Au nom de mon Père. par Sam 7 Juin - 21:06
L'alchimiste savait déjà ce qu'il contenait, mais il le lu malgré tout, vérifiant aux formulations employées et à la formation de l'écriture s'il devait urgemment s'éclipser ou s'il pouvait avoir l'insolence de faire attendre quelque peu son père. Un pli barra ses lèvres et Maître Peverell se détourna.
« Nous en avons fini pour aujourd'hui, Aïlin. Rentrez chez vous et saluez votre mère ainsi que votre sœur pour moi.
— Merci, Maître. » chuchota Aïlin en lâchant le parchemin dans les flammes de l'athanor. Il fit une courte révérence et sortit, suivit par les yeux globuleux de l'elfe.
Henry était loin d'être dupe, d'autant qu'il avait fini par avoir l'habitude des interruptions plus ou moins régulières du lord, mais Aïlin appréciait la finesse avec laquelle il lui épargnait l'humiliation de prendre lui-même congé. Malgré tout, l'âcre goût de la bile lui remontait l'œsophage tandis qu'il sortait sous le soleil pâle mais brûlant et transplanait directement à la porte du manoir Bower.
Aïlin prit une inspiration puis entra. D'un coup d'œil au miroir accroché au mur de l'entrée, il vérifia sa tenue, et ôta d'un coup de baguette les quelques traces de suie qui avaient noircies ses joues et les manches de sa chemise. D'un autre sortilège, il fit apparaître autour de son cou un foulard de coton noir, qui se noua et se plissa de lui-même en venant épouser sa gorge. L'elfe de maison, qui l'avait suivit, tendit par dessus son minuscule corps une veste décente à passer au-dessus de sa chemise.
« Merci. » murmura-t-il.
L'elfe s'inclina et disparut aussi vite qu'il était venu.
Aïlin avait chaud, dans cette tenue. Pour une fois, le ciel irlandais avait décidé de ne pas faire pleuvoir ses éternelles larmes sur la terre et le soleil, brillant haut dans le ciel, ne semblait pas décidé à disparaître. Le temps, si changeant habituellement, était aujourd'hui au beau fixe. Pourtant, à travers les interstices des doubles portes menant au salon, la lumière semblait lui parvenir grise, altérée par quelques maléfices.
À peine se fut-il placé devant les portes qu'elles s'ouvrirent grands dans un bruit de gonds et de vieux bois. La lumière inonda le couloir jusqu'alors plongé dans la pénombre et frappèrent les iris fragiles de l'héritier Bower. Il ne cilla ni ne ferma les yeux. Droit comme un i, il s'avança jusqu'à son père. Celui-ci lui tournait le dos, le regard rivé sur le portrait d'un de leurs illustres ancêtres, accroché au-dessus de la cheminée. Stoïque, le jeune homme leva la tête à son tour, contemplant le port altier de Toal Bower. Son visage émacié transpirait d'intelligence, et il souriait comme s'il venait d'entendre un trait d'esprit particulièrement plaisant. Aïlin remarqua avec une pointe d'angoisse que le portrait avait repris la position que lui avait donné initialement le peintre. Devin avait momentanément rompu le charme qui animait les tableaux. Il était toujours déplaisant de constater ce détail, car il signifiait que le patriarche avait quelques desseins qui ne sollicitait pas l'avis de ses prédécesseurs. Des desseins qui incluaient une conversation difficile.
« Vous m'avez fait mander, Père. » finit par prononcer Aïlin, le ton aussi neutre que le demeurait son faciès.
Il n'osa parler davantage. C'était toujours quelque chose d'audacieux voir de dangereux que d'ouvrir le propos avant le maître de maison. Celui-ci avait un don pour rebondir désagréablement sur la moindre phrase, aussi innocemment le fils pouvait-il la formuler.
Un pas en retrait, il baissa les yeux pour fixer un point imaginaire droit devant lui, sur l'angle dessinant le rebord du chien de la cheminée. Raide, aux abois, il attendit de voir Devin lancer les hostilités de sa façon coutumière : tourner longuement autour du sujet avant d'entrer, incisif, dans le vif du propos, prenant son interlocuteur au dépourvu.
- Héritier rebelle
Que vois-tu…?
Messages : 814Date d'inscription : 21/06/2013
Age : 34
Habitat : Manoir Bower, Connaught
Parchemin Magique
Classe: Jeune Prodige
Branche: Haute-Magie
Spécialité(s): N/A
Re: Au nom de mon Père. par Sam 7 Juin - 23:28
Entre ses propres déplacements et les continuelles fuites en avant de son héritier, le lord sentait le contrôle qu'il exerçait sur le jeune homme faiblir de mois en mois. Il lui avait laissé la bride trop lâche et l'influence néfaste de Peverell sur lui n'arrangeait en rien la situation conflictuelle qu'Aïlin n'avait de cesse de nourrir.
Devin lui avait passé ses allers-retours au Cabaret, comme il avait fini par lui accorder de se faire l'apprenti du Gryffondor, quand bien même il voyait la main mise d'Henry sur son fils comme une provocation de bonne guerre, davantage que pour le talent apparemment considérable du « jeune prodige ». Le Patriarche savait que, malgré ce que le fils en pensait, il agissait d'une façon semblable à son père dans sa jeunesse. Lui aussi avait mis au défi l'autorité paternelle. Et, à la faiblesse avérée, il s'était emparé de l'héritage familial, se constituant le nouveau maître de maison, garant de la postérité du nom.
Une postérité entamée mais qu'il avait vue faiblir au fil de ces derniers mois. Les Bower ne faisaient plus l'unanimité, et le choix marital du lord revenait, dans son dos, sur le tapis. Il fallait être sot pour ne point saisir les enjeux sociaux et économiques ayant motivés son union à Bronach Catherwood, jeune et naïve lady de haute naissance. Son géniteur, pair à la Chambre des Lords, avait si largement gonflé les coffres à son trépas que Devin avait pu se permettre la restauration complète du manoir, selon l'architecture en vogue. Il y avait donné les plus belles réceptions d'Irlande, avait étiré ses griffes sur le gratin de la société, conspiré jusqu'à la nomination tant espérée d'Ambassadeur d'Irlande.
