce fils qui s’était complu au jeu. S’il avait été l’un des préfets de Rowena à l’époque où elle n’était encore qu’une jeune collégienne, elle ne gardait qu’un vague souvenir d’Aïlin Bower. Elya, lui avait bien parlé de lui à plusieurs reprises, mais elle prenait désormais conscience avec une certaine gêne qu’elle ne savait que très peu de ce jeune homme et qu’elle n’était pas désireuse de faire davantage sa connaissance.
Et pourtant, ses pas gravissaient les quelques marches blanches du perron et la menaient désormais vers l’intérieur du manoir, dont la chaleur vive empourpra ses joues. Toujours emmitouflée sous son épaisse cape, elle frissonna et un elfe de maison fit son apparition, un air vaniteux et grotesque sur son épais visage. Il les détailla et se tourna enfin vers l’imposant homme tout drapé de noir et de pourpre derrière lequel deux autres de ses congénères refermaient déjà les portes.
« Informe ton maître de l’arrivée de lord Greengrass et de lady Lenore, sa fille ».
La créature acquiesça et, bientôt, tandis que Lenore se dégantait doucement pour délier ses doigts douloureusement glacés et profiter de l’agréable température des lieux, tout ne fut plus que calme et attente.
Dernière édition par Lenore I. Greengrass le Sam 26 Aoû - 16:22, édité 3 fois
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Re: Diplomatie à l'anglaise par Sam 7 Nov - 16:43
D’un pas feutré, l’alchimiste s’approcha du baldaquin. Il se pencha, tendit la main et releva une mèche de cheveux noirs pour effleurer le front de l’endormie. Quelques gouttes de sueur perlaient sa peau échauffée par la fièvre.
« Oh, Lynn… Dans quel état t’es-tu mise à cause de toute cette affaire… » murmura Aïlin dans un soupir, tout en ôtant sa main du front de sa sœur.
Elle était la seule raison pour laquelle il restait au manoir. Son retour parmi les vivants avait profondément choqué sa cadette, au point qu’elle avait défaillit en rencontrant son regard. Cependant, Aïlin n’aurait su dire ce qui l’avait le plus affectée, entre la découverte de la mascarade de leur père et la terrible confrontation qui avait suivi ces improbables retrouvailles. Le mal qui touchait Lynn persistait depuis cinq longs jours, assommant la jeune femme d’une faiblesse que son frère ne lui avait jamais connue.
Cela faisait trois jours, à présent, que l’héritier était revenu au manoir. Trois interminables journées à veiller sa sœur et éviter la rencontre de son père, dont la seule vue lui causait des tics nerveux. Son humeur déjà tumultueuse noircissait un peu plus à chaque crépuscule. Non seulement les philtres qu’il avait préparé pour sa sœur ne lui avaient été d’aucun secours, mais le manoir Bower l’insupportait davantage au fil des heures. De ses pierres immaculées aux boiseries sculptées, des fauteuils aux tentures, jusqu’au son de l’horloge du grand salon en passant par les grincements bien connus du plancher sous ses pas, tout rappelait à Aïlin qu’il était, malgré lui, enfermé dans la demeure de son père, retenu en otage par l’inquiétude qu’il éprouvait pour Lynn.
Si la maison de son père n’avait jamais été un havre de tranquillité, jamais ces murs n’avaient enfermé tant de rancœurs et de tensions. Tous s’évitaient, au point que les elfes de maison avaient modifié leurs habitudes pour permettre à chacun de ne plus partager un repas. Seule Bronach se résignait, la mine basse, à tenir compagnie à son maître et époux lors du souper. Mais là encore, ils n’échangeaient pas un mot. Aïlin pour sa part, était d’une humeur si aigre qu’il en oubliait souvent de satisfaire ses besoins fondamentaux. Le sommeil, de même que la faim, le fuyaient.
Soudain, le calme presque paisible de la chambre mourut avec le grincement trop strident de la porte. Aïlin releva un regard perçant vers l’entrée, puis plissa les yeux, gêné par la lumière qui profita de l’ouverture pour pénétrer la chambre. Sur le pas de la porte, une petite créature grisâtre leva de grands yeux craintifs sur le fils du lord.
« Que maître Aïlin me pardonne… mais Aodh doit prévenir le maître que le lord Greengrass et sa fille ont été annoncé…
— Et que m’importe l’intrusion de ces extrémistes en devenir dans la demeure de mon père ? Je ne suis guère disposé à faire des courbettes à des sorciers qui ont dû sourire de la mort du bâtard Bower. » cracha Aïlin dans un murmure venimeux.
La colère sourde, chargée de haine, qui étincela dans le regard de l’héritier Bower choqua l’elfe. Avec un mouvement de recul, il balbutia :
« M… mais le maître a demandé à ses serviteurs de l’avertir dès lors qu’un père se présente auprès du vôtre en compagnie de sa fille…
— Crois-moi, Aodh, ces deux-là ne viennent guère pour le sujet qui m’intéresse. Tu peux disposer.
— Maître Bower senior reçoit Sir Greengrass et lady Lenore dans le grand salon, si Maître Aïlin désire les saluer. »
Sans plus insister, l’elfe referma la porte sur lui, plongeant de nouveau l’alchimiste dans la pénombre. Se tournant vers sa sœur, qu’il croyait encore assoupie, il se figea en découvrant ses yeux, bien ouverts, levés vers lui.
« Que viennent faire ces gens chez nous… ? »
La question, en effet, méritait d’être posée. Sans être ouvertement vindicatifs à l’encontre des Bower, le clan Greengrass était loin d’être de ceux comptant parmi les alliés de leur famille. Tout au plus les deux familles conservaient-elles l’une pour l’autre les simagrées d’usage, pour le seul bien être des affaires. Cependant, il n’échappait à personne que toute potentialité d’entente s’était effondrée à l’occasion du mariage de Sir Bower. Si sa maison s’était trouvée enrichie de nouvelles terres et de nouveaux trésors, et si cette union avait élevé Devin au rang de lord, titre volé au nez et à la barbe de l’héritier moldu qui aurait dû en écoper, les familles comme celle des Greengrass y avaient vu, au contraire, la perte d’un prestige. La trahison d’une ancestrale famille sorcière, ouvrant sa porte à une mutmag. Il ne fallait guère, pourtant, être né de la dernière pluie pour se rendre des intérêts qui avaient poussés Devin vers ce choix. En cela, il fallait reconnaître à son père une supériorité sur ces gens qui avaient décidé de cliver le monde en deux couleurs : le blanc et le noir.
Des imbéciles, en somme, qui venaient profaner le marbre du salon alors que ceux envers qui ils tournaient un regard écœurant d’envie avaient tenté d’assassiner l’héritier de leur hôte.
Aïlin se leva. Il avait fermé le poing sans même s’en rendre compte mais sa sœur, découvrant à son maintien la tension qui l’animait, se redressa.
« Aïlin…
— Je me fiche après tout d’apprendre ce que des hypocrites peuvent bien trouver comme excuse pour s’inviter au manoir, mais j’ai bien envie de montrer à tous ces attardés réactionnaires que je suis encore debout.
— Ne fais rien d’irréfléchi. Je refuse de te voir encore agir d’une façon qui déplairait à père.
— Je ne le crains pas.
— Moi je le crains ! Cela devrait te suffire ! Et je crains aussi pour ta santé. Tu serais en meilleur état si tu n’avais pas choisi de te confronter directement à père… Ne recommence pas, car je n’y survivrai pas moralement. »
Aïlin pinça les lèvres, retenant un soupir contrarié. Lynn avait cependant raison, et il ne put qu’acquiéscer. Il dût encore lui assurer qu’il montrerait des manières convenables pour qu’elle le laisse enfin appeler Brady à son chevet, puis sortir de la chambre.
L’ancien Serdaigle s’arrêta devant le miroir accroché à l’entrée du salon. C’était un réflexe, une habitude inculquée par son père qui n’acceptait de recevoir ses enfants que dans une allure impeccable. Pour l’heure, le jeune homme ignorait si son père retiendrait la provocation ou l’élégance de son fils, qui avait revêtu une parure qui rappelait aussi bien son rang que son sang. La cape sorcière avait été en effet troquée pour une redingote tout à fait moldue, laquelle demeurait ouverte sur sa chemise de lin ourlée d’un jabot sans extravagance. Celui-là, noué par une épingle sertie d’une topaze, n’avait d’autre utilité que de cacher la double estafilade qui traversait sa gorge. Cependant, ses efforts pour faire impression ne pouvaient effacer son teint blafard et le flottement de ses épaules amaigries dans son costume.
Se détournant de son reflet un rien spectral, Aïlin poussa les double-portes du vaste salon, qui s’ouvrirent avec leur fracas habituel.
Les deux convives étaient déjà installés. Comme à l’accoutumée, Devin Bower régnait dans son large et luxueux fauteuil, dos à un âtre flamboyant. Aodh venait de servir le thé et apportait, tout en regardant ses pieds, une tasse à la fille Greengrass, dont Aïlin ne devinait que la nuque. Il n’eut guère le temps d’observer davantage, que son regard rencontra celui du lord. Une animosité brûlante noua son ventre, mais il s’avança pourtant avec une attitude détachée, comme s’il n’avait pas conscience du regard perçant qui le suivait.
« Sir Aïlin Bower. » annonça l’elfe d’une petite voix précipitée.
Un sourire de convenance, plus naturel pourtant que celui de son père, ourla les lèvres d’Aïlin au moment où il se présenta devant lord Greengrass et sa fille. Il inclina légèrement le buste, puis porta son attention sur le patriarche.
« Quel surprenant honneur vous faites à notre maison, lord Greengrass. C’est un bien pénible voyage que vous avez dû entreprendre pour parvenir jusqu’à nos terres… » salua-t-il, camouflant le sous-entendu derrière son sourire affable. Puis, se tournant vers la jeune fille qui avait manifestement été traînée ici contre son gré. « Mademoiselle, c’est un honneur de faire votre rencontre. »
Tandis qu’Aïlin prenait place aux côtés de son père, ce-dernier reporta son attention sur lord Greengrass :
« Bien… Je me demandais donc si quelque urgence vous aurait forcé à cette escale imprévue ? Il est bien rare de voir un anglais de votre stature perdre la correction qui le pousse normalement à s’annoncer d’abord à ses hôtes, afin de leur permettre de le recevoir dans les meilleures conditions. »
Manifestement, l’intrusion déplaisait également à lord Bower. Si Aïlin avait craint que son père ne fasse des manières à l’encontre de ces gens qui l’estimaient comme un bâtard, il se permit, à présent rassuré, un maigre sourire sardonique. Il ne prenait certes pas le parti de son père, mais sa colère envers ceux qui se promulguaient sang-purs était bien trop fraîche pour qu’il ne puisse retenir la satisfaction qu’il éprouvait à voir Greengrass remis à sa juste place.
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Re: Diplomatie à l'anglaise par Dim 29 Nov - 22:03
C’est ainsi qu’après quelques nouvelles formules de politesse, ils se trouvèrent bientôt tous assis dans d’immenses fauteuils, à observer avec détachement un elfe grisâtre leur servir le thé. Bien que la boisson ne lui faisait guère envie en cette heure un peu précoce du jour, la jeune femme accepta néanmoins gracieusement celle-ci dans l’espoir qu’elle lui fasse oublier la rudesse de la froidure irlandaise, et c’est à ce moment que l’un de ses congénères annonça l’entrée du dernier ressuscité en date, Aïlin Bower. Sans précipitation, celui-ci s’avança dans le salon et les salua d’une courbette un rien moins affectée que celle du maître des lieux.
« Quel surprenant honneur vous faites à notre maison, lord Greengrass. C’est un bien pénible voyage que vous avez dû entreprendre pour parvenir jusqu’à nos terres… »
Relevant l’ironie qui parfumait élégamment ses propos, Lenore profita de ce qu’il s’adressait à son père pour le détailler. Elle n’avait qu’un vague souvenir de l’ancien Serdaigle, et elle n’était pas certaine qu’elle l’eût reconnu s’il ne lui avait pas été présenté à nouveau. De nombreuses années s’étaient écoulées depuis que ce dernier avait quitté Poudlard et il était, pour l’heure, un parfait inconnu ; un homme qui avait feint sa disparition et qui refaisait aujourd’hui surface comme s’il s’agissait de la chose la plus naturelle qui soit. Elle nota cependant son allure blafarde, son teint cireux et les épaules mal ajustées de la redingote moldue qu’il arborait et qu’examinait dubitativement Marcus. De toute évidence, le choix provocateur de l’accoutrement du fils Bower le laissait perplexe ; ses expressions, bien que retenues, traduisaient d’ailleurs savoureusement tout le mépris qu’il lui inspirait. Aucun désir de provocation, aussi véhément soit-il, ne valait, selon le sorcier, qu’un être pourvu de pouvoirs ne s’abaisse à exhiber des origines mutmags. Aïlin, pourtant, ne semblait pas se préoccuper du regard inquisiteur qui pesait sur ses dessus. C’est donc avec indifférence qu’il se tourna finalement vers la sorcière :
« Mademoiselle, c’est un honneur de faire votre rencontre. »
Mademoiselle. Élevant avec curiosité ses iris en direction du visage de son interlocuteur, la jeune lady considéra sereinement le fils du marquis et, sans émotion apparente, lui répondit d’une voix relativement détachée :
« L’honneur est mien, sir Bower. L’occasion ne m’est pas souvent offerte de m’entretenir avec des défunts. Aussi le plaisir de vous rencontrer efface-t-il le souvenir d’un voyage aussi long et pénible que vous ayez pu l’imaginer »
Il était surprenant de noter comme, souvent, un simple mot pouvait orienter toute une conversation. Ce pensant, la jeune femme laissa transparaître l’ombre d’un infime sourire dont elle gratifia tour à tour le fils Bower et lord Greengrass, lequel, visiblement amusé par sa remarque, lui rendit son attention. Et alors qu’elle se délectait de ce surprenant sentiment de fatuité qui l’envahissait, lord Bower prit l’initiative de rompre les usages :
« Bien… Je me demandais donc si quelque urgence vous aurait forcé à cette escale imprévue ? Il est bien rare de voir un anglais de votre stature perdre la correction qui le pousse normalement à s’annoncer d’abord à ses hôtes, afin de leur permettre de le recevoir dans les meilleures conditions. »
Manifestement satisfait, Marcus esquissa une expression faussement affable :
« Je crains ne pas vous surprendre en vous en informant, Lord Bower. Ce serait faire affront à votre sagacité que de supposer que vous ne deviniez la raison de ma venue. Je vais néanmoins vous éclairer. »
Le phrasé demeurait des plus calmes, mais Marcus marqua néanmoins une pause avant de reprendre sans hésitation, la mâchoire nonchalamment appuyée sur son index.
« Il y a eu ce malencontreux écart à Londres, dont vous avez bien sûr déjà pris connaissance. Sans surprise pour vous, le Conseil réclame que les trois individus qui se sont réfugiés à l’ambassade d’Irlande après avoir joué les trouble-fête dans la capitale lui soient remis dans les plus brefs délais afin que le magenmagot puisse répondre avec la justesse qui s’impose à leurs actes sauvages et insensés. La tension ressentie par le petit peuple est, comme vous le savez, à son comble et, celui-ci, quand il ne se repaît de pain et et de vin, aime en général à ce que justice lui soit rendue, ce à quoi nous nous attelons tous ; et ni vous ni moi ne voudrions que cette fâcheuse histoire prenne des proportions démesurées et devienne affaire d’état, n’est-ce pas ? »
Elle avait vu juste, et cela lui procurait un certain contentement teinté d’irritation : elle ne voyait vraiment pas pourquoi son propre père n’aurait pu partager avec elle ce que le simple bon sens lui avait fait si rapidement déduire, mais il aurait été malvenu de lui faire part de cette réflexion en cet instant précis. Elle s’en abstint donc et reporta son attention sur ce dernier :
« Vous excuserez certainement ma présence impromptue : Bradston et moi-même sommes d’avis que cette histoire ne mérite pas une portée déconsidérée, c’est pourquoi, voyageant actuellement non loin de vos terres, je me suis permis ce rapide détour informel qui, en aucun cas, soyez rassuré, ne devrait s’éterniser. Mais peut-être, continua-t-il en dévisageant lourdement Lenore et Aïlin, serait-il plus avisé de nous entretenir en privé. »
Ce n’est qu’imperceptiblement que les paupières de sa fille s’écarquillèrent en réaction aux dernières paroles de l’ambassadeur, mais c’est acerbement qu’elle accueillit la proposition. Elle n’avait pas pour habitude d’être conviée aux entretiens du patriarche, et d’ordinaire cela ne la frustrait guère : politique et vie de famille étaient deux choses à ne point confondre, et les conversations qui parcouraient le manoir suffisaient en général à l’informer et à sustenter sa curiosité. Mais être contre son gré traînée jusqu’en Irlande pour ensuite être reléguée au rang d’indésirable l’insupportait. Lord Devin Bower n’était pas aussi facilement influençable comte de Mexborough et Lord Greengrass, bien sûr, le savait. Mais que diable, dès lors que sa présence n’était ni requise ni souhaitée, faisait-elle en ces lieux ?