Aujourd'hui, il y avait ce fils de sang-mêlé, ce presque Mutmag pour certains, ce fils qui ne pouvait prétendre à la pureté. De part son existence même et l'existence de sa sœur, Devin ne pouvait pas retourner sa veste. Chaque jour, le pouvoir des radicaux prenait de l'ampleur, et l'instinct du lord lui susurrait qu'au jeu de la guerre, ils auraient l'avantage.
Malgré tout, ce n'était pas là son principal souci. Il n'avait guère sourcillé lorsqu'on lui avait appris l'existence de la liste des traîtres à leur sang. De tout cela, Devin s'était douté à partir du moment où les premières tueries à l'encontre des sorciers étaient apparus dans la campagne anglaise. La violence étonnait moins un irlandais qu'un britannique. Il y était mieux habitué, il aurait même pu le prédire s'il avait présagé que Charles II aurait eu le mauvais goût de trépasser si vite. Même l'assistance d'un guérisseur sorcier n'avait rien pu contre la maladie, ce contre toute attente. Jacques II au pouvoir, les catholiques ne se sentaient plus de pouvoir et les conséquences étaient là. L'Angleterre se gangrénait du même mal que le reste de l'Europe. Une suite logique d'évènements, qui n'auraient qu'un unique aboutissement. Le chaos avant l'implosion et la dislocation de plusieurs sociétés. L'on était au tournant et, dans ce monde fragilisé, les occasions de monter plus haut, de voir plus grand, croissaient, plus tentantes les unes que les autres.
Là était le cœur de son problème. Dans ce monde retenu par des fondations essoufflées, on lui avait donné un fils à l'ambition trop relative. Son unique héritier se plaisait à jouer l'érudit et prenait toutes ses précautions pour demeurer éloigné de la vie politique de son pays. La répulsion qu'éprouvait Aïlin à l'égard de la Chambre du Conseil n'était qu'une rébellion enfantine, une tentative absurde de démarcation et d'indépendance dont, malgré ses vingt-quatre ans, il n'avait su se défaire.
Pourtant, l'enfant était aujourd'hui un homme. Du moins aurait-t-il dû l'être. Il avait beau le cacher derrière un visage de marbre et un regard ardent, Devin n'était pas dupe. Le fils était également trop sensible. Le jeune homme avait trop de cœur. C'étaient là deux choses qui ne faisaient pas survivre un homme. Deux choses qu'un futur lord se devait de garder sous l'emprise irréductible de son intellect.
Le sujet de son agacement entra, mais le patriarche ne broncha pas. Il ne voyait plus vraiment le visage de Toal mais seulement des couches de peinture et des empreintes de pinceau, délicatement tracées. Un geste maîtrisé qui avait demandé plus de technique que de cœur.
La tension augmenta d'un cran. Devin la sentait, mais ne l'éprouvait pas pour autant. Sans se tourner vers le fils, il répondit :
« Tu m'en vois obligé de plus en plus fréquemment, je dois le dire. As-tu seulement encore le temps de mener à bien les tâches qui t'incombent dans la maison de ton père ? »
Lord Bower, croisa les mains dans son dos en se tournant vers son fils. Il darda alors son regard fixe et perçant dans celui, fermé, du fils. Aïlin était presque aussi haut que lui. À peine quelques petits centimètres de moins, mais le père appréciait de pouvoir, encore, le voir lever les yeux tandis qu'il sollicitait l'éternel résumé de ce qu'il s'était passé lors de son absence.
- Haut-Sorcier
Que vois-tu…?
Messages : 55Date d'inscription : 04/06/2014
Parchemin Magique
Classe:
Branche:
Spécialité(s): N/A
Re: Au nom de mon Père. par Dim 8 Juin - 18:57
Passant la remarque désobligeante sans sourciller, l'héritier attendit l'invitation coutumière de Devin. Au rapport, fils. Et, tel un loyal sujet, il se devait de se lancer dans l'ennuyeux résumé de ce qu'il s'était passé d'important tandis que le lord avait été en déplacement. Selon lui, il y avait toujours quelque chose qui méritait de se savoir. Aïlin, pour sa part, veillait à ce que rien de ce qui aurait dû être su parvienne à la connaissance du patriarche.
Retenant un soupir à l'énumération de toutes ces banalités, Aïlin se lança :
« Rien n'a été négligé, Père. Deux parchemins scellés de bleu sont arrivés hier matin. Je les ai personnellement rangé dans le coffre de votre bureau, avec le reste de vos effets confidentiels. Mère a invité la fille Fawley et Mrs Croupton à prendre le thé mercredi. La première est encore sous le choc de la disparition de son père et le geste a été bien reçu. »
L'alchimiste marqua une brève pause alors qu'il s'apprêtait à aborder un tout autre sujet, autrement plus important. Pour ce propos-là, il se devait, au nom de sa sœur, de ne pas omettre quoi que ce soit qui puisse mettre en valeur la jeune femme.
« Votre fille a entamé ses leçons d'enchantements appliqués. Le renforcement de ses connaissances en la matière ont l'air de canaliser positivement son énergie, m'accorder de lui promulguer ses leçons fut avisé, père. Je ne suis pas un expert en la matière cependant et je crains de me voir rapidement limité dans ce que je pourrai lui apprendre. Lynn apprend plus vite que je ne le pensais, quand elle s'y est décidée. »
Le passage délicat de Lynn était abordé, mais Aïlin conserva son naturel, sans qu'une trace d'anxiété ou d'hésitation ne marque son visage. Il n'en avait pas fini au sujet de Lynn. La jeune femme le suppliait depuis des mois pour ces leçons et, maintenant qu'elle les avait, tous deux se rendaient compte qu'il lui fallait plus encore. Indubitablement, sa sœur était faite pour travailler avec les enchantements. Elle avait besoin d'un maître, d'un initiateur capable de lui transmettre les secrets de l'art de l'enchantement avec bien plus de profondeur qu'Aïlin. Si le Serdaigle, curieux de nature, connaissait le sujet, il ne maîtrisait pas assez la matière pour permettre à sa sœur de révéler complètement son potentiel. L'héritier lui-même l'avait reconnu, lorsqu'elle avait timidement suggéré l'idée d'un enseignement supérieur. Ne pas essayer de convaincre leur père du bien-fondé de la chose aurait été du gâchis.