Le dos droit, c’est dans une première gorgée de thé qu’elle étouffa sa frustration avant de reposer stoïquement sa tasse sur son support. L’après-midi promettait d’être plus longue que ne le laissait présager quelques instants auparavant le discours de son père mais, naturellement rien, ne valait qu’elle affiche ne serait-ce que l’ombre de ses états d’âme.
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Re: Diplomatie à l'anglaise par Mer 2 Déc - 23:07
Pourtant, Aïlin n’en laissa rien paraître. Tout comme le regard dédaigneux du père semblait couler sur lui sans l’atteindre, l’impertinence de la sang-pur ne sembla pas frôler son oreille.
« Un peu d’originalité dans l’inépuisable rengaine des mondanités est bienvenu, n’est-ce pas ? »
Détournant le regard des œillades frivoles du père et de la fille, Bower ne revint à eux que lorsque l’ambassadeur d’Irlande coupa court à l’échange des héritiers. Sa remontrance ne resta pas sans réponse plus d’une demi-seconde, et Aïlin aurait pu sourire de la répartie aiguisée de lord Greengrass, si le personnage ne lui était pas au moins aussi méprisable que le Serdaigle semblait l’être pour lui. S’il n’avait point rencontré son regard, il avait senti ses yeux sur lui.
Lord Bower méritait qu’un homme du poids de Greengrass lui tienne tête, mais Aïlin ne se constituerait jamais l’allié d’un nom pareil. Les petites gens des Gaunt et des Black, voilà comment l’alchimiste voyait ces familles qui venaient manger au râtelier des descendants de Salazar à présent qu’il y avait moins de danger à se placer sous leur faveur. Dix ans auparavant, aucun homme de la prestance d’un Greengrass ou d’un Malefoy aurait osé montrer publiquement du crédit à la théorie des Gaunt.
La mise en bouche de l’anglais laissa Aïlin Bower perplexe. Ce dernier avait su, depuis le fin fond du dispensaire de Merlin, une bribe de l’histoire à laquelle le politicien faisait référence. La loi étant ce qu’elle était, l’ambassade irlandaise avait eu le devoir d’ouvrir ses portes aux trois fugitifs, mais elle aurait tout autant le droit de recracher ces trois abjects scélérats dans les bras de la justice anglaise.
Le regard du fils se posa sur le père, qui ne broncha pas. Cela ne ressemblait pas à la politique que semblait défendre Devin. À quoi était-il en train de jouer ? Imperceptiblement, Aïlin se crispa. D’autant plus que le regard de Greengrass se posait maintenant sur lui, l’invitant sans mot dire à débarrasser le salon de son plein gré. Les mains du jeune homme s’accrochèrent à l’accoudoir tandis qu’il prenait appui pour se lever. Un geste de son père, cependant, le figea sur place.
« Inutile. Je m’étonne que vous me parliez de justice, lord Greengrass, tout en méprisant le droit irlandais. Et je m’étonne plus encore de voir jointe à la vôtre la voix de Bradston. Serait-il devenu trop anglais pour se rappeler que la majeure partie de sa terre natale n’est point sous le joug absolu du Conseil ? » sourit Devin sur un ton badin. « Je ne vois guère, hélas, quel chemin emprunter pour trouver un terrain profitable à nos deux pays. Vous pourriez vous attarder jusqu’au dîner, cela ne changerait pas que mon ambassade représente l’Irlande et ses lois. Ne sortez pas les grands-mots avec moi, Marcus ; il n’est point d’affaire d’État quand le droit est respecté de part et d’autre. À moins, bien sûr, que vous ayez de nouveaux faits intéressants à m’apporter ? »
S’en était assez pour Aïlin. Il n’apprendrait rien de cet affrontement d’égo. S’il voulait découvrir les intentions de son père, il avait meilleur temps d’envoyer Brady espionner pour lui, depuis l’une des alcôves secrètes, plutôt que d’asseoir lui aussi fierté et orgueil en restant dans le salon malgré la demande de lord Greengrass.
L’héritier se leva avec décontraction, en dépit de l’interdiction que lui avait faite son père.
« Je vais prévenir Mrs Beckett qu’il faille rajouter deux couverts pour le souper. » plaisanta, pince sans-rire, le jeune homme. Puis, s’avançant, il passa près du siège de Lenore, à côté duquel il s’arrêta pour lui tendre une main secourable. « Me feriez-vous l’honneur de votre compagnie, Milady ? Au terme d’un si fastidieux voyage, vos membres fourbus doivent dépérir de se trouver encore forcé à l’immobilité. Je ne saurais tolérer qu’une demoiselle de votre qualité ne puisse savourer pleinement son séjour en la demeure de mes ancêtres. »
Au contraire de son père qui se montrait d’une froideur implacable à l’encontre de ses hôtes, le charme et l’amabilité dont Aïlin fit montre envers lady Greengrass semblaient lui être parfaitement naturels. Mieux encore, non feints. Pour une fois, la jeune femme suivant dans la traîne d’un aristocrate passant les portes du manoir avait assez de cervelle et d’assurance pour prendre la parole devant lord Bower. L'héritier pouvait au moins lui reconnaître cette vertu, faute de finesse pour les sujets qu'elle abordait. Il fallait espérer que sa qualité d’esprit ne faillisse pas pour le reste. Aujourd’hui, il n’avait pas Lynn pour le sauver des silences gênants jalonnant les rencontres décevantes.
Il avait au moins l’infime plaisir d’agacer son père sans que ce dernier ne puisse dire mot sur son attitude. Cette attitude, soudainement irréprochable envers la sang-pur, était exactement ce que lui avait réclamé l’ambassadeur lorsqu’il amenait, à la suite de leur père, les pucelles transparentes de fadeur venues prétendre à ses faveurs.
C’était une consolation puérile, mais sa colère était telle qu’une seule miette arrachée à l’autorité de son père avait, sur l'instant, la saveur d’un festin.
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Re: Diplomatie à l'anglaise par Jeu 28 Avr - 22:28
Son geste fut cependant retenu par celui de son géniteur qui, déjà, offrait à Marcus une répartie à la hauteur de sa verve et qui arracha à Lenore, tout comme à lord Greengrass, une pointe discrètement satisfaite. Rien ne l’amusait tant dans les conversations mondaines que d’être le témoin de la confrontation d’individualités exacerbées au verbe haut et à la coquetterie facile. Et il semblait désormais évident qu’en la matière, lord Bower n’avait rien à envier à son abhorré pair. Elle avait d’ailleurs la conviction, sans pour autant rien connaître de l’aristocrate, que ses tirades n’étaient qu’un amas de prétextes noués de principes : rien ne justifiait qu’il défende bec et ongles de petites gens de petite condition à la fois dangereux et haineux, sinon l’outrecuidance et le plaisir de la joute verbale. Il s’agirait d’ailleurs dès lors davantage de sortir vainqueur de ce combat de coq gonflés d’orgueil que de réellement discuter diplomatie. Et dans cette lutte, les intérêts des concernés ne seraient plus que menus fretins, tout juste bons à servir de prétexte à ce grotesque concours de jactance.
Le fils Bower ne semblait, quant à lui, pas tant prendre goût à l’escarmouche que menaient les deux diplomates, et l’ironie qu’il glissa à ce propos le rendit éminemment plus engageant aux yeux de la jeune sorcière. Étouffant son amusement dans une gorgée de thé, elle vit alors celui-ci s’approcher d’elle et lui tendre une main étonnamment obligeante.
« Me feriez-vous l’honneur de votre compagnie, Milady ? Au terme d’un si fastidieux voyage, vos membres fourbus doivent dépérir de se trouver encore forcés à l’immobilité. Je ne saurais tolérer qu’une demoiselle de votre qualité ne puisse savourer pleinement son séjour en la demeure de mes ancêtres. »
Silencieuse, elle le détailla : de son père, il semblait avoir beaucoup appris, comme en témoignait les manières ironiquement surfaite dont il faisait actuellement preuve dans l’espoir, probablement feint bien que remarquablement joué, de rattraper leur précédent échange. Mais elle saurait s’y ajuster et qui sait, peut-être même, d’une façon ou d’une autre, apprécier leur tête-à-tête. Tout en prenant appui sur la main qu’il venait de lui présenter, elle se redressa donc et s’adressa à lui d’une manière tout aussi cordiale et spontanée que celle qu’il avait précédemment employée :
« C’est avec grand plaisir que je vous accompagnerai, Milord. Je ne saurais souffrir d’incommoder nos pères respectifs de nos importunes présences, et délier mes membres engourdis tout en me délectant d’une telle visite en si charmante et surprenante compagnie serait un honneur d’autant plus délectable que les lieux semblent magnifiques. »
Il était vrai que la bâtisse et ses environs, témoins du faste et de l’opulence des Bower, laissaient présager de remarquables trésors d’art et d’architecture. Elle espérait toutefois que la réunion de leurs deux personnalités, a priori fortes et tranchées, saurait nourrir suffisamment leurs discours et qu’il ne s’agirait pas uniquement de superficiellement se complimenter de l’une ou l’autre supposée prouesse de goût.
C’est ainsi que, tout en s’avançant vers la porte à double battant en compagnie du fils du lord, elle entendit son propre père prendre calmement la parole sans même relever sa provocation, comme s’ils n’étaient déjà plus là, voire ne s’y étaient jamais trouvés.
« Les faits, Lord Bower, vous les connaissez. Les dénommés Bronach et Sloan McCormack, tous deux frères de sang et sorciers irlandais, ainsi que Baile O’Donell, également sorcier irlandais, se sont tous trois postés à proximité de votre ambassade avant de lancer sur les passants, sorciers et moldus, de nombreux sorts de grande virulence – expelliarmus, emendo, deprimo, stupefix, doloris, avada kedavra. Se trouvant tout proches de votre délégation diplomatique, ce qui laisse entendre, ou tout au moins supposer, la préméditation de leurs actes, ils n’ont ensuite eu que quelques pas à faire pour franchir le seuil de vos locaux, laissant à même le pavé les corps sans vie de pas moins de onze sorciers et quatre moldus, dont deux étaient encore en bas-âge, ainsi que dix-huit blessés graves. Notons qu’un dignitaire français et que deux Irlandais figurent sur la liste des personnes décédées. Et il est à supposer que leurs familles, tous comme celles des autres victimes, réclameront les compensations que leurs sont dues et que justice leur soit rendue. Car oui, Devin, je vous parle de justice, et c’est pourquoi la voix de Bradston qui, comme chacun de nous ici présents, voit les intérêts du peuple avant les siens, se joint aujourd’hui à la mienne. Je vous parle de cette justice qui s’accommode volontiers d’une valeur morale que lui réfute trop souvent le droit. Malheureusement, de l’un découle l’autre, et l’on ne saurait trouver de légitimité à un droit qui ne rend pas justice, n’est-il pas ? »
Visiblement confiant et toujours aussi posé, Marcus marqua une légère pause avant de reprendre :
« Alors, certes, il est du bon droit de vos compatriotes de se réfugier en votre ambassade tels des bambins colériques dans les jupons de leurs mères. Mais il relève également du droit naturel de chacune des personnes alors présentes sur lieux d’exister sans que l’on n’attente à leur vie. Ce faisant, je ne crois pas me tromper en avançant que non, quand bien même la justice vous indifférerait, ce qui me surprendrait de votre part, le droit n’a pas été respecté de part et d’autre. Somme toute, nous devrions tous deux voir en cette malencontreuse affaire l’occasion de démontrer que nos peuples peuvent collaborer lorsqu’ils se voient communément touchés par des actes d’une barbarie sans nom et, ma foi, d’autant plus injustifiée que ces trois scélérats n’ont émis aucune revendication, si ce n’est celle du plaisir auto-octroyé de répandre la chair et le sang. Ceci étant, gageons que Bradstone ne sera pas le seul à partager mon point de vue : votre ambassade a autant le droit d’ouvrir ses portes à de tels individus que de ne pas cautionner leurs actes en les protégeant plus longtemps. Elle a autant le droit de les accueillir que de les rejeter aux mains de la justice. Je me permets également de vous rappeler, si besoin en est, que… »
Les portes se refermèrent sur les deux jeunes gens et les sons s’évanouirent, laissant Lenore perplexe quant à l’issue de la discussion. N’ayant néanmoins plus d’autre choix que celui d’en être définitivement exclue, elle posa les yeux sur Aïlin Bower. Elle ne s’était finalement jusqu’alors que très peu intéressée à celui-ci, mais elle supposait qu’il feindrait à la perfection l’aménité, puisqu’il semblait évident que, par principe, il ne pouvait instinctivement porter un regard bienveillant sur la fille d’un diplomate aux opinions aussi tranchées que celles de Marcus. Mais cela, à vrai dire, ne l’inquiétait que très peu ; elle y était, en quelques sortes, déjà accoutumée.
« Bien… Je crains que vos prédictions ne soient exactes et que vous ne deviez tolérer nos présences davantage de temps qu’initialement supposé par mon père », constata-t-elle poliment et naturellement affable.
Dernière édition par Lenore I. Greengrass le Mer 9 Aoû - 22:47, édité 1 fois
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Re: Diplomatie à l'anglaise par Sam 30 Avr - 16:37
Mais, bien trop tôt, la porte se ferma dans le dos des deux jeunes gens, laissant l’alchimiste dans la plus parfaite ignorance des intentions de son père. Et, aussi soudainement que le silence s’était abattu sur eux, un sentiment de fatuité submergea l’héritier Bower. Qu’importait, après tout ? N’avait-il pas, et depuis toujours, refusé de se mêler à la vie politique ? Ne voyait-il pas dans les sorciers constituant la Chambre du Conseil, et en premier lieu dans son père, la perfidie et la corruption la plus crasse ? Que lui importait donc ces petites manigances, ces petites bassesses de nobliaux surfaits, ces grondements de loups pétris d’orgueil, ces paroles surfaites qui grinçaient comme des ongles sur de l’ardoise ? Et que lui importait cette fille et son sang soit disant pur, avec sa voix doucereuse et son excessive distinction, sûre de lui être supérieure par un droit de naissance ? Car, il n’en doutait pas, cette créature-là voyait sa bâtardise avant de voir le personnage.
Vanité. Ce n’était là que vanité. Sa colère l’épuisait. Il n’y avait pas de consolation à imposer à cette jeune femme la provocation qu’était sa tenue comme celle qu’était son lignage. Dans quelle humeur avait-il sombré depuis cette horrible nuit à Sligo, pour se laisser satisfaire par de basses perfidies ? Sa rancune le rendait si commun. Quant à la haine, elle était toujours décevante. Quelle déception, après tout, de voir en ces gens qu’il abhorrait, dans le visage de Lady Greengrass se tournant vers lui, rien de moins que son propre reflet. Rien de plus que des humains, non exempts de bon sens, de surcroît !
« Vous supposez au marquis plus de patience qu’il n’en possède en réalité, milady. »
Il le sentait, le ton de sa voix était fade et sans conviction. À présent qu’il avait choisi de laisser derrière lui son père et ses manigances, il se demandait avec embarras ce qu’il allait bien pouvoir faire de cette fameuse Lenore. Sûrement n’avaient-ils en commun que le naturel spontané de leur verbe et il n’y avait là guère de quoi se réjouir, aux yeux de l’alchimiste. Quelques semaines auparavant, cela lui aurait certainement suffi. Aujourd’hui, il ne voyait dans la perspective d’une joute que la fade imitation de leurs pères, doublée d’une incroyable perte de temps.
Les deux jeunes aristocrates n’avaient fait que quelques pas dans le large couloir d’entrée qu’Aïlin s’arrêta, la main de Lenore reposant toujours sur la sienne. Il se tourna vers elle, non sans pouvoir retenir une brève inspection de la jeune femme. Elle avait ce genre de visage bien fait et harmonieux qui, sans briller de mille éclats, portait le charme de la jeunesse et de la vivacité d’esprit. Un regard perçant, dont la beauté était atténuée par la distance qu’elle lui opposait naturellement et l’implacable prééminence de sa lucidité. Il n’y avait rien là, chez elle, de ce charme coquet de pucelle, de naïveté béate ou enfantine que l’on reconnaissait trop souvent chez les demoiselles de cet âge. Cela était d’autant plus embarrassant qu’il ne suffirait certainement pas de lui faire visiter les jardins pour qu’elle s’extasie sur les fleurs en bouton et les buissons soigneusement taillés.
« Veuillez pardonner à ma maison de ne point vous accueillir avec la légendaire chaleur irlandaise, c’est une coutume qui s’est quelque peu tarie ces temps-ci. L’Irlande est le reflet de son mauvais temps, tout comme je me sais n’être point de très bonne compagnie aujourd’hui. Hélas, ma sœur, souffrante, ne peut nous sauver de l’embarras de notre tête à tête improvisé. »
Débarrassé des simagrées, Aïlin parut un peu plus présent et naturel qu’auparavant. Sa voix ne s’était pas élevée de beaucoup comparé à tantôt mais portait pourtant davantage, plus profonde, plus sûre. Il se fichait des avis de Lenore, tout comme il se fichait de la froisser, comme il semblait se ficher, en vérité, de tout ce qui l’entourait et tout autant de l’impression qu’il donnait. Il n’avait aucun enjeu dans cette rencontre incongrue. Quant à son esprit cynique, ce n’était après tout pas un trait de caractère qu’il s’était efforcé de cacher à la bonne société.
« Néanmoins, je serais certainement meilleur hôte après un verre de whiskey ou, dans le pis des cas, profiteriez-vous de la chaleur d’Éire dans la rondeur de sa boisson et le confort d’un canapé subtilement placé auprès du feu. Si la perspective vous séduit, je vous invite à me suivre au petit salon. »
Aïlin avait lâché sa main pour s’enfoncer dans le couloir jusqu’à aboutir à un cul-de-sac. Devant lui, l’imposant tableau représentant l’un de ses ancêtres, jusqu’alors occupé à écrire à l’aide d’une plume d’oie, tourna un regard vaguement curieux tandis que son descendant ouvrait une porte sans se préoccuper de lui.
« Ah, j’avais bien cru entendre prononcer le nom des Greengrass ! » commenta le sorcier aux cheveux noirs, ses yeux, affables, tournés vers la jeune lady tandis que l’héritier Bower traversait la salle d’études, où s’entassait un joyeux bazar de bric et de brocs, de vieilles étagères courbant sous le poids des livres et des parchemins, de pupitres invisibles sous une impressionnante masse d’objets magiques qui tintaient, tourbillonnaient, fumaient comme s’ils étaient doués d’une vie propre. Entre deux étagères, un elfe de maison se bataillait avec une petite relique d’or et de verre ronde qui refusait de se laisser ranger. Une petite voix incompréhensible aux accents capricieux en sortait, s’adressant à n’en pas douter à l’elfe désemparé. Puis, enfin, Bower parvint jusqu’à une porte en bout de salle, qui s’ouvrit sur le petit salon à la décoration chaleureuse et douillette, aménagé pour son seul confort.
Il y avait, dans une commode d’ébène appuyée contre le mur latéral, une remarquable collection de whiskey de tous âges, de Poitin, mais aussi de thés, de cafés et d’épices qu’Aïlin aimait ajouter à ses boissons. D’un coup de baguette magique, le jeune homme ouvrit les lourds rideaux bleus à l’opposée. Un rai de lumière blanche inonda la pièce, tombant sur le sofa de velours, les tentures représentant des scènes clefs de l’Histoire Sorcière, et encore sur la cravate oubliée sur le chien de la cheminée, indiscutable relique de la Maison Serdaigle. Une braise rouge crépitait dans l’âtre, que l’alchimiste aviva d’un simple sort informulé. Alors seulement, il s’intéressa à la collection de bouteilles, pour finalement choisir un whiskey qui, sans être le plus remarquable de cet échantillonnage, avait la maturité et l’arôme recherchés dans toute bonne boisson.
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Re: Diplomatie à l'anglaise par Jeu 14 Juil - 19:35
Aïlin, lui-même, paraissait n’en rien savoir. Visiblement incertain du chemin qu’ils devaient emprunter, il guida sans conviction son interlocutrice dans quelques dédales avant de s’arrêter chemin faisant et de poser ses yeux sur elle, comme pour prendre enfin la peine de découvrir ses traits encore juvéniles.
Un tel examen de sa personne aurait dû incommoder une jeune fille de son âge, mais elle se contenta, lorsqu’il la dévisagea, de naturellement soutenir son regard et de le détailler en retour. Sa fatigue, déjà manifeste lorsqu’ils se trouvaient dans le salon, semblait d’autant plus évidente qu’il était proche, et elle se surprit à se demander quelles raisons pouvaient amener un riche héritier à feindre sa disparition pour ensuite réapparaître amaigri et abîmé, comme harassé. Sans doute, cela ne la concernait-il pas mais alors que les commérages, pas plus que la vie d’autrui, n’avaient jamais été au centre de ses intérêts, sa curiosité la piquait.
Lorsque, en fin de compte, il rompit le silence qui dominait les lieux, elle se désintéressa de la chose : que lui importait de connaître les manigances du lordship et de sa progéniture ? Une femme n’était-elle pas supposée rester ignorante de ces choses ? Cette pensée, ironique, lui arracha un début de sourire qui finit par la détendre. Face à elle, Aïlin, délesté en quelques sortes des apparences, s’apaisait également et lui proposait de le suivre dans ce qu’il nommait « le petit salon ».
C’est ainsi que le jeune homme l’entraîna dans différents couloirs à l’encontre d’un imposant tableau dont l’occupant chuchota son nom. Ils se retrouvèrent ensuite dans une pièce à la fois encombrée et désordonnée dans laquelle s’entassaient nombre d’objets de près ou de loin destinés à l’étude, tous tintant dans un tintamarre ronflant que rehaussaient les éclats de voix excédés d’un elfe de maison. Ils débouchèrent en dernier lieu dans un salon d’apparence cossue à la luminosité tamisée, où se côtoyaient boissons, épices et bibelots divers. Sur la droite, sur des pans de tissus, des sorciers pendus là relataient l’Histoire qu’ils avaient plus ou moins superbement traversée.
Bientôt, la lumière blanche se mêla à celle, orangée, des flammes nouvelles qui crépitaient dans l’âtre, créant une atmosphère singulière, comme perdue entre jour et nuit. A l’extérieur, le temps, maussade, errait entre deux eaux, incapable de se décider entre clémence et colère. A l’instar de la tension palpable qui s’était installée quelques minutes auparavant entre les deux sorciers, il s’était néanmoins apaisé et laissait entrapercevoir, par instants, quelques rayons timides qui donnaient successivement à certains objets leur instant de gloire. Découvrant cette salle pour le moins surprenante, Lenore songea que son frère cadet, Maxwell, eût beaucoup apprécié l’endroit si l’occasion lui avait été donnée d’y pénétrer. Il se serait intéressé, notamment, aux nombreux thés qui emplissaient les étagères, à défaut de pouvoir en apprécier les boissons hautement fermentées dont son père, au vu de son âge, lui interdisait encore de profiter. Alors que le futur maître des lieux s’attardait face à des bouteilles aux formes et coloris variés, les pupilles de Lenore, désormais sémillantes, parcouraient rondement les menus détails qui façonnaient le charme incongru des lieux, s’appesantissaient sur les plus insolites. Elle aimait, dans ces désordres à première vue désorganisés, l’odeur de bois mêlée de senteurs de cheminée ; les babioles aux mille histoires qui semblaient conter de vains secrets ; les livres épais qui souffraient du manque d’attention, le contraste excentriques des couleurs et des matières et l’atmosphère duveteuse qui invitait tant aux confidences qu’au découvertes.
En passant à côté des thés, elle s’éternisa sur quelques étiquettes, souvenirs ou promesses de voyages exotiques et se laissa bercer par leurs senteurs, curieuse de tester leurs saveurs. Mais comme Aïlin s’emparait d’une bouteille dans un calme presque religieux et qu’il ne lui proposait aucune boisson, elle s’éloigna, sans s’offusquer toutefois, et prit l’initiative de s’installer dans l’un des fauteuils de velours qui somnolait non loin du foyer. En apercevant la cravate d’azur et d’argent oubliée là, elle pensa à nouveau à ce frère dont l’absence lui était si pénible, ce qui eut pour effet, sans qu’elle en comprenne bien la raison, de rendre l’Irlandais plus sympathique à ses yeux.
« Je suis désolée de savoir votre sœur souffrante », dit-elle spontanément. « J’ose espérer que le mal qui l’accable ne la tourmentera pas déraisonnablement et que son absence aujourd’hui ne vous laissera point trop longtemps dans l’embarras présent ».
Il n’y avait, dans sa voix, aucune affectation d’aucune sorte, si ce n’est peut-être celle d’une déconcertante sincérité. Elle n’avait pas l’intention de se battre verbalement. Les joutes intellectuelles, toutes stimulantes qu’elles pouvaient être, n’avaient d’intérêt lorsque l’orgueil devenait leur unique moteur et qu’elles se transformaient en source de réelles tensions. Aussi préférait-elle se contenter de savourer la chaleur des lieux. Moins guindée qu’en présence des deux lords, elle considéra donc qu’il n’était pas nécessaire d’ajouter quoi que ce soit et focalisa son attention sur les braises que faisaient danser les flammes. Une lueur chaude éclaira ses iris mordorés et elle offrit ses réflexions à un petit objet d’or qui tournoyait silencieusement sur lui-même à rythme régulier sur un guéridon de bois sombre.
Dernière édition par Lenore I. Greengrass le Sam 13 Aoû - 20:08, édité 2 fois
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Re: Diplomatie à l'anglaise par Dim 31 Juil - 11:36
Habitué qu’il était à recevoir des hommes plutôt que de jeunes ladies, l’héritier Bower avait oublié qu’il était peut-être un peu tôt pour servir un alcool aussi fort sans prendre la peine de demander à l’intéressée son avis. Eh bien, pensa-t-il, cela ferait une occasion toute trouvée pour crier à toute la communauté sang-pur son incivilité, pensa-t-il en servant à Lenore un doigt du fameux breuvage. Il ne lésina pas, en revanche, sur le dosage de son propre verre, avant de faire volteface et s’approcher de Lenore, qui déplorait l’état de la cadette Bower.
Ne prenant immédiatement la peine de répondre, il tendit son verre à la jeune femme.
« Voilà de quoi vous revigorer après avoir affronté le froid d’Irlande. N’ayez crainte, il est assez doux. » murmura-t-il, avant de s’installer élégamment face à Lenore.
« Ma sœur apprécierait autant que moi votre sollicitude. Je ne m’inquiète pas de sa rémission, nous avons une bonne capacité de résistance, dans la famille. »
L’ombre d’un sourire, à peine discernable, adoucit le visage temporairement émacié de l’alchimiste, tandis qu’il retournait un regard fixe et profond sur la fille Greengrass. Celle-ci avait le regard perdu dans les flammes qui faisait chatoyer ses yeux comme de l’or. Il attendit, patient, que la lady lui accorde de nouveau attention pour lever son verre en signe d’hommage. Puis, il porta enfin son whiskey à ses lèvres, pour le boire plus délicatement que le dosage l’aurait laissé présager.
De l’embarras que suscitait leur tête-à-tête, Aïlin n’aurait su dire en revanche s’ils parviendraient l’un et l’autre à le surmonter. On n’avait certainement pas éduqué les deux jeunes gens à de telles situations. Aïlin, si à l’aise et naturel pouvait-il paraître en société, n’obéissait qu’aux règles qu’on lui avait inculquées, aux systèmes qu’il s’était imposé pour montrer de lui l’image qu’il désirait qu’on voit, et celle-là seulement. Il savait comment agir en terrain ami, savait se défendre en terrain ennemi, mais ce tête-à-tête ne figurait certainement pas dans le lexique des perspectives auxquelles il s’attendait à être confronté. Lenore Greengrass était la fille d’un ennemi politique. Qu’on les laisse seul à seule aurait pu être inimaginable. Pourtant, ils étaient là dans ce petit salon, à se jauger du regard, certainement sans savoir plus que l’autre comment apprivoiser le moment qu’ils vivaient. Cela aurait presque pu être plus gênant encore que ces moments où le patriarche Bower imposait à son fils la compagnie d’une de ces filles à marier qui le miraient avec des yeux pleins d’appréhension et d’attente. Une chance, rien n’était plus gênant que ce genre de regard. Et, surtout, il y avait une différence de taille. L’inattendu de la situation rendait amusant l’embarras qui flottait entre eux.
Il était temps de détendre l’atmosphère, cependant, et profitant que Lenore s’intéresse à sa boisson, Aïlin rassembla tous ses souvenirs à propos de la famille Greengrass, et particulièrement de la fille. À présent, il se souvenait vaguement d’elle à Serdaigle, où il était peut-être déjà préfet lorsqu’elle y avait entré. Elle avait, autrement dit, l’âge idéal pour être mariée. L’âge de la plupart des jeunes femmes qu’on présentait à l’héritier Bower, et qu’il aimait tant humilier de son désintérêt. Les paroles des elfes de maison au sujet de la jeune Greengrass, rapporteurs hors-pair des on-dit de toutes sortes, revinrent à l’esprit du Serdaigle. Elle avait, disait-on, repoussé pléthore de prétendants, rendant d’autant plus brûlant de désir ceux qui s’apprêtaient à tenter leur chance. Y avait-il une part de vérité, là-dedans ? Sûrement, une intuition soufflait au jeune homme que la lady face à lui n’en aurait pas été incapable. De ses connaissances sur Lenore, c’était hélas tout ce qu’il possédait. Rien qui puisse être propice à une conversation véritablement enrichissante. Il allait falloir improviser. C’est alors qu’un éclat aviva le bleu de ses yeux, où se décelait, peut-être, un rien de malice.
« Je dois bien avouer être agréablement confus, milady. L’on m’a rapporté de vous le portrait d’une jeune femme au tempérament aussi inflexible que le verbe, capable de briser à la seule force du regard le cœur d’un soupirant. De quoi, assurément, inviter à la prudence tout homme sensé. Je vois à vos yeux que les mots sont encore une fois le reflet de l’amertume d’autrui ; ils n’ont rien de la froide cruauté d’une lady Orchard. »
Aujourd’hui âgée de 27 ans, lady Orchard avait laissé de sa prime jeunesse un souvenir plutôt traumatisant dans l’esprit de ceux qui avaient tenté de gagner sa main, au point que son père lui-même ait finalement abandonné toute idée de la marier. Pour certaines femmes un exemple par l’indépendance d’esprit qu’on lui présupposait, elle n’en était pas moins une personnalité capricieuse, aussi inflexible que le bois constituant sa baguette magique. Aïlin avait croisé pour la première fois le regard d’Annabeth alors qu’il sortait à peine de l’enfance et il s’était davantage souvenu de la dureté de ses yeux noirs que de sa beauté sophistiquée. Car belle, elle l’était assurément, tout du moins l’avait-elle été à ses vingt printemps. Aujourd’hui, des rides prématurées encerclaient sa bouche pulpeuse, qu’elle avait trop souvent étiré dans un rictus de mépris.