Il n'était pas temps, cependant, d'en faire la demande explicite. Aïlin savait que demander avant d'avoir satisfait les attentes du patriarche était la meilleure solution pour voir toute possibilité d'accord s'évaporer. Aussi continua-t-il sur le même ton :
« Les elfes ont fait leur travail. Brady a bien réceptionné votre nouvelle cape brodée au cordon de soie, de chez Tissard. Celui-ci vous a fait grâce d'une paire de gants accordés, afin de s'excuser de son léger retard. Il se déplacera à votre convenance en cas de retouches nécessaires. »
La sensation désagréable d'être le majordome de son paternel lui traversa l'esprit alors qu'il terminait sa dernière phrase, mais quand il croisa le regard de son père, lui indiquant silencieusement qu'il n'avait rien d'autre à dire, aucune trace de ses pensées profondes ne le trahirent.
- Héritier rebelle
Que vois-tu…?
Messages : 814Date d'inscription : 21/06/2013
Age : 34
Habitat : Manoir Bower, Connaught
Parchemin Magique
Classe: Jeune Prodige
Branche: Haute-Magie
Spécialité(s): N/A
Re: Au nom de mon Père. par Lun 9 Juin - 12:23
L'ambassadeur jaugea le Serdaigle d'un regard aussi perçant qu'insondable. Ce qu'il pensait ne passait jamais dans ses yeux. Ils étaient toujours froids et durs, et seule la contraction ou la dilatation de ses pupilles pouvaient constituer un indice sur l'attitude qu'il aurait, l'instant suivant. Pour le moment, celles-ci demeuraient rétractées, presque noyées dans le gris de ses prunelles.
Aïlin aurait eu tant de choses à dire, à son sujet… Il ne prononçait pas un mot, pourtant, certainement peu pressé que son cas personnel soit abordé. Il y avait de quoi. Le jeune homme était très loin d'être son seul informateur à propos de ce qu'il se passait, ou ne se passait pas, au manoir lors des absences du véritable maître des lieux.
D'un mouvement lent et raide, Devin se détourna et s'approcha de la desserte que lui avait apporté, plus tôt, l'un des elfes de maison. Retournant l'un des deux verres puis s'emparant de la bouteille, il se servit une dose de Bushmills et ajouta quelques gouttes d'eau pour libérer l'arôme du Whiskey. Le lord prit le temps de goûter la boisson, avant de se décider à porter le premier coup d'estoc.
« Je m'étonne d'autant de précisions de ta part quant à ce qu'il s'est passé ces derniers jours, mais t'entendre éluder la semaine précédente, au point qu'elle ne semble guère avoir existé. Ta sœur aurait-elle omis de t'en faire un récit viable, pendant ton absence ? »
Devin fit tournoyer le liquide ambré dans son verre, sans lâcher Aïlin des yeux. Le jeune homme croyait échapper à l'œil acéré de son père lorsque celui-ci quittait l'Irlande. Il était temps de l'en détromper, avant que la situation devienne véritablement gênante. D'après ce qu'il présumait, cela était déjà en bonne voie…
« Ne me fais pas perdre mon temps par des dénis, je sais. La règle est pourtant simple, tu as la gérance du manoir lorsque je suis absent. Un privilège que tu prends de plus en plus à la légère, semble-t-il. Tu es d'abord plus soucieux d'une autre vie que celle dont tu as la responsabilité lors de l'attaque de la Concorde, maintenant tu laisses le domaine sans surveillance. Ta loyauté envers ta famille meurt un peu plus au fil des jours… »
Un rictus barra la bouche de lord Bower. Il s'avança jusqu'à son fauteuil et le tourna dos à la cheminée, pour s'y assoir tout en faisant face à son fils. Croisant les jambes, il repoussa sa cape de côté et bu une nouvelle gorgée de whiskey.
« Allons, j'en meurs d'impatience. Narre-moi le récit de ce qui t'as motivé à omettre ton devoir le plus élémentaire. »
Les yeux de Devin brillèrent d'un éclat sauvage. Il avait, en cet instant, l'attitude d'un chat imaginant comment, l'instant d'après, il sauterait sur sa proie pour fermer sa mâchoire directement sur la nuque, afin que celle-ci ne réchappe pas. Mais Devin ne brisait jamais complètement. Félin, il préférait jouer longuement d'abord. Aïlin ne réchappait pas à ce petit plaisir sordide. Au contraire, il était, ces dernières semaines, la cible favorite des humeurs de son père, malgré les plaintes de Bronach.
- Haut-Sorcier
Que vois-tu…?
Messages : 55Date d'inscription : 04/06/2014
Parchemin Magique
Classe:
Branche:
Spécialité(s): N/A
Re: Au nom de mon Père. par Lun 9 Juin - 19:10
Soit, ses secrets étaient en danger, mais le jeune homme n'avait pas omis le risque que son père apprenne son escapade en dehors des terres. Partir à Portree avait été une décision risquée, mais le mal était fait. À présent, il n'y avait plus qu'à espérer que le patriarche en sache le moins possible. Merlin savait par quels moyens encore Devin Bower parvenait à se renseigner sur les écarts de son héritier. Le jeune homme avait beau être discret et relativement prudent, le risque, avec un père aussi sournois et calculateur, n'était jamais complètement absent.
Il ne comptait pas nier. Ç'aurait été absurde, et n'aurait fait qu'attiser la colère de son père. Aïlin s'efforça de calmer les battements de son cœur, sans ciller ni bouger. Malgré tout, ses sourcils se froncèrent lorsque Devin lui reprocha l'attitude qu'il avait eu lors de la Nuit de la Concorde. Ce genre de remarques avaient le don de l'exaspérer au plus haut-point.