« Me voilà encore une fois fasciné par les boniments que les petits esprits répandent plus promptement que s’étend la chienlit. »
Dans un sourire presque amusé, il ajouta : « J’ose espérer que ce que mes détracteurs disent de moi ne saurait en retour vous inquiéter. Tout rivaux politique que nous soyons, j’attache trop peu d’importance à ces sujets pour ne pas espérer vous être agréable. »
Les mots étaient posés, mettant sur la table l’évidence de leur position, celle-là même qui formait jusqu’alors une barrière entre eux. Aïlin entrouvrait une porte à Lenore, espérant ainsi rendre plus franchissable la distance qui les opposait et confirmer le pacte de paix. L’héritier Bower n’était pas son père. Il devait laisser une chance à la jeune femme de démontrer qu’elle aussi était autre chose qu’un nom.
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Re: Diplomatie à l'anglaise par Dim 14 Aoû - 23:05
Presque machinalement, elle accepta le verre qui lui était proposé, verre duquel se dégageait un subtil arôme de terre mouillée. Il était probablement un peu tôt pour offrir à ses papilles de telles saveurs, mais elle ne s’autorisa pas une telle remarque. Bien que peu coutumière de ce genre de situations et de boissons, elle s’appropria donc cette dernière sans emphase, un imperceptible sourire au coin des lèvres, avant de se perdre à nouveau dans la contemplation des flammes.
Bien qu’à ses pensées, elle avait conscience du regard acéré qui la détaillait sans retenue aucune et s’interrogeait sur les préoccupations qui l’animaient. Sans doute ressassait-il quelques échos entendus de-ci de-là, au gré de parlottes hasardeuses. Et quels genres de parlottes hasardeuses pouvait bien avoir un Irlandais qui sirotait ses whiskeys de si bonne heure ? Ce questionnement, assorti d’une image cocasse, la dérida et elle consentit enfin à lever son verre pour faire honneur à son compagnon d’infortune.
Le breuvage avait dans ses rondeurs les mêmes teintes ardentes que celles des flammes qui doraient le grain très pâle de sa peau. Si la journée n’avait pas été si peu avancée, elle se serait sans doute surprise à l’apprécier et peut-être même à interroger l’Irlandais à son sujet. Mais le calme faussement tranquille qui s’était installé entre eux n’était pas de ceux qui invitent aux bavardages. Tout au plus tentait-il de maladroitement masquer leur évident malaise, l’impossibilité manifeste de se rencontrer sur un quelconque terrain d’entente, alors même qu’ils ne se connaissaient pas. Leur tête-à-tête, c’était évident, requerrait plus de diplomatie. Non pas de celles que pensaient mener leurs pères respectifs avec un brio plus ou moins discutable, de celles, fats et hypocrites des hommes qui ont tant leur nez plongé dans leurs affaires qu’ils en oublient même le bienfondé ; mais de celles, plus humaines, qui voient deux êtres qu’a priori tout oppose tenter de s’ajuster l’un de l’autre. L’exercice n’était pas aisé mais, par chance, Aïlin s’emblait, tout comme elle, vouloir s’y essayer.
« Je dois bien avouer être agréablement confus, milady. L’on m’a rapporté de vous le portrait d’une jeune femme au tempérament aussi inflexible que le verbe, capable de briser à la seule force du regard le cœur d’un soupirant. De quoi, assurément, inviter à la prudence tout homme sensé. Je vois à vos yeux que les mots sont encore une fois le reflet de l’amertume d’autrui ; ils n’ont rien de la froide cruauté d’une lady Orchard. »
Toute surprise qu’elle était de l’écouter s’aventurer sur ce terrain, Lenore resta à sa passive contemplation du feu vif qui dansait dans l’âtre, se contenant de discrètement étirer une bouche amusée. Depuis que l’homme était homme, il n’était aucun doute que les caquetages avaient fait merveilles dans les discussions mondaines, les curieux leur accordant une place de choix dans leurs centres d’intérêts. Mais rien n’avait jamais été si fascinant que de les entendre revenir à leur source, grossis et déformés au point de n’être plus que de pâles copies de la réalité. Qu’elle ait rejeté deux ou trois prétendants fasse d’elle une femme cruelle digne d’une lady à la fois aigrie et amère avait quelque chose, au final, d’assez désopilant. Cette image d’elle ne la dérangeait pas. Elle n’avait jamais octroyé qu’à ses proches et aux gens jugés dignes de confiance de connaître son véritable tempérament. Que d’autres la taxent de froideur ou d’âpreté valait toujours mieux que d’être perçue et décrite comme une douce écervelée.
« Me voilà encore une fois fasciné par les boniments que les petits esprits répandent plus promptement que s’étend la chienlit. J’ose espérer que ce que mes détracteurs disent de moi ne saurait en retour vous inquiéter. Tout rivaux politique que nous soyons, j’attache trop peu d’importance à ces sujets pour ne pas espérer vous être agréable. »
À l’écoute de ces quelques mots, Lenore s’accorda une deuxième gorgée de whiskey et, sans décoller ses pupilles des braises crépitantes, elle esquissa l’ombre d’un nouveau sourire. Elle avait le sentiment que, d’une façon ou d’une autre, le fils Bower tentait de briser le la glace qui les séparait, quand il aurait pu se contenter de s’en accommoder et, d’une certaine façon, elle lui en était reconnaissante. L’opportunité d’être elle-même plutôt qu’une supposée pâle et féminine copie de son père lui était rarement accordée et était trop belle pour ne pas s’en saisir. La circonspection qu’elle avait naturellement à l’égard des étrangers, et plus encore quand ils étaient de sang noble, lui dictait néanmoins de rester méfiante. Il lui fallait donc trouver un juste milieu qui leur permette à tous deux de s’exprimer librement et avec respect tout en sachant qu’ils ne noueraient jamais d’amitié pérenne.
« On rapporte bien des choses, Milord. Je ne reviendrai pas sur celles-là, vous laissant le loisir de les nourrir de votre imagination et de prendre à partie de trier vous-même le faux du vrai. »
Flegmatique, elle accorda ensuite son attention au liquide qui stagnait entre ses doits et le fit toupiner lentement, comme pour noyer sa réflexion. Enfin, elle consentit à tourner la tête vers son interlocuteur en inclinant légèrement celle-ci. Sûres d’elles, ses prunelles, chaleureuses bien qu’encore distantes, rencontrèrent directement les siennes.
« Rien qui ne doive vous embarrasser cependant : vous n'êtes, me semble-t-il, pas un prétendant. »
Divertie par sa propre remarque, elle continua sur sa lancée :
« Je suis néanmoins surprise que vous nous appeliez ‘rivaux politiques’ sans rien connaître de mes opinions en la matière… même s’il est vrai qu’on ne me demande probablement pas d’avoir un avis sur le sujet. », ironisa-t-elle.
Car il était communément admis qu’une jeune fille partageait sans nuance les mêmes opinions que celles de son père avant de rejoindre celles de son époux, d’ailleurs souvent choisi pour la concordance de celles-ci avec ledit patriarche. Il n’était donc pas surprenant que le fils de l’un des adversaires de son géniteur lui prête naturellement un avis aussi tranché que le sien.
Malgré cela, et sans pour autant se montrer aussi affable et gaie qu’elle puisse l’être en d’autres circonstances, elle avait, à l’instar de son interlocuteur, décidé de jouer carte blanche. L’honnêteté, sans aucun doute, serait plus prompte à franchir l’incroyable fossé qui les séparait. Ainsi, alors que les fables concernant Aïlin Bower lui revenaient à l’esprit, depuis les prétendantes éconduites jusqu’à sa disparition, elle continua d’un ton calme et posé :
« En termes de politique maritale, cependant, si nous devons nous fier aux ouï-dire, il semblerait que vous et moi soyons moins dissemblables que vous ne pourriez le présumer. Car ce que l’on rapporte de vous à ce sujet, Milord, ne vous est vraisemblablement pas étranger. Les commérages restent, je le crains, des propos relativement prévisibles. Ils ont néanmoins l’avantage, il faut le leur laisser, de rendre les conversations moins embarrassantes et d’être d’excellents liants sociaux. C’est pourquoi, toutes romanesques que semblent être vos aventures, vous suscitez aujourd’hui nombre d’entre eux. Les histoires vous concernant affolent les esprits, ce qui entraîne inévitablement les on-dit. Mais ce n’est rien qui, je le suppose, vaille réellement qu’on y porte de l’intérêt. »
Ce disant, son regard gagna en intensité et elle marqua une courte pause.
« Je n’y accorde, en ce qui me concerne, que très peu d’importance. »
Et comme pour prouver l’intégrité de son discours et sceller l’accord tacite que le sorcier avait initié, elle s’offrit, sans détourner ses iris de bronze de ceux azurés du jeune homme, une dernière gorgée du liquide irlandais.
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Re: Diplomatie à l'anglaise par Dim 21 Aoû - 16:24
L’expression légère qu’Aïlin avait pris en entendant la réplique de son interlocutrice demeura sur ses traits, pour devenir encore plus manifeste lorsque la jeune femme laissa échapper d’entre ses lèvres des mots chargés d’ironie. En retour, l’alchimiste dirigea sur elle un regard équivoque.
Sous les habiles truchements des amabilités, leurs échanges prenaient peu à peu les traits d’une vraie conversation. Car, au travers de mots soigneusement choisis, Lenore se révélait et, surtout, se distinguait. Bower devinait, là, un presque aveu des plus intéressants. Aussi, quand la jeune femme lui laissa l’opportunité de répliquer, il répondit avec suavité.
« De même qu’il convient de me prêter les intentions incombant aux héritiers d’un patrimoine familial tel que le mien, l’on admet volontiers ne pas vous soustraire aux vôtres. Qui serions-nous pour contrarier le sens commun ? »
Sa rhétorique, si elle en disait davantage sur lui sans pour autant révéler quelque information marquante, n’avait d’autres prétentions que celle de signifier à la jeune lady avoir bien saisi les intentions véritables de sa première réplique.
Après n’avoir pas spontanément pensé grand bien de la fille Greengrass, c’était certainement le meilleur hommage qu’il puisse lui faire. Intérieurement, il se félicitait de n’avoir finalement pas cédé au dégoût et à la colère que cherchaient à instiller en lui ses persécuteurs. Il ne doutait pas qu’au travers l’agression quasi mortelle du vampire à son endroit, les sorciers et sorcières des vieilles familles avaient cherché à punir le nom des Bower pour l’avoir mêlé à du sang commun, sans montrer, par après, le moindre signe de repentance. Chaque sang-pur autoproclamé devenait un suspect, et Aïlin, sans oublier qu’il avait peut-être devant les yeux la fille d’un des hommes ayant juré la destruction des Bower, accordait à la jeune femme ne pas être responsable des actes de son clan, comme lui n’était pas responsable des actes de son père.
Les considérations assombries de ses pensées furent bientôt détournées par la voix de Lenore. Elle rebondissait habilement sur des considérations qui auraient pu désarçonner plus d’un jeune homme, mais Aïlin se contenta d’en sourire.
« Ah ! quoi qu’il en soit, je ne saurais m’en défendre. Répliquer leur conféreraient l’importance qui leur font défaut. Je me souviens des paroles de quelque penseur contemporain. Il déclamait, ainsi, que l’homme n’a pas meilleur moyen de sceller le tombeau de sa propre réputation qu’en se défendant des turpitudes que la société lui prête. Accorder du sérieux aux bavardages l’expose au ridicule. Et, dans le monde des apparences, le ridicule tue. »
Sa citation achevée, Aïlin s’octroya le plaisir d’une gorgée d’alcool. Puis, il acheva sur le ton de la conclusion :
« Les paroles d’un français, sans doute. »
Bien que son ton n’ait rien montré de particulier, la répulsion qu’il éprouvait à l’égard des mœurs françaises étaient évidentes. Dans ce pays, on entendait d’une oreille autrement plus conciliante les arguments des personnages semblables aux Gaunt, quand le Royaume-Uni avait eu la décence de les tourner longtemps en ridicule. Le paraître, qui paradoxalement trouvait ses racines dans la folle Cour de Louis XIV, avait pris l’ingénieux costume de la conviction. L’on paradait, faisait étal de sa puissance et de ses richesses et là-dedans, la nature du sang devenait une autre préciosité à exhiber. Les Rosier, fraîchement arrachés à leurs racines par l’épuisante oppression d’un roi catholique, étaient l’image de cette mascarade, tandis qu’ils donnaient des leçons aux sorciers plus tolérants, du haut de leurs airs affectés. Aïlin avait plusieurs fois suggéré que l’on délocalise le manoir Gaunt à Paris. Là-bas, la platitude vaniteuse de leur rhétorique avait des allures de révélation scientifique. Hélas pour eux, les français étaient plus prodigues en paroles qu’en actes.
« Parlant de rumeurs… » reprit soudain Aïlin, suivant le cheminement de ses pensées. « Avez-vous entendu que de très sérieuses recherches ont mis récemment en évidence qu’un nouveau-né de sang-pur a nécessairement une peur panique des cochons ? »
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Re: Diplomatie à l'anglaise par Jeu 25 Aoû - 22:22
Cela fut encore plus vrai lorsque sa figure finit de se détendre alors qu’elle évoquait, sans rien en dire, ses opinions politiques. Le regard que posa sur elle le jeune homme ne laissa cependant aucun doute sur une éventuelle interprétation teintée de surprise. Elle ne répliqua toutefois pas ni ne chercha à se défendre. Avoir signifié, d’une façon détournée, être capable d’esprit critique sur le sujet lui suffisait pour l’instant amplement. Nul besoin de présenter à son interlocuteur un exposé détaillé de son point de vue : Aïlin Bower était, après tout, un parfait inconnu, doublé de l’héritier d’un ennemi de son père. Et s’ils n’étaient pas leurs parents respectifs, il convenait malgré tout de ne pas trop en dire, sous peine de quelconques représailles. La lady avait bien cru percevoir une tension entre père et fils – elle n’était ainsi pas certaine que le dernier servirait de porte-parole au premier, mais elle préférait néanmoins laisser l’opportunité à Aïlin, s’il le souhaitait, de se dévoiler par quelques paroles dont elle ne doutait plus qu’elles seraient habilement choisies.
Lorsqu’enfin, dans un nouveau sourire, il réagit aux réflexions de Lenore concernant les on-dit qui le concernaient et ce qu’elle avait nommé « politique maritale », celle-ci étira ses lèvres dans une expression allègre. En refusant, comme elle l’avait fait auparavant, de répondre à ces ouï-dire, Aïlin se singularisait. Beaucoup, dans la noblesse comme ailleurs, s’essoufflaient à se défendre des bruits qui couraient à leur encontre. Si, dans l’intimité, ces justifications relevaient plus de la conversation honnête que du procès, dans la sphère publique, elles conféraient une toute nouvelle légitimité aux racontars. Rougir d’une parole infondée n’était jamais que lui donner plus de crédit, mais bien peu semblaient le concevoir. Lenore s’était d’ailleurs souvent tant récréée de ce constat qu’elle s’était promise, de longue date déjà, ne jamais se ridiculiser de la sorte et ne jamais se justifier de quoi que ce soit qu’auprès de son entourage, si tant est qu’elle estime cela nécessaire.
La dernière tirade de l’aîné du lordship souleva, quant à elle, tout le bien que l’Irlandais pensait de la France et la fille Greengrass, qui partageait son opinion, étouffa une manière amusée dans infime gorgée de Whiskey. De partout, répondre de ragots offrait à ceux-ci davantage de crédibilité, mais cela plus encore dans ce pays où le paraître surplombait, et de loin, la substance de toute chose. En France, se couvrir d’une insignifiante opprobre s’apparentait à une petite mort sociale. Et à trop mourir aux yeux du monde, on n’y errait plus qu’en pâle rebut de la société. En cela, les Français excellaient. Et si elle n’éprouvait pas d’animosité particulière à leur égard, elle trouvait parfaitement ridicule leur propension à l’ostentatoire. Leurs fêtes somptueuses aux mises en scènes minutieusement calculées et aux rituels rigides étaient à l’image de leur monarque : surfaites. Lenore, qui trouvait ses propres tenues parfois bien inconfortables, se demandait d’ailleurs comment les dames de cour y supportaient les robes si bouffantes dans lesquelles on les enfermait dès le plus jeune âge.
Elle haussa les sourcils. Alors qu’elle s’était laissé aller à suivre ses pensées, la voix d’Aïlin coupa leur fil pour lui faire part d’une remarque à tout le moins surprenante. Quand elle imaginait parfaitement que son père aurait éclaté d’une raillerie franche avant de méthodiquement démonter son adversaire et que sa mère aurait porté une main outrée à ses lèvres, les siennes restèrent figées dans un sourire à la fois amusé et coi de stupéfaction. Elle eût pu s’indigner, mais, s’interrogeant sur les motivations du sorcier, elle n’en fit rien. La provocation était la piste la plus évidente, mais en cela l’héritier Bower se serait rabaissé au niveau de son géniteur et il donnait à Lenore le sentiment de vouloir, d’une façon ou d’une autre, s’en différencier. Ceci étant, elle imaginait sans peine qu’il s’agisse plutôt d’un test destiné à mieux sonder sa personnalité ; peut-être même à mieux appréhender les positions dont elle n’avait laissé entrapercevoir qu’une faible bride, mettant ainsi à vif l’appétence du jeune homme. L’héritier Bower ne paraissait après tout pas suffisamment rustre que pour oser l’interroger à brûle-pourpoint à ce propos. Un moyen détourné paraissait plus subtil. Aïlin semblait en effet être homme d’esprit, ce qui était, du reste, plus que bienvenu. Elle n’osait imaginer ce qu’aurait donné de se retrouver en compagnie d’un antagoniste qui bavasse sans comprendre la moitié de son propre discours. Ou bien, peut-être, ne s’agissait-il pas là un trait d’esprit. Peut-être le jeune homme n’exprimait-t-il là tout haut que le contenu de son monologue intérieur.
Déridée par l’ingénuité de sa propre idée, ses traits se défroissèrent et, sans quitter Bower du regard, elle prit un peu plus appui sur le fauteuil dans lequel elle était installée. Convaincue que s’offusquer n’était d’autant pas la marche à suivre que, dans l’absolu, l’assentiment de Bower ne lui était pas vital, elle décida finalement de surenchérir et prit la parole d’une voix légère, à la fois ironique et divertie.
« Voilà un fait des plus instructifs, apte à pimenter de nombreux palabres sans saveur, s’il en est. Au risque de vous surprendre, j’avais effectivement déjà entendu parler de cette étude, laquelle a été menée, de ce que j’en sais, avec le sérieux et la rigueur scientifique qui s’imposent. Mais rassurez-vous, outre durant les grandes famines, nous n’exposons en général par nos nouveau-nés aux cochons. Ils seraient néanmoins probablement sensibles à votre sollicitude s’ils avaient le loisir de s’exprimer à ce sujet. »
Elle marqua une brève pause durant laquelle un brin de malice vint illuminer ses pupilles.
« Quand on y songe, c’est pour le moins une théorie cocasse. Car si le fait est avéré, il confère, d’une façon particulière j’en conviens, une certaine légitimité à la notion-même de pureté de sang. J’ai cru comprendre, pourtant, que d’aucuns débattaient longuement sur la question. »
Cette ironie la distrayait. Ainsi, alors que, d’ordinaire, elle se montrait distante avec les inconnus voire, parfois, d’une froidure presque glaciale, elle se montrait désormais bien plus à l’aise dans cet entretien qu’elle ne l’était quelques minutes auparavant. Songeant aux porcs dont il était question elle décida même, pour le plaisir du verbe, d’entretenir davantage le feu de cet échange :
« Il est bien regrettable que je ne garde moi-même aucun souvenir de cette tendre période de mon existence qui puisse illustrer ces supputations, tout comme nous aider à confirmer ou infirmer leur véracité. Imaginez comme nous aurions matière à l’hilarité si je devais un jour avoir fui devant un cochon. », continua-t-elle avec l’emphase volontairement surfaite et la voix ronronnante de la rumeur.
« Mais n’ayez crainte : je songerai, quand la joie m’aura été donnée de donner la vie, à répéter moi-même cette expérience sur mes nourrissons et à vous tenir informé des résultats. De quoi, certainement, renforcer le caractère de ma progéniture à venir. Après tout, tout le monde sait comment sont élevés nos enfants. »
Sur ces quelques mots, Lenore haussa les épaules, poussa un léger soupir affecté et se perdit à nouveau dans le murmures des flammes. Leur tête-à-tête si mal amorcé promettait désormais des développements des plus truculents.
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Re: Diplomatie à l'anglaise par Dim 11 Sep - 18:53
D'abord muette, elle avait l’air à la fois stupéfaite et amusée. Elle sembla tanguer entre l’un et l’autre, son regard braqué dans celui de son vis-à-vis, qui attendait avec curiosité de savoir vers quoi la jeune femme pencherait finalement. Puis, l’alchimiste la vit prendre un appui plus confortable sur son fauteuil, et un sourire illumina son propre visage.
Il but une gorgée de whiskey, puis inclina la tête en réaction à la voix légère de Lenore, qui rassurait son hôte sur les us et coutumes des gens de son sang. Il gardait un sourire en coin, franchement amusé, mais aussi agréablement surpris par la loquacité de Lenore.
Elle qui, un instant auparavant, se contentait de la politesse d’usage tout en gardant une réserve distinguée, s’animait tout à coup en entrant dans le jeu de Bower. Elle semblait métamorphosée et Aïlin lui découvrit toute une panoplie d’expressions et d’attitudes qu’il n’imaginait pas chez elle jusqu’alors.
Elle mettait d’ailleurs tant de cœur et de talent à prendre l’attitude des bonimenteurs dont ils s’étaient gaussé tout à l’heure qu’Aïlin s’entendit rire chaleureusement quand elle alla jusqu’à s’inclure dans la plaisanterie, imaginant l’hypothèse rocambolesque de son propre effroi devant un cochon.
Quel petit bijou de singularité ! Pensa Aïlin en contemplant la fille Greengrass conclure dans un soupir affecté. Comment un homme lui ayant paru si condescendant avait-il pu engendrer une personnalité si truculente ? Pour un peu, Aïlin aurait eu maintenant l’impression d’échanger avec une amie de longue date, qui ne craignait plus l’autodérision devant lui, comme elle ne craignait plus le mordant d’un supposé jugement. Contrairement à ce qu’il avait pensé au premier regard, Lenore était rafraîchissante. Elle avait, et brillamment, passé le petit test de son interlocuteur, s’illustrant au-delà de ce que ce dernier aurait pu imaginer. Le compliment lui brûlait les lèvres, mais il n’en dit rien cependant. Il préférait honorer l’esprit de son invitée — car c’était, dès lors, ainsi qu’il la voyait — en lui offrant la même spontanéité plutôt qu’en la complimentant, risquant qui plus est de passer pour un simple flagorneur.
« En tant que chercheur, je ne peux qu’éprouver une vive curiosité pour le sujet. Par votre promesse, vous me rendez impatient que ce bonheur vous soit offert afin que nous découvrions, de nos yeux, si l’empirique confirme le théorique. »
Marquant une pause comme s’il venait d’avoir une soudaine révélation, il tapotait d’un index léger son menton en reportant son attention sur sa charmante compagne.
« D’ailleurs, je devrais certainement songer à me plier aux attentes de la bonne société et accomplir mon devoir d’héritier. Ainsi, je pourrais, en répétant l’examen sur ma propre descendance, pratiquer ce que l’on pourrait définir comme une contre-expérience. »
Derrière son expression sérieuse, les prunelles du jeune homme brillaient du même amusement que celles de sa congénère.
« Si le fait se trouve avéré, je fais la promesse solennelle de me rendre à ceux dont je me gaussais jusqu’alors et qui, devant mon audace à prétendre au prestige de mon rang social, se complaignent jusqu’à trouver matière à en faire une affaire personnelle. »
L’air songeur, Aïlin tourna le regard vers les flammes, laissant croire qu’il réfléchissait à quelque chose d’important. Puis il revint à Lenore, l’interrogeant du regard.
« Croyez-vous que des excuses suffiront ? »
C’était certainement la première fois depuis l’attaque du vampire qu’Aïlin tournait à la dérision la menace de mort qui planait chaque jour au-dessus de sa tête. Il était d’autant plus cocasse qu’il se mette à plaisanter ainsi sur le critique de sa situation et l’impureté supposée de son sang aujourd’hui, devant la fille d’un des plus virulents ennemis politiques de son père.
Se pouvait-il que, même inconsciemment, c’était une fois encore la marque de son désir de contrecarrer son paternel ? La colère et le dégoût bouillaient encore en lui, et pourtant, voilà qu’il plaisantait comme si le sujet ne le touchait pas.
Il allait chercher trop loin en pensant de cette façon, se répondit-il intérieurement. Non, en vérité, le ridicule qui entourait toute cette mascarade devenait savoureux quand on découvrait pouvoir en rire auprès de ceux qu’il convenait d’appeler des adversaires. Fort de cette conclusion, l’alchimiste s’octroya le plaisir de savourer son verre dont le contenu était bien amenuisé, à présent.
Puis, se rappelant que Lenore n’avait peut-être pas eu le loisir de manger depuis plusieurs heures, il agita d’un sort informulé la petite cloche de laiton qui se trouvait sur la table, afin qu’un elfe leur apporte de quoi satisfaire leur gourmandise. Celle-ci s’éleva discrètement au-dessus du plateau de bois, sans émettre un son quand bien même elle se balançait, afin que leur échange ne soit pas interrompu par une distraction malvenue.
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Re: Diplomatie à l'anglaise par Mer 5 Oct - 22:32
La figure tournée vers lui, elle l’observait calmement se dérider à l’écoute des propos qu’elle venait de tenir en les gonflants d’une surenchère des plus intentionnelle. Elle se surprit même à retenir un rire lorsqu’elle les imagina tous deux organiser un dîner mondain et ostentatoire à l’issue duquel ils ne manqueraient pas de passer à la porcherie pour s’adonner à l’une ou l’autre expérimentation douteuse avec leurs progénitures respectives qui s’égosilleraient davantage de peur et de dégoût que d’une quelconque panique intrinsèquement liée à leur patrimoine. Cƒette idée, grotesque au possible, ne la quitta d’ailleurs pas lorsqu’il promit d’accepter l’évidence d’une supériorité de sang dans le cas où cette expérience s’avèrerait probante, ce qui défroissa définitivement les muscles de la mâchoire de la lady. Somme toute, et malgré un évident dédain pour la notion de pureté de sang, voire même une rancune pathologique à l’égard de ceux qui la portaient en étendard, Aïlin Bower lui apparaissait plutôt sympathique. Toute harassée qu’elle était d’être restée confinée dans une calèche humide, elle ne regrettait désormais plus cette dernière escale sur les terres de Devin Bower. Elle n’avait, après tout, que trop peu souvent l’occasion d’admirer d’autres paysages que ceux des terres anglaises ou de faire de nouvelles rencontres, bonnes ou mauvaises.
Alors que l’Irlandais semblait soudainement se perdre dans la contemplation des flammes, elle s’interrogea soudainement sur la teneur de l’entretien de leurs deux parents et se demandait s’il n’était pas probable, à l’heure qu’il est, qu’ils en soient déjà venus aux baguettes ou qu’ils aient déjà signé l’une ou l’autre déclaration de guerre. Car elle en était certaine : rien de bon ne sortirait de leur tête-à-tête. La question que lui posa soudainement Aïlin Bower balaya néanmoins momentanément cette pensée et elle reconcentra son attention sur ses traits émaciés.
Il était peu plausible que des excuses suffisent à taire la controverse liée ou sang ou, même, fasse oublier aux Gaunt et autres Black les produits honteusement impurs de la trahison de lord Bower à leur égard. Mais Aïlin le savait, et de cela, Lenore ne doutait pas. La phrase n’était, en fin de compte, que rhétorique et ne demandait pas de réelle réflexion à son sujet. Comme particulièrement concernée par la situation de son vis-à-vis, Lenore prit toutefois, en réaction à celle-ci, un air soudainement aussi grave que sérieux.
« Allons, des excuses, Milord ? L’unique excuse qui puisse laver votre audace n’est autre que le gibet, seule ressource dissuasive apte à faire passer au bon peuple des messages intelligibles et malléables », continua-t-elle d’un rythme posé.
A s’entendre parler ainsi, une image discutable lui traversa l’esprit et elle eut soudainement envie de faire un jeu de mot de très mauvais goût qui rapprocherait gibet de gigot, mais elle s’en abstint, s’oubliant quelques instants dans une divagation confuse alors qu’elle noyait ses lèvres dans l’ambre que contenait son verre. Elle pivota ensuite son buste vers le sorcier pour reprendre sur son ancienne lancée, le menton faussement haut et la voix grassement enrobée d’affèterie, mais le teint égayé.
« Je suppose cependant que vous devriez facilement trouver moyen de faire pénitence. J’ai ouï dire que le Conseil recherchait de la petite main d’œuvre pour de menus travaux… »
Amusée par la perspective, elle ne se préoccupa pas de savoir si Aïlin se vexerait ou non de ses paroles. Il lui semblait, à ce stade de la conversation, que son interlocuteur avait suffisamment de jugeote pour leur conférer la valeur qui leur incombait et ne point s’en offenser. Et s’il s’avérait que ce ne soit pas le cas, elle ne regretterait pas plus la provocation, pour autant que cette dernière remarque en soit vraiment une. Qu’il ne soit pas en mesure de traiter davantage l’ironie et il perdrait sitôt toute sa saveur et, par conséquent, de son intérêt. Tout en le dévisageant, elle laissa donc planer un court silence à l’issue duquel elle reprit le cours de son discours sur ton guilleret.
« Mais nous n’en sommes pas encore là, n’est-ce pas ? Il nous reste à nous improviser apprentis savants et à mener notre expertise. Peut-être d’ailleurs serons-nous ceux qui, face à l’implacable conclusion de celle-ci, devrons faire amende honorable auprès des vôtres... Je crains toutefois que la majorité d’entre nous ne soient point très habiles de leurs mains. En ce qui me concerne, il est peu probable que vous fassiez de moi un chambrelan de talent. Je me débrouille néanmoins relativement bien en sortilèges et l’écriture m’est assez aisée. Peut-être y aura en cela matière à reconversion ? »
Ce disant, elle observa le jeune homme agiter discrètement une petite cloche de laiton d’un sortilège informulé et, tandis qu’elle posait son verre sur le guéridon le plus proche, une étincelle malicieuse rehaussa ses pommettes et illumina son regard. Bien qu’elle ne doutait plus qu’Aïlin puisse l’y suivre aussi longtemps que loin, elle décida ainsi de s’avancer de plus belle sur les chemins de la dérision et en revint à cette entrevue qui devrait supposément avoir lieu le moment voulu afin qu’ils puissent joindre l’action à la parole et s’affirmer habiles expérimentateurs.
« Devrions-nous d’avance convenir d’un rendez-vous qui mette fin à ces supputations ? »
Satisfaite du petit jeu qui s’était spontanément installé entre eux, elle fixa un peu plus intensément qu’elle ne le faisait déjà auparavant le futur lordship, comme cherchant à sonder et à comprendre davantage cet esprit qui se révélait, à son plus grande aide, être aussi étonnant que bien façonné.