L'alchimiste se rendit compte que sa mâchoire s'était trop serrée, sous le coup de la nervosité et de la colère qui macéraient dans ses entrailles. Profitant que Devin lui tourne le dos un instant, il prit une inspiration et s'étira rapidement la nuque pour se décharger, autant que possible, des sentiments négatifs qu'il ne pouvait lâcher contre son père. Puis, alors que le lord prenait place dans son fauteuil favori, Aïlin se servit à son tour, aussi désinvolte que si la question précédente avait concerné le temps qu'il faisait. Lorsqu'il eut rempli de moitié son verre, il fit face au patriarche, baissant les yeux pour croiser les siens.
« Je n'ai pas eu d'autres choix. J'ai commandé au clan MacFusty un cœur de dragon il y a des mois de cela, et un cœur de noir des Hébrides allait être disponible. Néanmoins, le clan ne cède pas un tel organe au premier venu, et il m'a été nécessaire de partir plusieurs jours, afin de leur prouver mon sérieux et ma volonté. Le marché était que je permette à la dragonne d'expirer sans souffrir davantage, lorsque le moment serait venu. Ce que j'ai fait. Je suis revenu au manoir, chargé de mon butin, dès lors que j'en avais fait l'acquisition. »
Aïlin s'efforça de se doter d'un air grave, espérant ainsi avoir l'air davantage sincère.
« Une telle occasion aurait pu prendre des années avant de se présenter à nouveau. J'ai veillé à prendre des nouvelles chaque soir et ai donné des instructions précises aux elfes, afin que les règles du manoir soient respectées en notre absence à tous deux. Ce n'est pas le manque de loyauté qui m'a poussé hors du domaine, mais la nécessité, tout simplement. »
Très calme, Aïlin marcha jusqu'aux deux autres fauteuils et s'installa dans celui le plus en face de son père.
« Je ne prends rien à la légère, Père. J'ai conscience que Lynn n'aurait pas contrevenu aux ordres que je lui avais donné par peur de voir ses leçons d'enchantements annulées. Elle était sous la bonne garde de Mère et des elfes, qui eux-même étaient sous les protections ancestrales de nos terres. Face à ce constat, il est vrai, j'ai pris la liberté de leur accorder ma confiance. »
- Héritier rebelle
Que vois-tu…?
Messages : 814Date d'inscription : 21/06/2013
Age : 34
Habitat : Manoir Bower, Connaught
Parchemin Magique
Classe: Jeune Prodige
Branche: Haute-Magie
Spécialité(s): N/A
Re: Au nom de mon Père. par Mar 10 Juin - 17:36
Tant que les motivations du jeune homme étaient effectivement celles qu'il avait énuméré, lord Bower se fichait bien du détail de son séjour. Ce qui lui déplaisait, en revanche, était qu'Aïlin ait désobéi à l'ordre pourtant clair qu'il lui avait donné. Lorsque le maître des lieux devait s'absenter plus d'une semaine, c'était à lui que revenait le devoir de rester au manoir et veiller sur le reste de la famille. Quelles qu'en étaient les raisons, Devin n'acceptait pas de laisser les femmes de la famille seules. Elles manquaient trop de jugeote pour rester raisonnables et ne pas s'octroyer quelques libertés malvenues. Aventureuse comme l'était Lynn, il suffisait de trop peu pour que celle-ci déclenche quelques catastrophes, si personne n'était là pour lui maintenir la bride serrée.
« Qu'importe les raisons, tes priorités sont celles que je te donne, quelles que soient tes urgences personnelles. Tu as failli à tes devoirs et quelles que soient les précautions prises, le fait est là. Tu ne connais rien aux femmes si tu penses qu'une menace si dérisoire les maintienne en place. »
Devin s'interrompit pour boire une nouvelle gorgée de whiskey. Son regard sonda son fils un moment, cherchant à démasquer les émotions qu'il pouvait refouler en cet instant.
« Il y avait d'autres méthodes plus simples et plus rapides pour obtenir un cœur de dragon. Tu es mon fils, Aïlin. Je n'aime guère savoir que mon héritier joue aux serviteurs pour une famille de sauvages écossais. Si ton maître n'a pas le bras assez longs pour t'obtenir ce genre d'ingrédients, pour ma part, une seule lettre aurait suffi. »
Le ton de sa voix marqua clairement le sarcasme qu'il employait pour parler du maître alchimiste. Devin ne portait pas l'homme dans son cœur malgré leurs relations apparemment cordiales, et le fait qu'il ait permis à son fils d'échapper à une place à la Chambre à sa sortie de Poudlard n'arrangeait pas le mépris qu'il éprouvait contre Peverell.
« …À moins, bien sûr, que les raisons poussant un jeune alchimiste à posséder un cœur de dragon ne concernent pas son maître… ni son père. »
Son instinct lui disait que la partie cachée de ce récit était plus intéressante que ce qu'Aïlin voulait bien lui révéler. S'il lui cédait aussi facilement ses raisons, c'était que d'autres motivations moins avouables macéraient sous la surface. Il n'obtiendrait rien, cependant, en questionnant son fils, ni même en le menaçant. Aïlin avait muri, il n'était malheureusement plus aussi impressionnable qu'avant et les coups semblaient passer sur lui comme une maigre averse sur une terre craquelée. Seul énoncer les vérités qu'il connaissait déjà délierait la langue de son fils ou, au contraire, la maintiendrait, aussi lourde que du plomb, derrière ses lèvres closes. L'éclair qui passait dans les yeux d'Aïlin et le silence qui s'ensuivait étaient plus révélateur de sa culpabilité que n'importe quoi d'autre. Et, alors, Devin ne démordait plus pour obtenir le fin mot de l'histoire. C'était un jeu de stratégie entre père et fils, où l'un tentait de camoufler sa culpabilité quand l'autre cherchait sournoisement à la démasquer.