Dernière édition par Lenore I. Greengrass le Mer 26 Oct - 23:27, édité 1 fois
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Re: Diplomatie à l'anglaise par Dim 9 Oct - 11:45
« C’est ce que j’ai cru remarquer, en effet. » murmura-t-il d’une voix douce et basse. Peu certain de désirer être entendu par Lenore, c’était à peine s’il avait bougé les lèvres pour parler. À son sens, cette seule remarque aurait pu couper court à l’atmosphère conviviale qui s’installait peu à peu entre eux. Mais, à moins que la jeune femme n’ait quelques attraits pour les perfidies, l’héritier Bower doutait qu’elle ait répondu dans le seul but de le toucher.
C’était, pourtant, une adversaire. Si Bower et Greengrass s’étaient entendu autrefois, les divergences d’opinion entre les derniers dirigeants des familles respectives avaient brisé les liens cordiaux que de vieilles et puissantes familles entretenaient naturellement. Tout aurait pu porter à croire que la jeune femme face à lui avait saisi l’occasion de poser un propos choquant pour son antagoniste. Mais, malgré tout, Bower ne parvenait pas à se le figurer de la sorte. Il se demanda même jusqu’à quel point cette charmante créature était au courant des intrigues et des fomentations obscures qui se jouaient dans les sombres alcôves des Maisons alliées. Que savait-elle de la supposée mort de l’homme qui la recevait à présent ? Que pouvait-elle bien en penser ? Peut-être était-elle ignorante du sujet. Après tout, sa famille n’avait aucun rapport avec les plans sordides des Black et des Gaunt.
Observant la fille Greengrass avec un demi sourire aux lèvres, il analysait, tout en songeant à la question, sa gestuelle et son teint égayé par l’expression de son amusement. Ce regard d’abord si distant brillait maintenant malgré les allures mignardes qu’elle se donnait. Et, plutôt que de penser qu’elle prenait plaisir à le provoquer, l’alchimiste pressentait plutôt qu’elle appréciait au moins autant l’échange que lui. Aussi, quand elle parla de l’humiliante perspective de finir valet auprès de quelques Sang-Purs du Conseil, un rire échappa au jeune homme, pendant lequel il ne put s’empêcher de se figurer la façon dont son père aurait accueillit une telle pique. L’homme, peu porté sur l’humour quand il n’était pas celui à amorcer quelques sarcasmes cinglants, n’aurait jamais souffert qu’on s’octroie de telles largesses avec la déférence qu’on devait à son rang, quand bien même ce fut par le biais de la plaisanterie.
« Il faudrait, pour cela, que ces seigneurs cessent leurs tentatives d’abréger ma vie ! Je ne serais point très à l’aise à jouer l’échanson pour une personne tenant tant à me voir sur la potence qu’elle a déjà mis ma tête à prix jusque dans la communauté vampire… ! »
La teneur de leurs propos frôlaient à présent un sujet pour le moins sensible, qu’il valait peut-être mieux éviter d’évoquer. Aïlin n’avait pu retenir à temps ses mots, pourtant. Bizarrement, l’évoquer sous couvert d’humour allégeait le poids de cet affreux souvenir sur son esprit. La partie méfiante et pessimiste de sa personnalité ne pouvait cependant s’empêcher de penser qu’il faisait là preuve de faiblesse. L’énoncer, même à demi-mots, même sur un ton léger, prouvait qu’il avait été durablement marqué par le guet-apens dont il avait été victime.
Mais, après tout, qui ne l’aurait pas été ? Peu de sorciers auraient en revanche eut l’aplomb de parler de leur propre mort avec le flegme dont venait de faire preuve le fils Bower. Le menton relevé, la bouche dessinée en une moue sardonique, les prunelles de ses yeux luisaient d’un éclat cynique, pour le moins typique des hommes de la famille Bower. Rien ne semblait apte à le toucher. De fait, ce fut avec naturel et aisance qu’il rabaissa le menton pour renvoyer un regard chaleureux à Lenore quand celle-ci reprit la parole, métamorphosant aussitôt le pli acide de ses lèvres en un sourire amical.
De nouveau, la jeune femme suscita l’hilarité auprès de son interlocuteur. Tandis qu’un petit elfe de maison entrait dans le salon sans se faire remarquer, faisant planer autour de lui plusieurs plateaux de mignardises, le fils Bower souriait de toutes ses dents en imaginant l’éventualité cocasse de Lenore et ses parents plus ou moins proches réduits à servir les Noms qu’il abhorraient.
« Quelle aubaine ! Moi qui envisageais justement d’engager un scribe pour poser sur le vélin mes pérégrinations alchimiques… Si les sortilèges ménagers font parti de vos attributions, je vous engagerai volontiers. Je gagnerais un temps précieux avec de petites mains dédiées à laver mes alambics. »
Puisque la jeune femme ne s’était pas gênée, le Serdaigle n’avait pas hésité un instant à saisir l’occasion de lui renvoyer la pique. Avec un clin d’œil, il alla pour répondre par un trait d’esprit à sa dernière plaisanterie, quand la main minuscule de l’elfe se posa sur son bras. Baissant soudainement les yeux, le jeune homme découvrit avec surprise que Brady l’observait avec de grands yeux inquiets, dressée sur la pointe de ses pieds nus. Aïlin se pencha vers la créature, qui saisit cette occasion pour lui glisser quelques mots à l’oreille, cachant sa bouche de sa main pour ne point se faire entendre par leur invitée. Un sourire un rien mesquin échappa au jeune homme quand l’elfe eut fini de parler, et il se redressa sans sembler aussi affecté que l’expression embarrassée de l’elfe aurait pu le suggérer. Retournant son attention sur Lenore, Bower annonça :
« D’après Brady, il semblerait que la conversation de nos pères ne prenne pas les plaisants tournants de la nôtre. Leur égo titanesque a fait sombrer les négociations vers une impasse de laquelle l’un et l’autre refuse de sortir. Je crois que mon serviteur craint de voir la discussion se conclure sur un duel en bonne et due forme. Ne vous faites pas d'inquiétudes, cependant. En Serpentard exemplaire, Lord Bower est maître dans l'art de conserver son sang-froid. »
Auprès de ses adversaires, en tout cas. À moins qu'on ne lui offre l'occasion de laisser parler son tempérament vindicatif et violent.
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Re: Diplomatie à l'anglaise par Ven 14 Oct - 16:20
Quelle que soit la réponse à cette énigme, Lenore s’interrogeait sur la marche à suivre en réaction à cette confidence des plus déconcertantes. D’une part, l’héritier d’un opposant de son père lui avouait avoir été acculé dans une situation des plus fâcheuses par les pairs de ce dernier, ce qui aurait pu passer pour un médiocre aveu de faiblesse, mais elle doutait que la prudence lui fasse à ce point défaut. D’autre part, d’un point de vue plus humain, un jeune homme lui relatait avoir été la cible de tueurs sanguinaires. Dans un cas comme dans l’autre, la bienséance aurait voulu qu’elle se sente désolée et l’exprime d’un ton hypocritement concerné. Elle n’avait pourtant le cœur à s’attarder en excuses et justifications qui, pour sincères qu’elles soient, ne seraient pas interprétées à leur juste valeur et sonneraient comme de pâles artifices aux oreilles de son interlocuteur qui, par ailleurs, devait la soupçonner de n’être pas étrangère à cette mésaventure et lourdement lui faire grief d’oser venir le narguer jusqu’en ses appartements.
Par chance, l’ancien Serdaigle ne laissa pas longtemps planer les interrogations qui accaparaient Lenore, préférant de suite enchaîner sur le contenu de sa boutade éhontée en envisageant de l’engager pour exécuter… de simples sortilèges ménagers.
Bien qu’elle s’était jusqu’alors bien gardée de montrer le moindre malaise et était restée impassible face aux déclarations d’Aïlin, Lenore avait néanmoins fini par rompre le contact visuel avec celui-ci pour naturellement se replonger dans l’observation attentive des flammes. Mais la proposition qu’il lui fit alors, bien qu’hypothétique, suffit à la dérider à nouveau. Interloquée par l’audace de son vis-à-vis, elle s’esclaffa dans une onomatopée brève mais acerbe et se mordit aigrement la lèvre inférieure. Elle lui reporta ensuite toute sa curiosité et lui offrit un regard à la fois lourd et meurtrier. La plaisanterie, à ce stade, était à de toute évidence poussée un peu loin. Elle avait bien sûr enjolivé la chose en supposant l’éventualité de son engagement au Conseil, mais elle n’avait pas été jusqu’à oser énoncer la perspective Ô combien humiliante de le prendre à son propre service. Nombreux auraient d’ailleurs été les aristocrates, sorciers ou moldus, sangs purs, mêlés ou de bourbe, à crier au scandale face à une telle offre. Tous deux n’étaient, après tout, que deux inconnus qui, pour ne point se contenter de se toiser, avaient choisi l’humour comme première approche. Cela leur autorisait-il toutes les largesses ?
La jeune femme n’était, en vérité, pas tant vexée qu’elle voulait le laisser paraître. Mais quitte à concéder les écarts les moins flatteurs, elle avait décidé s’octroyer le plaisir d’une franche comédie. Elle ne s’en expliquait pas la raison, mais cet Aïlin Bower lui était sympathique, et si elle n’avait pas l’intention de lui laisser le loisir de tout se permettre à son encontre, elle ne souhaitait pas non plus véritablement s’offusquer d’une taquinerie à laquelle elle avait largement pris part. C’est pourquoi, après avoir longuement appuyé cette œillade noire et catégorique, ses traits se défroissèrent subitement dans un clin d’œil souriant.
« C’est une remarquable profession, que celle d’échanson, basée sur une confiance aveugle et sans faille, il va sans dire ; de quoi nourrir les cœurs les plus vindicatifs… J’ai peine à croire qu’une telle fonction puisse être jamais attribuée à une âme qui nourrit une rancune féroce à l’égard de l’employeur. Si toutefois l’un des seigneurs que vous évoquiez vous offrait un jour l’honneur aussi surprenant qu’inespéré d’y accéder, il me semble que vous pourriez interpréter en une telle opportunité l’expression des faveurs perverses d’une Némésis vengeresse mais pour le moins relativement bien inspirée. »
En guise de conclusion, elle s’empara du verre resté sur le guéridon, le porta à sa bouche sans en goûter le contenu, un sourire perdu sur le coin de ses lèvres, et rebondit enfin sur la possibilité de se reconvertir en simple domestique.
« Je crains malheureusement, en ce qui me concerne, que mes ‘‘petites mains’’ ne soient point suffisamment habiles pour les tâches que vous leur réservez. Si je puis toutefois me permettre une suggestion… »
Alors qu’elle avait entamé sa tirade avec un élan vif, la créature qui leur avait servi le thé à leur arrivée entra dans la pièce entourée de plateaux de friandises variées avant de faire grand secret de ce qu’elle rapportait à son maître. Aïlin, ne parut cependant pas aussi soucieux que ne le semblait l’elfe. Il lui déclara d’un ton détaché que leurs deux pères ne parvenaient pas à s’entendre sur l’affaire qui avaient mené les Greengrass jusqu’en la demeure Bower, en raison de quoi il fit mine de la rassurer sur la bonne contenance de son paternel. La fait était pourtant que Lenore ne se faisait pas de grandes inquiétudes à ce sujet. Elle concevait sans peine que les deux hommes puissent se disputer longtemps le mot final de cette anicroche, mais elle les voyait mal en venir aux armes. La diplomatie requérait un rien plus de tactique et de souplesse qu’une querelle de basse-cour, et Marcus était davantage homme de plume que de duel. Non pas qu’il n’en n’ait pas l’étoffe, mais il savait les besoins de ne pas faillir à son habituelle flegme pour parvenir à ses fins. C’est pourquoi la lady, plutôt que de se montrer alarmée comme l’auraient fait nombre de ses consœurs bien nées – elle les imagina, en cet instant, se pâmer d’effroi, ce qui lui arracha une expression narquoise – éclata d’une hilarité spontanée.
« Allons bon ! Quelle incroyable nouvelle vous me rapportez là. Pardonnez-moi si je ne parviens pas à m’émouvoir de cette terrible annonce, mais j’ai peine à croire que vous ayez jamais escompté qu’il en aille autrement. »
Dans une volonté d’emphase, Lenore finit la dernière gorgée que contenait le verre qu’elle avait gardé à la main et reprit instantanément son sérieux.
« Veuillez m'excuser, le fait devrait davantage me préoccuper. Mais s’il est une caractéristique commune aux serpents, c’est bien de n’avoir point le sang chaud et moins encore de griffes. Peu de risques que nous les retrouvions tous deux feulant avant le combat. Quant à s’étouffer l’un l’autre… »
Faussement songeuse, elle ne termina pas sa phrase et se leva pour dégourdir ses membres las d’immobilité. Ce faisant, elle alla se poster devant la fenêtre où elle observa en silence les plaines pluvieuses de l’Irlande. Après quelques secondes seulement, elle se retourna, l’air inopinément tourmenté.
« Pensez-vous qu’il nous faille intervenir, Milord ? »
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Re: Diplomatie à l'anglaise par Jeu 24 Nov - 21:13
En effet, les Bower n’étaient guère réputés pour leur extravagance. Aïlin avait lui-même la réputation d’être pince-sans-rire. Sa sœur lui répétait trop souvent qu’il pouvait être absolument charmant et agréable, quand il voulait bien s’en donner la peine. Une peine. C’était tout à fait ça. La plupart des mondains l’ennuyait et chaque soirée au manoir était un défi de tous les instants pour ne pas bâiller à s’en décrocher la mâchoire.
Lenore était le type d’individu qu’il aurait pu croiser à ce genre de célébrations, si d’aventure leurs pères respectifs parvenaient à s’entendre. Peut-être alors se seraient-ils trouvés insipides l’un et l’autre, faux, distants, bref, indignes d’intérêt. Leur tête à tête avait tout changé. Aussi, l’alchimiste ne cacha pas le plaisir qu’il prenait à leur petit jeu quand la jeune Greengrass consentit à lui faire le signe qu’il attendait, celui qui lui révélait qu’elle ne prenait définitivement pas ombrage de son audacieuse répartie.
Il attendait, avec une certaine impatience, que les mots coulent de la bouche charmante de sa compagne, curieux d’entendre quel mordant ils allaient à présent revêtir. Il ne fut pas déçu, puisqu’elle répliqua avec justesse et esprit, de ce vocabulaire parfaitement choisi qui semblait la caractériser. Hélas, Aïlin ne put jamais connaître la suggestion dont Lenore s’apprêtait à lui faire part, puisqu’ils furent interrompus par l’elfe de maison, qui détourna l’attention de son maître.
La réponse que lui fit la jeune femme à sa remarque amusa l’alchimiste. Bien sûr, il n’y avait que Brady pour s’inquiéter de la sorte. Aucun des deux jeunes gens aurait imaginé une issu heureuse à la confrontation de deux tempéraments comme ceux de leur père. Une petite moue dubitative remplaça le sourire de Bower et, suivant le geste de Lenore, il dégusta une gorgée de son whiskey sans prendre la peine de répondre.
La conversation qui se déroulait dans l’autre salon n’était, de toute façon, pas de leur ressort. Ni l’un ni l’autre ne pouvait intervenir sans risquer de s’attirer les foudres des deux partis. S’il ne connaissait pas Lord Greengrass, Aïlin ne doutait pas que l’homme devait peu apprécier qu’un intrus inopiné écourte ses laborieuses négociations par des manifestations d’impatience. Et, après tout, Lenore était de bonne compagnie. Puisqu’il y avait bien des chances que l’occasion de la revoir de nouveau ne se représente pas de si tôt, l’alchimiste ne voyait pas le mal à profiter de l’instant présent. Il s’inquiétait, néanmoins, que la jeune fille finisse par s’ennuyer entre ces quatre murs. Elle était loin de chez elle, dans un environnement inconnu, qui aurait dû lui être relativement hostile, et si Aïlin semblait être parvenu à dissiper le malaise qu’elle avait premièrement ressenti, le risque demeurait qu’elle finisse par trouver pesante cette réclusion forcée dans le petit salon, aussi douillet était-il.
Comme en écho à ses pensées, la jeune femme se leva et se posta devant la fenêtre, semblant déjà rêver de grands espaces et d’air plus frais. Aïlin l’observa sans mot dire, profitant du silence pour finir son whiskey. Il faisait léviter son verre vide jusqu’à la table basse quand Lenore se retourna soudain, affublée d’un air concerné.
Difficile de savoir si elle était sérieuse ou plaisantait, tant elle mimait bien les émotions, mais le jeune homme décida de prendre sa question avec légèreté.
« Je n’ai aucun doute sur le fait qu’ils se dégoûteront bien assez vite de la compagnie de l’autre pour s’attarder au-delà de ce qui est raisonnable. En attendant, il me semble vous voir lasse d’être ainsi condamné à l’immobilité. Que diriez-vous de vous dégourdir par un peu de marche ? Je ne prétends pas que le manoir soit à ce point mémorable pour qu’il nécessite une visite guidée, cela dit nous possédons une vaste bibliothèque, dans laquelle vous pourriez peut-être trouver quelques ouvrages susceptibles de vous intéresser. Les jardins regorgent également de leur lot de curiosités, si vous ne craignez pas le temps humide qui nous afflige depuis plusieurs jours. »
Brady, qui était restée auprès de son maître comme si elle semblait attendre un ordre de lui, regarda les deux jeunes gens d’un air interrogatif. Elle s’inquiétait certainement de voir l’héritier Bower proposer ainsi à une jeune femme d’une maison rivale de visiter un domaine dont les maîtres aimaient tant conserver les secrets. Aïlin, pour sa part, se fichait bien de savoir ce que le reste de sa famille en penserait. Le seul risque qu’ils encouraient était de croiser le chemin de lady Bower et celle-ci se garderait bien de manifester la moindre réprobation. L’alchimiste songeait même qu’elle serait bien heureuse de croiser un minois différent de ceux qu’elle avait coutume de voir entre ces murs. À condition, bien sûr, que Lenore se montre aussi ouverte d’esprit envers sa mère née moldue qu’avec lui, mais Bower avait de plus en plus de difficultés à imaginer son invitée développer une poussée allergique au contact d’une mutmag.
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Re: Diplomatie à l'anglaise par Sam 10 Déc - 15:30
C’est toutefois avec un sourire d’enfant, que ses yeux éclairés de malice, témoins silencieux de son amusement, rehaussaient presque avec naïveté, qu’elle répondit à son interlocuteur de marque comme de qualité.
« Je vous suis reconnaissante de vous enquérir de mon confort, Milord. Dois-je néanmoins entendre que vous chercheriez à me faire attraper quelque catarrhe en me proposant d’éprouver ainsi les rudesses de l'Irlande ? »
Dans son dos, la froidure irlandaise semblait s’épaissir, dardant ses rayons opaques jusque dans le confort du petit salon, en léchant au passage l’échine qui l’accueillait sans crainte et appréciait avec délice le contraste qu’elle créait avec la chaleur de l’âtre. Se dégourdir les jambes, que cela soit à l’intérieur comme à l’extérieur, lui ferait le plus grand bien, et elle saurait apprécier la balade pour sa qualité, dans le froid comme dans la commodité de la chaleur libérée par les flammes d’un feu de cheminée.
« Je ne pourrais toutefois refuser une telle proposition. Vous auriez sinon matière à raconter à qui veut l’entendre que les Anglais sont de petite constitution et de faible nature. Et je ne voudrais pas alimenter les légendes populaires par un refus aussi malvenu que celui-là. »
Ce disant, les pupilles de la jeune lady glissèrent vers la petite créature qui se faisait appeler Brady et dont les yeux globuleux traduisaient la surprise. Suspicieuse, elle tordait nerveusement ses mains, sans visiblement oser exprimer à son maître les raisons de son inquiétude. Elle semblait, à elle seule, porter la méfiance que les deux nobles auraient dû ressentir l’un envers l’autre, et Lenore ne put s’empêcher de songer qu’elle était probablement le plus sage des trois êtres qui respiraient en ces lieux. Ce fait, hautement regrettable, n’en restait pas moins extrêmement prévisible. Les rapports entre individus étaient à ce point codifiés dans les hautes sphères de la société – comme chez les petites gens ? s’interrogea-t-elle en son for intérieur – qu’ils paraissaient n’être que le spectacle d’un immense théâtre dans lequel les rôles, stéréotypiques au possible, avaient d’avance été définis, libre à chacun de les jouer publiquement ou non, mais certainement point de s’en dépêtrer. Cette image la dérida. Elle avait toujours été horriblement mauvaise comédienne lorsqu’il s’agissait de réciter des rôles déjà appris, et c’est pourquoi la perspective d’avoir le privilège de parcourir la demeure d’un ennemi aussi sympathique qu’Aïlin Bower était des plus attrayantes. Elle songea un instant qu’il aurait sans doute été bienséant d’avoir une parole pour leurs deux pères ; de rebondir sur l’otique rassurante de ne point craindre devoir s’attarder en compagnie l’un de l’autre au-delà de l’indispensable ou de souhaiter, telle une ingénue aux expressions minaudes, que les deux diplomates ne s’empoignent point verbalement au point de n’avoir finalement d’autre option que celle d’en venir aux baguettes, mais cela lui était en vérité assez égal ; et l’éventualité de discuter un peu plus longuement avec l’ancien Serdaigle, dont l’esprit ne déshonorait pas son ancienne maison, plutôt engageante.
« Et puis, je dois bien admettre que l’opportunité de visiter votre bibliothèque ou vos jardins est relativement séduisante. Je vous laisse toutefois le loisir de choisir le lieu qui vous semble le plus approprié ».
Elle faillit agrémenter son propos en déclarant que sa compagnie rendrait la promenade d’autant plus intéressante, mais elle supposa que ce genre de déclaration sonnerait relativement creux à l’oreille du fils Bower, et elle s’en abstint, au risque de paraître inutilement flagorneuse. Libre désormais à Aïlin de l’emmener où le mèneraient ses pas, bibliothèque, jardin ou autre. Elle était naturellement curieuse de tout et bien incapable de choisir l’option qui la charmait le plus, pour autant, comme il l’avait deviné, qu’elle puisse se défaire de sa longue inactivité.
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Re: Diplomatie à l'anglaise par Mer 28 Déc - 13:06
Il s’était levé et, parvenu en quelques pas à la hauteur de la lady, Aïlin se pencha en direction de la fenêtre pour lever du bout des doigts un pan du rideau, qui camouflait à demi le paysage par delà la vitre. Un mélange de neige fondue et de pluie tombait maintenant sur le jardin vallonné, couvrant de poudre et de perles de nombreuses fleurs sauvages, miraculeuses survivantes des rudesses hivernales. Il était rare de voir en Irlande des fleurs persister si longtemps, au point de les voir faner au moment où une nouvelle génération éclosait, mais la magie n’y était pas pour rien. Soucieux de trouver des ressources tout au long de l’année, Aïlin avait utilisé un engrais alchimique à l’origine de la longévité de leur jardin. En hiver comme lors des plus ardents jours de l’été, le manoir s’entourait de fleurs et de verdure, provoquant le ravissement de leurs hôtes qui, enroulés dans leur lourde cape, soupiraient après le printemps. Lynn n’était pas tout à fait étrangère à cette initiative, cela dit. Il se souvenait encore, avec amusement, de l’ébahissement ravi qu’elle avait montré en découvrant, de retour au manoir pour les trêves hivernales, un jardin aussi gai et coloré que si l’été n’avait jamais cessé. Un paradoxe, quand on connaissait l’ambiance austère du domaine sous l’égide du patriarche. Cela avait eu l’effet de rendre son retour moins morose.
« Oh, milady, je suis plutôt certain de vous voir capable de réduire à néant toutes les légendes que l’on pourrait vous attribuer plus ou moins directement. »
Le regard entendu d’Aïlin se reposa sur la jeune femme tandis qu’il laissait retomber en douceur le rideau de brocarts. Instinctivement, il suivit le coup d’œil de Lenore et Brady sembla rougir face à cette recrudescence d’attention.
« Tu peux disposer, Brady. Nous nous débrouillerons fort bien sans toi. »
L’elfe sembla hésiter, mais elle ne pouvait pas contrevenir à un ordre si direct. Alors, s’inclinant, elle formula d’une petite voix quelques paroles aimables et s’éclipsa aussi discrètement qu’elle le pouvait, de sa démarche chaloupée.
Revenant à Lenore, il lui adressa un nouveau sourire avant de consentir à lui répondre.
« Je n’avais pas prêté attention à la rudesse du ciel mais, si je ne doute pas un instant vous voir l’emporter avec bravoure sur quelques flocons de neige, mon guérisseur serait bien moins aise de me savoir prendre de tels écarts avec le traitement qu’il me préconise. »
Cette histoire de guérisseur était bien sûr pure invention, politesse qui lui faisait endosser le rôle du délicat pour mieux flatter l’égo de son invitée. Cela dit, Passiflore Delacour, qui avait été la seule à s’octroyer la confiance de l’héritier Bower au point qu’il juge utile de l’écouter, n’aurait certainement pas désapprouvé la sagesse de son ancien patient.
Faisant pour une fois usage des codes de bienséance qu’on lui avait inculqués, l’alchimiste tendit son bras à l’anglaise pour la guider en-dehors du petit salon et se promener dans les larges couloirs de boiseries, ornées de tentures et de tableaux aux cadres recouverts de feuille d’or. Chaque mètre carré du manoir semblait lourd d’histoire, comme si aucun recoin n’avait été exempt d’un quelconque évènement. Paradoxalement, ce n’était pas tout à fait vrai. Comme expliquait Aïlin à Lenore tandis qu’ils marchaient sans se presser vers la bibliothèque, l’actuel maître des lieux avait fait rénover l’ancien manoir au point qu’une partie de ce qu’il avait été avait disparu à jamais. La façade elle-même avait été réaménagée pour correspondre à la dernière mode en matière d’architecture, les douves qui l’avaient fait ressembler à un petit château fort avaient disparu, mais les pierres étaient demeurées les-mêmes, toutes chargées de la puissance magique de leurs ancêtres et de leur histoire. L’œuvre architecturale qu’ils traversaient aujourd’hui était un mélange d’ancien et de moderne, beaucoup moins austère et spartiate que l’avaient été les murs gris autrefois.
La bibliothèque, de laquelle les deux jeunes gens approchaient, avait été l’une des pièces qui n’avaient pas changé de position ou d’aspect, pour des raisons d’ordre pratique. Lors des travaux de rénovation, cette dernière avaient été protégée par de puissants sortilèges qui avaient permis de conserver ses murs et ses trésors en sécurité. Et, lorsqu’ils entrèrent dans la pièce, elle était exactement comme les aïeuls d’Aïlin l’avaient connue. Des murs en pierre blanche d’Irlande sous un plafond voûté, sur lequel était peint d’anciens glyphes magiques si parfaitement dessinés qu’ils semblaient miroiter, voire quelques fois bouger. L’allée principale était large. On aurait imaginé causer un écho impressionnant en marchant, mais les pas s’étouffaient dans d’épais tapis d’or et d’indigo et de pourpre. À leur gauche comme à leur droite, des colonnes de pierres marquaient avec régularité les rangées d’étagères qui, chargées de leurs précieux ouvrages, s’élevaient jusqu’au plafond. Étonnamment, il n’y avait que des marchepieds pour aider les sorciers à atteindre les œuvres les plus en hauteur, mais ceux-ci étaient enchantés pour s’élever dans les airs dès qu’on posait le pied sur eux.
Au bout de chaque rangée de livres, un petit vitrail coloré diffusait un peu de lumière dans les rayonnages. Aucun ne donnait réellement sur l’extérieur, mais il était apparu aux architectes que l’imitation de la lumière naturelle était plus sûre et plus confortable qu’autant de chandeliers dans une pièce remplie de papier et de cuir. D’ailleurs, il n’y avait pas non plus de cheminée, mais un un cercle creusé dans la pierre du sol où flamboyait des flammes bleues, magiques, capables de diffuser de la chaleur sans pour autant brûler. On pouvait y passer la main comme on pouvait y approcher des livres sans causer la moindre catastrophe.
« Histoire, philosophie, sorcelleries, sciences moldues… Faire la liste serait long, car vous êtes certainement dans l’une des plus grandes bibliothèques privées d’Irlande. Certains livres sont très récents, d’autres sont vieux de plusieurs siècles et ont oublié le contact d’une main humaine depuis tout aussi longtemps. S’il y a une question qui vous taraude, posez la, la réponse se trouve certainement quelque part. »
Le sourire du jeune homme était animé par la fierté tandis que de la main, il désignait l’un des marchepieds qui attendait patiemment de remplir son rôle. Chacun se cantonnait à son rayon, mais ils semblaient animés d’une intelligence propre qui permettait au chercheur de l’aider à trouver le livre qui l’aiderait dans ses études. Lynn passait des heures dans la bibliothèque, mais contrairement à son frère, ce n’était pas tant pour lire que pour étudier cet enchantement sophistiqué et fascinant qu’elle cherchait à reproduire sur à peu près tout et n’importe quoi. C’était ainsi qu’un soir, Aïlin avait un jour failli tomber assommé en passant devant la chambre de la Gryffondor, dont la porte ouverte avait laissé échapper un chandelier un peu trop prompt à prodiguer sa lumière au visiteur passant dans le noir. L’apprentie enchanteresse riait encore aux larmes lorsqu’elle repensait à ce stupide incident. Quant à Aïlin, il n’était plus très sûr qu’elle ait même pu s’excuser tant elle avait ri d’avoir vu l’objet s’emplafonner littéralement dans le visage de son grand frère.
Laissant Lenore découvrir à sa façon la bibliothèque, Aïlin s’attarda près d’un des pupitres qui l’avait accueilli des heures durant alors qu’il découvrait, dans ses mêmes rayonnages, l’alchimie. Les souvenirs, un peu flous, assurément nostalgiques lui revenaient alors qu’il passait ses doigts sur le bois du meuble, puis il s’intéressa de nouveau à la jeune sorcière tandis que les souvenirs de Poudlard lui revenaient par brefs épisodes. La haute tour de Serdaigle, l’immense bibliothèque du château et la réserve interdite à laquelle il avait eu accès les deux dernières années de sa scolarité, les bavardages et les rires dans les couloirs balayés par le vent d’Écosse… Il se rappela d’Elya, comme il l’avait rencontrée, d’une intelligence vive et acérée, toute jeune qu’elle fut à l’époque. Cette rencontre était un grand classique pour deux Serdaigle, lui semblait-il. Il en gardait un souvenir confus, proche de s’évanouir à jamais, mais il croyait se rappeler qu’il s’agissait d’une expérience magique dans la salle commune des Aigles qui avait attiré la curiosité et l’expertise de tout le monde. Suivant le fil de ses pensées, Aïlin reprit la parole.
« Je crois me souvenir de vous à Poudlard, à présent… Nous avions en commun, me semble-t-il, notre réciproque estime pour lady Black, n’est-ce pas ? Poudlard avait cela de magique qu’il nous faisait croire possible d’autres accointances que celles dictées par les lois de nos aïeuls. »
S’il s’inquiétait pour le devenir d’Elya, Aïlin ne pouvait interroger directement Lenore sans compromettre sérieusement la première et en révéler beaucoup sur la nature des relations qu’entretenait encore l’alchimiste avec la petite-fille Black. Il ne pouvait pas, en une rencontre, accorder ainsi sa confiance à la jeune femme, mais peut-être que mentionner le nom d’Elya, dont il s’inquiétait de la soudaine disparition, encouragerait peut-être Lenore à offrir une bribe d’information, n’était-ce qu’une miette, susceptible d’aiguiller Bower au sujet de son amie. Il était responsable de ce mustisme soudain, il en était certain. Il ignorait encore, cependant, à quel point la situation était grave pour Elya. Si ses propres amies de sang-pur semblaient contrariées ou gênées lorsqu’on leur rappelait le souvenir de la potionniste, alors il y aurait véritablement matière à s’inquiéter. Aussi le jeune homme observa avec attention Lenore, sans pour autant paraître moins détaché qu’il ne l’était un instant auparavant.