« Aodh m'a conté qu'une jeune femme est venue ici, il y a quelques temps déjà. Une jeune femme qui n'a rien à faire au manoir Bower. Notre serviteur m'a, de plus, rapporté qu'en passant près des grandes portes, il a entendu l'énumération d'une liste d'ingrédients. Je serai prêt à parier que cette liste comptait le cœur d'un dragon. »
Lentement, les pupilles de lord Bower grossissaient. Il était tendu sur son siège, le regard rivé dans celui de son héritier, les lèvres amincies.
« Il est temps que tu me racontes ce que tu mijotes… »
- Haut-Sorcier
Que vois-tu…?
Messages : 55Date d'inscription : 04/06/2014
Parchemin Magique
Classe:
Branche:
Spécialité(s): N/A
Re: Au nom de mon Père. par Mer 11 Juin - 0:04
Lorsque l'ambassadeur sentait le caractère d'Aïlin faire barrage aux leçons qu'il voulait faire entrer dans son esprit, l'atmosphère pouvait en revanche virer à l'orage. Le jeune homme n'aurait su dire si le tempérament parfois violent de son père était excessif, il n'avait jamais connu que cela. Il vivait, depuis sa plus tendre enfance, dans un environnement chargé de suspicion, d'aigreur et de culpabilité. Il avait grandi dans la peur de son père, mais cette peur l'avait, aujourd'hui, presque entièrement quittée. Aïlin avait les moyens de se défendre, et il était arrivé qu'il pointe sa baguette sur le front de son père quand celui-ci s'avisait de pointer la sienne sur Bronach ou sur Lynn. Il préférait, et de loin, encaisser les humeurs du patriarche à leur place.
En revanche, il n'eut pas de quoi se défendre de ce que lui révéla soudain Devin. Les yeux d'Aïlin s'écarquillèrent de saisissement pendant une fraction de seconde. Il savait pour Elya. Il le savait depuis longtemps déjà mais n'en avait rien dit. S'il venait à lui dire maintenant, c'était qu'il avait trouvé le moyen de le lui faire payer. Osant à peine respirer, Aïlin se raidit sans pouvoir l'empêcher. Au regard de son père, l'héritier su que le patriarche tenait sa proie. Ou, du moins, le croyait.
Le jeune homme était pris au dépourvu, c'était vrai. Il avait pris le soin d'envoyer hors du manoir Aodh, l'elfe en lequel il éprouvait le moins de confiance, afin d'être certain que celui-ci n'espionne pas le fils du maître et son invitée. Les autres elfes du manoir évitaient tout simplement Aïlin quand il se tramait quelque chose de spécial, afin d'être sûrs de ne rien voir et de ne pas avoir quoi que ce soit à confier au maître des lieux. Une seule de ces créatures osait vouer plus de loyauté à Aïlin qu'à Devin. Brady, l'elfe qui avait reçu Elya. Malheureusement, tout comme Brady osait mentir à Devin, Aodh osait désobéir au fils. Il fallait, au manoir, se méfier de ses serviteurs au moins autant que des membres de sa famille.
Elya… Le cœur d'Aïlin s'emballa. Il n'avait pas peur pour lui, mais en revanche, il craignait de mettre la jeune femme dans une situation dangereuse. Si Devin choisissait d'intervenir, il n'aurait aucune pitié envers elle. Il était capable de briser la vie de la potionniste dans le seul dessein de remettre l'héritier sur le droit chemin.
Et pourtant… Pourtant, Aïlin avait songé, tandis qu'il revenait d'Écosse, à confier ses découvertes à son père. Il y avait songé plus fortement encore à la réaction qu'avait eue Elya, lorsqu'il avait narré le récit de sa rencontre avec Drew Black. Il avait eu cette pensée folle, calculatrice mais audacieuse, qui l'avait porté loin dans ses songeries. Il avait vu son idée se couler, limpide, dans le lit de son esprit. Savoir que Drew Black était bien en vie était un avantage qu'il avait même sur son propre père. Qu'il avait sur Elya, sur Cathleen. Voir un tel secret lui être révélé lui donnait plus de contrôle qu'il n'en avait jamais eu. Il pouvait, seulement en ayant conscience de l'exil du père d'Elya, changer l'avenir de la jeune femme et de la famille Black. Il savait qu'il se montrait digne de son père se faisant, mais il voyait là l'opportunité de mettre un tel coup à Cathleen qu'elle pourrait ne pas s'en relever. Son père avait au moins su lui inculquer une chose : rien n'était plus destructeur qu'un secret révélé. L'homme qui savait possédait le pouvoir. Aïlin baissa les yeux pour cacher l'éclair de satisfaction qu'engendrait le souvenir de ce qu'il possédait. Il avait eu l'idée osée de compter, étant donné la préciosité de ce qu'il savait, son père comme un allié.
Oui, l'idée de le révéler au lord l'avait effleuré, mais il ne s'était pas senti prêt, ne l'avait guère osé. C'était trop dangereux, l'issue sûrement plus incertaine que ce qu'il se l'imaginait dans ses rêveries. Il s'était tu, mais aujourd'hui, ce qu'il savait des Black pouvait lui sauver la mise. Et peut-être sauver Elya d'un des pires partis du Royaume-Uni, Janus Gaunt, tout en lui permettant de retrouver son père.
Aïlin ne respirait plus du tout lorsqu'il braqua de nouveau les yeux dans ceux de son père. Le risque était énorme, mais les gains d'un tel coup, s'il osait le jouer, dépasseraient toutes ses espérances. Il ne s'agissait pas seulement de lui. Le propos avait eu le temps de tourner dans son esprit. Déstabiliser Cathleen, la frapper quand elle ne s'y attendait pas porterait un violent coup d'estoc au pouvoir qu'accumulaient les partisans de la théorie du sang-pur. Elya approuverait-elle une telle attaque ? Le jeune homme l'ignorait. Mais s'il devait parler, c'était maintenant.
« À vrai dire, cela dépend beaucoup de vous… et de ce que vous pourrez entendre. »
Aïlin s'humidifia les lèvres, le temps de réfléchir, de se donner une contenance. Ses doigts firent tourner avec lenteur le verre qu'ils retenaient, tandis qu'il cherchait la meilleure façon d'avoir l'air aussi blanc que possible.