Dernière édition par Aïlin Bower le Dim 12 Fév - 16:59, édité 1 fois
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Re: Diplomatie à l'anglaise par Dim 12 Fév - 1:21
La santé de Bower n’étant pas un sujet sur lequel son invitée désirait s’attarder - non pas que ces banalités ne soient aptes à meubler la conversation, mais les habituelles mondanités ne soulevaient en général que très peu son intérêt – celle-ci prit le parti de ne pas relever la flatterie qui lui était à nouveau adressée, concluant avec simplicité et emphase que le guérisseur en question était un homme bien avisé.
C’est ainsi qu’après cette réponse d’usage, ils se retrouvèrent tous deux à errer dans les couloirs du manoir Bower, elle à son bras, lui à ses récits, lesquels balayaient, en s’attardant sur les détails de l’architecture des lieux, certains pans de l’histoire de la famille irlandaise. Il était vrai que la décoration, si rondement finie, méritait qu’on lui porte de l’intérêt, tant elle était ouvragée et délicate. Depuis les boiseries jusqu’aux épaisses tentures, tout conférait en effet au lieu l’apparence cossue de l’opulence. Par endroits, tant d’éléments se répondaient d’ailleurs que les murs, richement décorés de leurs dorures et somptueusement parés de leurs draperies, semblaient disparaître et n’être plus que prétexte aux démonstrations de puissance. Ainsi, tandis que quelques tableaux murmuraient à leur passage et tandis qu’Aïlin s’attardait longuement sur divers détails qui ornementaient la demeure de trésors impalpables, Lenore, les joues rougies par une fatigue évidente, répondait avec un entrain mesuré qui exprimait une bonne humeur fraîche mais contenue. Le sorcier, par chance, était habile en paroles, et la sorcière voyait dans leur entrevue l’occasion bien trop rare d’échanger avec un interlocuteur à la fois cultivé et sagace et, par la même, susceptible d’éveiller chez elle intérêt et curiosité.
Leur échange les guidant avec fluidité dans les méandres du manoir, ils arrivèrent bientôt dans une immense bibliothèque, telle qu’elle devait compter non pas des centaines mais des milliers d’ouvrages. La pièce, ouvrée de manière toute différente de couloirs qu’ils venaient de quitter, ne s’apparentaient en rien à la bibliothèque des Greengrass dans laquelle Lenore aimait à passer tant de temps. Elle lui rappelait, par endroits, les lieux d’antan tels que décrits dans de nombreux textes qu’elle n’avait fait, jusqu’alors, que se figurer, et la jeune femme, en proie à une brève rêverie, fut soudainement marquée d’un demi-sourire contemplatif. Les yeux levés vers le plafond voûté, elle se laissa bercer par le calme ambiant, s’abstenant quelques instants de toute répartie pour mieux savourer cette atmosphère studieuse et chargée de ces histoires qu’elle affectionnait. Tout en cet endroit n’était que contes et fables, anecdotes et connaissances, et la blancheur des pierres soulignait avec délicatesse la subtile odeur d’encre, de cuir et de papier si familière à la jeune lady.
Alors qu’il s’avançait dans l’allée centrale, Aïlin Bower s’exprima avec une évidente fierté à propos de cet antre du savoir et lui offrit ensuite un moment de répit, durant lequel elle arpenta une allée choisie au hasard parmi tant d’autres, effleurant parfois légèrement la tranche de quelques volumes oubliés. Comme elle n’aimait rien tant que les livres, ou du moins peu de choses, Lenore se laissa bercer par le silence, affichant par moments le sourire en coin d’une fillette à peine pubère. Le jeune homme, qui s’était alors attardé auprès de quelques ouvrages d’alchimie, lui accorda alors à nouveau toute son attention, prétextant quelques souvenirs pour effleurer le nom d’une amitié commune, celle d’Elya.
Dubitative, Lenore leva un sourcil sceptique. Il y avait bien longtemps que Lenore n’avait pas eu de nouvelles de la jeune Black, aussi ne elle ne put s’empêcher de se demander si l’ancien Serdaigle était davantage au fait de ce que devenait celle-ci qu’elle ne l’était elle-même. Qui sait, songea-t-elle, peut-être détenait-il des informations susceptibles de l’éclairer à ce sujet. Un élément de sa gestuelle toutefois, elle n’aurait su dire lequel, finit de la convaincre qu’Aïlin n’avait rien à lui apprendre ; qu’il demandait bien davantage qu’il ne proposait.. C’est ainsi que, méfiante par nature, Lenore choisit de s’attarder sur la première partie de la réplique du jeune homme plutôt que sur celle qui concernait la lady.
« Je me souviens de vous, moi aussi, bien que vaguement, je dois l’avouer. Vous étiez préfet, si j’ai bonne mémoire. Il est étonnant qu’ayant fréquenté la même maison et sommeillé au coin du même feu nous n’ayons jamais eu de véritable opportunité de nous entretenir auparavant. »
Le ton, neutre, n’était autre que celui du constat. Sous son apparente banalité, il ne laissait ainsi rien paraître du flot d’interrogations qu’avaient à nouveau charrié la remarque du jeune homme, parmi lesquelles les raisons du mutisme d’une amie qui n’avait jamais failli. Elle se demanda même, un instant, si celui-ci n’avait rien à lui apprendre à ce sujet, mais s’abstint de lui poser la question au risque de trop en dire. Mais comme ne pas réagir pourrait toutefois paraître fuyant et équivoque, elle s’acquitta d’une réplique de convenance qui ne montrait ni inquiétude ni désarroi.
« Je suis effectivement proche de lady Elya, ce qui rend d’autant plus surprenant le fait que nous ne nous soyons à l’époque jamais donné la peine de faire plus ample connaissance. Qui sait, peut-être aurions-nous eu matière à bien nous entendre. »
Le ton était amène et l’expression presque candide, mais Lenore détaillait avec intérêt la gestuelle de son vis-à-vis tandis qu’elle lui offrait un sourire aimable rehaussé d’un regard sémillant.
« Souhaitez-vous que je lui transmette vos amitiés ? » continua-t-elle avant de faire glisser ses pupilles sur les manuscrits qui exibaient pompeusement leurs titres derrière le jeune homme, tous traitant visiblement d’une discipline à laquelle elle ne connaissait, au final, et désormais à son grand regret, pas grand-chose.
« L’alchimie retient tout votre intérêt, n’est-ce pas ? »
Elle s’apprêtait à rebondir sur sa propre question quand un elfe, discret mais non moins désormais bien présent, manifesta sa présence par un raclement de gorge timide. Ses grands yeux dirigés vers son maître et ses petites mains tordues dans une position aussi douteuse que probablement inconfortable sur son ventre rebondi, il les informa nerveusement que lord Greengrass réclamait le retour de sa fille car des affaires urgentes l’appelaient ailleurs. Sa mission accomplie, il s’éloigna d’une démarche singulière, voire franchement inquiétante ou risible, cela dépendant de l’humeur de l’observateur, les laissant seul à seule dans cette atmosphère chaleureuse et inattendue où ils n’avaient, en définitive, eu l’opportunité que de passer très peu de temps.
- Rendez-vous ce soir à la taverne (et incognito !)
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Re: Diplomatie à l'anglaise par Jeu 23 Fév - 14:46
Alors, l’air de ne pas y toucher, feignant une légèreté qu’il ne possédait plus alors, l’héritier Bower invita dans la conversation le nom d’une femme qu’ils connaissaient bien tous deux, et dont il demeurait aujourd’hui sans nouvelle. Il ressentait une véritable inquiétude, d’autant plus vive que Lenore choisit d’éluder d’abord le sujet, avec dans la gestuelle une réserve recouvrée.
Avait-elle quelque chose à lui apprendre ? Il était difficile de le savoir, à présent qu’elle arborait de nouveau cet air neutre, jusqu’à ce qu’elle concède à aborder le sujet et qu’un sourire rehausse ses lèvres fines pour mieux faire briller ses yeux de gaieté.
Mais, ces yeux vifs, reflets de la sagacité de la jeune lady, le détaillaient avec un intérêt qui ne semblait pas tout à fait innocent. Elle ne montrait pas d’inquiétude, ni n’avait l’air de se questionner, et la question qu’elle posa au jeune homme lui laissa penser qu’elle avait, pour sa part, encore un contact régulier avec Elya.
Cette hypothèse, si elle le rassurait en partie, soulevait également davantage de questionnements. Avait-il mal agi, sans s’en douter, lors de leur périple écossais ? Bower n’avait pas souvenir d’avoir pu se révéler incorrect d’une quelconque façon envers Elya Black. Leur séjour, certes riche en émotions, avait été le socle d’une entente sereine entre eux. Était-il possible que, de retour chez elle, la potionniste ait choisi de se raviser ? Laisser son père où il était et ne plus s’en soucier était certainement la décision la plus sage, car les risques qu’elle courait à contrevenir aux désirs de Cathleen Black étaient réels. Pourtant, cette attaque à Sligo, la façon dont il avait été personnellement pris pour cible laissait à penser que ce silence n’avait pas une raison aussi simple que celle qu’Aïlin se figurait en ce moment.
Malgré ces questions, le jeune homme n’avait pas perdu le sourire léger qu’il retournait à Lenore. Il ne laissait rien paraître, bien que son corps s’était figé. Il se tenait droit, les bras le long des flancs, sa prudence l’invitant à ne pas entamer le moindre geste qui pourrait trahir son humeur. Un rien comédien, il se contenta d’observer un air vaguement gêné, comme si la perspective d’aborder lady Black après toutes ces années lui semblait être une entreprise extravagante.
« Hélas, Poudlard est loin derrière nous et l’âge de la maturité nous a chacun rappelé le gouffre qui sépare nos positions respectives. Il ne serait peut-être pas approprié de me rappeler ainsi à son souvenir alors que nous avons pris des chemins si différents… »
Sa voix avait une touche de pudeur, mais s’affublait habilement d’un rien de rêverie. Celle-ci n’avait d’autre but que de tromper Lenore, puisqu’il était évident que le jeune homme ne pensait rien de ce qu’il venait de dire. À moins qu’Elya se soit confiée à son amie d’enfance, il y avait fort à parier que la Serdaigle ne puisse pas le deviner, cependant. Ainsi, Aïlin prenait le risque de passer pour un fieffé menteur, mais il estimait qu’il valait mieux cela que de faire preuve d’une grande imprudence.
« Je serais cependant ravi que vous lui transmettiez mon amitié, si vous le jugez approprié. » conclut-il avec une bonne humeur feinte, tandis que son regard se paraît d’une reconnaissance polie.
Ainsi se clôtura ce dialogue pour le moins risqué. Lenore, certainement aussi avisée que lui, ne prit pas la peine de renchérir et, s’intéressant aux ouvrages rangés derrière Aïlin, l’interrogea sur un tout autre sujet, lequel balaya instantanément la légère tension suscitée par leur précédent échange. Voyant la jeune femme prête à renchérir, il demeura silencieux, mais ni elle, ni lui ne purent s’exprimer davantage quand un raclement de gorge capta leur attention à tous deux. Tournant la tête, Aïlin découvrit Aodh, invariablement mal à l’aise en sa présence. Le petit elfe annonçait la fin de cette surprenante entrevue. Les sourcils froncés et l’air grave, Aïlin acquiesça pour signifier à l’elfe que son message avait été reçu. Aussitôt que la créature leur eut tourné le dos, l’alchimiste reporta son attention sur Lenore.
« Il ne serait pas convenable de faire attendre votre père. Je regrette que vous n’ayez eu davantage le loisir de parcourir ces rayonnages, mais peut-être qu’une incongruité du destin vous ramènera-t-il un jour en ces lieux. Je serais alors ravi de me faire de nouveau votre guide. »
Malgré l’aménité de son phrasé, Aïlin était parfaitement sincère. La rencontre n’avait pas pris les atours que l’alchimiste avait d’abord redouté, révélant au contraire une personnalité que le jeune homme aurait apprécié découvrir davantage. Il était assez certain, cependant, que les chances d’échanger avec la fille Greengrass seraient quasiment nulles. Bien que Bower et Greengrass n’étaient pas en guerre ouverte, trop de dissensions les séparaient. C’était un instant volé à la fatalité, une de ces rencontres qui n’auraient d’autres conséquences que de lui laisser un souvenir chaleureux de la jeune femme à laquelle il proposait de nouveau son bras.
Bientôt, ils laissèrent derrière eux les vieux livres et l’étonnante chaleur de la pierre blanche, pour repasser dans ces couloirs emprunts d’histoire et à propos desquels Aïlin n’avait plus rien à dire. Cependant, pour combler le silence revenu entre eux, l’héritier Bower s’autorisa à répondre à la question de la jeune femme, jusqu’alors restée sans réponse :
« L’alchimie est une maîtresse accaparante, mais elle a la vertu de s’allier à des domaines très divers, et pourtant subtilement imbriqués à la nature même de cette magie. Ainsi, il est nécessaire de maîtriser certains domaines de la métamorphose, des potions et de la botanique, tout en ayant des connaissances assez solides en astronomie pour officier aux moments les plus favorables. C’est la variété de cet art qui revêt son plus grand intérêt. »
Ce n’était pas tout à fait vrai, car il s’agissait là d’un résumé bien raccourci. Il y avait d’autres enjeux, véritablement métaphysiques, mais Bower ne trouvait pas pertinent de le relever à présent que le débat ne pourrait être lancé. Il aurait pu, en présence d’un interlocuteur intéressé, parler des heures durant de sa spécialité mais, encore incertain de l’attention qu’il pourrait susciter à son interlocutrice, il ne fut pas pour autant frustré de ne pouvoir palabrer davantage.
En un rien de temps, les jeunes sorciers furent devant les portes closes du grand salon. Aïlin s’arrêta, profitant du court interlude pour libérer Lenore, mais en posant néanmoins un regard chaleureux sur la lady.
« J’ai eu beaucoup de plaisir à faire votre connaissance, Lady Greengrass. Je vous souhaite un bon retour en Angleterre. »
Ainsi, il lui ouvrit la porte et lui emboita le pas seulement lorsqu’elle fut entrée dans le salon. Les deux lords étaient à présent debout, l’un face à l’autre, s’échangeant quelques amabilités qui sentaient la fausseté à des lieues à la ronde. Il était bien difficile de savoir si ces deux là étaient parvenus à trouver un terrain d’entente, mais le sujet n’intéressait plus Aïlin le moins du monde. Ces petites querelles mondaines apparaissaient à présent dans toute leur vanité. Néanmoins, le jeune homme prit la peine de s’avancer vers le rival de son père, pour lui présenter par une inclination du buste les respects qui lui étaient dus.
« Ce fut un honneur de veiller au confort de Lady Greengrass lors de votre séjour, mon lord. J’espère que votre venue vous a apporté toute satisfaction. »
Par un effort qui ne lui coûtait plus tant maintenant que la fille Greengrass lui avait fait une impression favorable, il adressa au père de cette dernière un sourire amène, approchant cette sorte de candeur propre à l’enthousiasme de la jeunesse. Puis, il se mit en retrait, laissant tout le loisir à son père de procéder aux amabilités d’usage. Ainsi, les deux familles se séparèrent, non sans qu’une occasion ne se présente de croiser une dernière fois le regard de Lenore. Figure faussement effacée aux côtés de son père, Aïlin adressa l’ombre d’un sourire à la jeune femme, tandis qu’une horde d’elfes les escortaient jusqu’à leur voiture. Bientôt, le fiacre s’ébranla pour quitter la cour du manoir et, dans un même mouvement, père et fils s’en détournèrent pour retourner vaquer à leurs occupations, sans s’accorder la politesse d’un échange de regard.
- Héritier rebelle
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