« Il y a des choses dont je me suis douté, à propos de la famille Black. Entre ce qui se murmure et la vérité, il y a parfois un océan. En l'occurrence, il m'a fallu en traverser un pour découvrir que mon intuition ne m'avait pas trompé. J'ai pris l'initiative d'approcher Elya sans vous en parler, je ne tenais pas à vous faire perdre votre temps. Il s'avère qu'en vérité je n'ai pas gaspillé le mien. Vous devez vous interroger sur les raisons qui m'ont amené à agir de la sorte. Je crois que mes motivations importent cependant peu face au fait d'avoir appris que Sir Drew Black est bien en vie, et qu'il serait prêt à repasser les frontières si on lui offrait l'opportunité de retrouver ses filles sans y risquer la vie. »
- Héritier rebelle
Que vois-tu…?
Messages : 814Date d'inscription : 21/06/2013
Age : 34
Habitat : Manoir Bower, Connaught
Parchemin Magique
Classe: Jeune Prodige
Branche: Haute-Magie
Spécialité(s): N/A
Re: Au nom de mon Père. par Mer 11 Juin - 18:30
Lentement, aussi détendu que le Serdaigle était aux arrêts, Devin s'enfonça dans le dossier de son fauteuil en relevant le bras, pour approcher de nouveau son verre de sa bouche.
« Parle et nous verrons. » ordonna-t-il, avant d'amener une gorgée du breuvage jusqu'à sa langue.
Il dégusta longuement la saveur de cette gorgée, plus que toutes les autres. Enfin, quelque chose d'intéressant allait se produire dans ce salon. Quoi que c'était, l'ambassadeur avait l'intuition que cela le satisferait, d'une façon ou d'une autre. Il aurait tout le loisir de déverser enfin la fureur qu'il nourrissait contre son fils, ou la verrait refoulée par quelques propos intelligents. Bien que ce fut un Serdaigle, Devin doutait néanmoins que son fils fut capable de le surprendre aussi positivement. Mais, allons, la fatalité n'était qu'une vue de l'esprit…
Aïlin parla. Le jeune homme ne s'embarrassa pas d'hésitations ou de formules destinées à tourner autour du pot. Pour autant, il ne s'avérait pas exempt d'un certain talent pour les effets de manche. Son parler, court et efficace, avait de quoi séduire le lord. En particulier sa conclusion.
Car, tant qu'Aïlin n'était pas arrivé au fait, le regard perçant de Devin l'avait fixé d'un air féroce. Puis, quand le prénom de l'héritier Black fut prononcé, la rage latente qui arrondissait ses pupilles mourut sous le coup de la surprise. L'émotion, pendant un très court instant, trahit la stupeur du noble irlandais. Pendant ce moment, il ne s'interrogea plus sur les motivations du jeune alchimiste.
Devin avala une nouvelle gorgée de Bushmills. Il demeurait silencieux, tandis que son esprit allait à vive allure, cherchant à la fois à percer les cheminements de celui de son interlocuteur, autant qu'il se projetait vers l'opportunité que l'héritier lui présentait. C'était inattendu, peut-être même inespéré. Autant d'obtenir une telle arme que de l'obtenir de la main du fils, à un moment aussi crucial que celui-ci. Les forces se formaient, les premiers coups se jouaient. Une guerre se préparait dans l'ombre. C'était un jeu de stratégie, dans lequel les coups de l'instant comptaient moins que ceux que l'on s'apprêtait à jouer, ainsi qu'à recevoir. La capacité d'anticipation était primordiale. Alors, comment anticiper l'annonce confiée par Aïlin ?
« Dis-moi, mon fils… Ne serais-tu pas en train de faire de la politique ? »
Une lueur d'amusement passa sur le visage du lord. L'homme se leva alors puis alla remplir son verre, vidé aux trois-quarts. Finalement, peut-être que quelque chose était bien entré dans la tête d'Aïlin. Devin demeurait méfiant, malgré tout. L'on n'apprenait pas la grimace aux vieux singes, et le sorcier savait qu'une telle opportunité profiterait aussi à celui qui l'apportait. Devin doutait sincèrement qu'il espérât une récompense ou de la seule fierté. Le jeune homme ne marchait pas à la récompense. Il avait un plan, restait à deviner où il tirerait bénéfice de la situation.
Le patriarche sonda l'aîné en lui faisant de nouveau face. Aïlin s'attendait sûrement qu'il se jette sur ce qu'il lui apportait comme un chien sur un morceau de viande, mais le lord ne lui offrirait pas ce soulagement.
« Quel miraculeux retournement de situation, Aïlin… Il suffit qu'une femme vienne au manoir pour que soudain, les intrigues de derrière la scène t'intéressent. Tout le monde a ses failles, certes, mais la tienne est décidément trop évidente. Par hasard, ne nourrirais-tu pas quelques inclinations pour Elya Black ? »
Se débarrasser de la grand-mère au profit du père fautif de traîtrise à son sang était le meilleur chemin pour s'emparer de l'héritière. C'était ainsi, en tout cas, qu'aurait agi Devin. Lui-même avait arrangé son propre mariage en fomentant, bien qu'à l'inverse d'Aïlin, il n'y avait eu aucune histoire de désir ou d'amour en arrière-plan. Deux choses desquelles l'alchimiste peinait à se dissocier. Dans ces circonstances, le soupçon était plus que justifié.
« Allons, tu as trop parlé. Continue jusqu'au bout de ta pensée. »
- Haut-Sorcier
Que vois-tu…?
Messages : 55Date d'inscription : 04/06/2014
Parchemin Magique
Classe:
Branche:
Spécialité(s): N/A
Re: Au nom de mon Père. par Jeu 12 Juin - 15:55
Pour un peu, le jeune homme en aurait souri. Son père avait toutes les raisons de s'étonner, Aïlin ne partageant pas sa passion pour les intrigues de Cour. Voilà pourtant que lui-même mettait un sujet mondain sur le tapis et exposait l'exploration approfondie qu'il avait mené sous la surface. La vérité, l'héritier la connaissait. Il était aussi capable de rouerie que son père, mais la différence était qu'à l'inverse de celui-ci, Aïlin faisait plus souvent le choix de ne pas en user. Bien sûr, c'était un menteur, certains le voyaient même comme un manipulateur. L'alchimiste, lui, ne voulait pas se voir ainsi. L'idée de ressembler à son père le débectait plus que tout.
Cette fois faisait pourtant exception à la règle. Il devait bien l'admettre ; dès l'instant où l'idée avait franchi ses pensées, il était devenu, plus que jamais, le digne fils de son père. En ressentait-il ne serait-ce qu'une once de culpabilité ? Aïlin n'aurait su le dire. En cet instant, ses émotions étaient confuses, mitigées. Oui, peut-être se sentait-il un peu coupable vis-à-vis d'Elya. La jeune femme ne se doutait pas une seconde de ce que son ancien préfet faisait en ce moment même. Il n'avait osé lui toucher le moindre mot de cet audacieux projet. Cela aurait été un pas vers sa réalisation. Et pourtant, voilà qu'il le faisait face à celui qu'il avait toujours considéré comme une sorte d'ennemi naturel. Son père. Pour la première fois de sa vie, Aïlin attendait, espérait quelque chose de celui-ci. Il reconnaissait sans honte que l'ambassadeur était largement plus compétent que lui sur le délicat sujet qu'il avait amené. Pour une fois, peut-être que son aide, ses conseils, en bref une alliance, seraient profitables au Serdaigle. C'était une hypothèse aussi folle que dangereuse, et il ne savait s'il ne devait pas déjà regretter l'ombre de la confiance qu'il venait d'adresser à lord Bower.
La remarque désobligeante du patriarche renforça le doute d'Aïlin. Le jeune homme encaissa le sarcasme en silence mais, de nouveau, ses tripes se crispèrent de colère. Du mépris, en toute circonstance. Voilà la seule chose qu'il semblait pouvoir obtenir de son père. Pourquoi, par Merlin, espérait-il obtenir autre chose pour cette fois ? Parce que le jeune homme venait malgré tout d'appuyer sur la corde sensible du père. Parce qu'il comptait davantage utiliser ce dernier que de se soumettre à ses recommandations, cela en jouant avec ses attentes, ses aspirations. Parce qu'il avait le pouvoir, cette fois, d'avoir un jeu au moins égal à lui, si ce n'était supérieur. Parce qu'il pouvait s'emparer d'une liberté nouvelle. À y réfléchir, les raisons de ses aveux étaient plus nombreuses que ce qu'il n'aurait pu le soupçonner. Certaines, peut-être, lui échappaient encore.
Conservant son sang-froid, le jeune Bower fit un effort pour calmer l'aigreur lui nouant la gorge. Cependant, ses sourcils se froncèrent à la question directe que lui posa Devin. Aussi stupide cela pouvait-il paraître, il ne s'était pas attendu à cette question. Parce qu'il n'aurait pas imaginé que son père aurait été si direct, ou parce qu'il n'avait pas même songé, avant de parler, à la motivation que sous-entendait son paternel. Il agissait dans l'ombre, et même s'il le faisait en partie pour elle, il jouait aussi avec les sentiments d'Elya en projetant un tel plan.
Était-il donc motivé par une inclination envers la jeune femme ? Difficile à dire, mais Aïlin savait quelle réponse attendait son père. À titre personnel, cependant, l'alchimiste se sentait davantage pris au dépourvu qu'il l'aurait présagé. Aussi garda-t-il un moment le silence.
Elya Black était une femme séduisante, quoi que froide. Elle avait de la tenue, de la prestance, des yeux de glace qui attiraient au moins autant que ses lèvres carmines. Il avait déjà éprouvé l'envie de goûter à ses lèvres, et peut-être davantage. C'était une femme désirable, mais n'en déplaise à son père, Aïlin n'avait qu'une très vague idée de ce que pouvait être, véritablement, l'amour. Il n'avait jamais aimé. Désiré, de nombreuses fois. Satisfait ses envies, ses appétits. Aimer, en revanche, était une chose à la fois intrigante, effrayante et mystérieuse. Un sentiment lointain, auquel Bower ne tenait guère à s'intéresser plus que cela. Parce qu'il avait été éduqué avec la théorie selon laquelle l'amour était un danger pour l'homme, le premier pas vers sa perte. Parce qu'il savait qu'un Bower ne devait pas s'intéresser à ces choses-là. Il fallait les laisser à ceux qui avaient la place, dans leur vie, pour les élans du cœur. Les médiocres, les femmes, les gens simples, les poètes. En tant qu'aristocrate, il se marierait par alliance politique, et au mieux aurait-il le droit d'éprouver quelques tendresses pour une femme, s'octroyer cette fantaisie comme un loisir, comme on lit de la fiction marbrée de romantisme. Ce d'une façon nécessairement ponctuelle. Surtout, il fallait refermer le livre avant que la moindre conséquence néfaste ne puisse survenir. C'était pourquoi un mariage ne devait jamais comporter quelqu'amour.
C'était là tout ce que lui avait enseigné lord Devin Bower à propos du cœur, et c'était tout ce qu'il en avait jamais su. Il aurait pu, comme certains, se plonger dans les livres pour en apprendre davantage, mais Aïlin avait d'autres choses à étudier, bien plus essentielles pour lui. S'il éprouvait de l'amour, c'était pour son art, l'alchimie.
« C'est une femme séduisante, d'autant plus qu'elle m'est inaccessible, je le confesse. Je serai idiot ou totalement fou, en revanche, de me tourner vers quelque projet démesuré simplement pour une paire de grands yeux. Non père, il n'y a rien d'autre que de la sympathie, ainsi que de l'estime pour les talents et la personnalité de Miss Black. Rien qui me pousse à une impétuosité irréfléchie, que vous abhorreriez. »
Aïlin marqua une pause, s'humectant la gorge en prenant une gorgée de whiskey, avant de reprendre :
« Si Elya sait de ma bouche la survie de son père, nul autre que vous n'a en revanche conscience du fond de ma pensée. Cathleen Black est un danger, peut-être plus que ces serpents de Gaunt. Elle est plus haut placée, plus subtile, plus réfléchie. Elya Black est cependant plus nuancée que l'est sa grand-mère, et une alliée telle que la jeune femme pourrait être un atout de taille. Lui donner l'opportunité de rencontrer un père qui ne peut l'approcher sans mettre sa vie en péril, loin du regard de lady Black, serait le premier pas vers une destination insoupçonnée. Peut-être, même, cela suffirait-il pour pousser père et fille à unir leurs forces contre le despotisme matriarcal. »
Son regard, braqué dans celui de son père, ne comportait plus de doute ni d'émotion compromettante. Il s'animait au contraire d'une lueur rare et le visage du jeune homme s'était fait plus mobile que lorsqu'il parlait habituellement à son père, assez pour que le cheminement de ses pensées se retranscrivent sur ses expressions.
« Nous avons eu de nombreux différends, ces derniers mois, mais j'ai songé que face à une nouvelle d'une telle importance, il était plus sage de mettre ceux-là de côté, pour le bien commun. Vous m'avez enseigné que notre nom comptait plus que le reste, et la nuit de la Concorde m'a fait prendre conscience que je veux agir pour la préservation de nos principes et nos valeurs. »
- Héritier rebelle
Que vois-tu…?
Messages : 814Date d'inscription : 21/06/2013
Age : 34
Habitat : Manoir Bower, Connaught
Parchemin Magique
Classe: Jeune Prodige
Branche: Haute-Magie
Spécialité(s): N/A
Re: Au nom de mon Père. par Sam 21 Juin - 16:35
Il devait bien reconnaître qu'Aïlin l'étonnait, cette fois-ci. C'était lorsqu'il s'était quasiment résigné à ne plus rien attendre de bon de son héritier que celui-ci se décidait d'user de son intellect d'une façon intéressante. Y avait-il un piège ? Devin ne pouvait s'empêcher de se poser la question. Aïlin était son sang. Lord Bower savait ce que l'on risquait à montrer son dos à sa propre engeance.
À moins que le jeune homme fut en train de devenir un homme, enfin. Il était temps que cela se produise. Que le Serdaigle s'endurcisse. C'était l'occasion ou jamais de faire de lui le fils qu'il attendait.
« Tu commencerais presque à m'intéresser… » susurra l'homme.
Contre toute attente, Aïlin avait retenu l'une des leçons les plus importantes que Devin avait dû lui donner. Pousser autrui à l'acte que l'on attendait était bien plus brillant et avisé que d'agir personnellement. Bien plus prudent également.
Devin attrapa de nouveau la bouteille de whiskey et s'approcha d'Aïlin pour remplir son verre. Son regard gris passa de celui-ci au visage d'Aïlin, qu'il observa quelques secondes avant de revenir à la desserte et y déposer l'alcool.
« C'est ce que je t'ai enseigné, en effet. Une leçon que doit aussi connaître ton Elya Black. L'esprit d'une femme est plus aisément corruptible cependant, il suffit de pousser son cœur à l'entraver. »
Un père surgi de nul part était une merveilleuse opportunité.
« Garde la tête froide, fils. Quant à tes désirs, je t'invite à les satisfaire dans cette maison du stupre où tu aimes te vautrer. Un pas de travers suffirait à ruiner cette belle alliance que tu me proposes. Si j'apprends que tu as couché avec elle, attends toi à ce que Black et Gaunt l'aient également su. J'ai toujours jugé qu'une erreur s'assumait par son seul responsable et celle-ci, dut-elle te coûter la vie, ne me ferait pas changer d'opinion. »
Un regard prononcé à l'adresse de l'alchimiste informa ce dernier de la parfaite sincérité de ses propos.
« Aussi, et puisque jusqu'à présent tu ne m'as en rien prouvé que je pouvais t'accorder ma confiance, tu resteras au manoir jusqu'à nouvel ordre. Si tu as quelques obligations liées à ton… passe-temps, tu les reporteras ou les exécuteras à domicile. Tu retourneras auprès de la jouvencelle lorsque j'aurai pris ma décision. Je t'interdis formellement le moindre contact avec elle entre-temps, même par lettre. Suis-je bien clair, Aïlin ? »
Après une nouvelle gorgée de whiskey, Devin appela Aodh. L'elfe de maison, une vieille créature crasseuse au regard torve, apparut dans un « plop » et s'inclina aussi bas que possible face à son maître, sans daigner afficher le même respect au fils. Son regard mielleux, en revanche, se souleva mollement jusqu'à l'héritier, avec crainte et défiance. Pendant ce temps là, la voix sans appel du lord répéta l'interdiction au serviteur et le chargea de la transmettre au restant des elfes. Lorsqu'Aodh transplana, le regard un brin narquois de Devin revint à Aïlin.
« Ne prends pas cela comme une punition, bien sûr… Imagine plutôt qu'il s'agit d'un principe de précaution. »
L'ambassadeur abandonna son verre à demi-plein sur la desserte et sortit sa baguette magique de la poche intérieure de sa cape. L'entretien était terminé. Il tourna le dos à son fils et, tout en le congédiant d'une main négligemment agitée, il annula les effets du sortilège de gel qu'il avait lancé sur le tableau surplombant la cheminée. Le regard courroucé de Toal Bower se baissa sur Devin, mais déjà, celui-ci n'y prêtait plus attention. Il s'achemina vers l'escalier de bois menant à la mezzanine et traversa cette dernière, pour s'enfoncer dans les profondeurs du manoir. Là, il alla trouver son bureau, dans lequel il s'isola. Passant près de l'échiquier, ses doigts s'emparèrent de la reine et, tout en s'asseyant, Devin leva face à ses yeux la pièce d'ébène. Cathleen Black était finalement loin d'être insubmersible.
- Haut-Sorcier
Que vois-tu…?
Messages : 55Date d'inscription : 04/06/2014
Parchemin Magique
Classe:
Branche:
Spécialité(s): N/A
|
|