Fly, far away, away from tears and sorrow. - Scotland, 1686 par Mar 7 Fév - 22:20
Portree in Scotland
March, the 25th of 1686
A Storm is coming.
La porte de la chaumière se ferma dans un bruit de bois sourd et le vent frappa comme une gifle le visage du jeune Bower, le forçant à plisser les yeux tandis que ses cheveux noirs de jais se plaquaient contre un côté de son visage. Le froid, glacial, d’un mois de mars à son crépuscule lui pénétra les os, et il jeta un regard en arrière, le cœur lourd. S’en était fini. La porte s’était fermée à jamais sur son amitié avec Elya Black. Aucune marche arrière n’était plus envisageable et elle était désormais hors d’atteinte, hors de sa vie.
Sa mâchoire se crispa et, d’une main tremblante de froid, il effleura, une dernière fois, la porte de sa maison, comme il aurait effleuré le visage de la Serdaigle. Puis, il se détourna en se blottissant dans sa lourde cape avant de faire apparaître dans sa main un sifflet subtilement orné, dans lequel il souffla.
Ses yeux scrutèrent le ciel noir, jusqu’à ce qu’un hennissement lui parvienne, étouffé dans le mugissement du vent. Une imposante tâche noire éteignit quelques étoiles, avant qu’un bruit sourd parvienne à ses oreilles en même temps que la vibration de la terre sous ses pieds. Dans un galop modéré, l’ethonan vint jusqu’à lui, ses imposantes ailes encore déployées autour de ses flancs. Aïlin s’approcha, fit apparaître selle et licol sur l’animal et, une fois qu’il eut serré les sangles et attaché son maigre paquetage sur son destrier, monta souplement sur le dos de celui-ci. Aussitôt qu’il l’éperonna et l’encouragea d’un cri, le cheval ailé partit au grand galop, jusqu’à ce que sa vitesse lui permette de bondir et s'envoler.
La nuit défilait mais les étoiles semblaient demeurer irrémédiablement fixes au-dessus de la tête d’Aïlin. L’Écosse. Portree. C’était tout ce que le jeune homme avait à l’esprit. Sa peine, ses regrets, tout cela semblait s’arracher de lui comme s’il ne suffisait pour cela que du hurlement du vent qui s’opposait à son vol. Et, dans ce noir abrutissant, cette obscurité qui ne cessait jamais malgré les ripostes de l’éclat lunaire, l’épuisement enveloppait le jeune homme, dont la poigne sur les rênes devenait de plus en plus lâche. Il luttait contre la nécessité de fermer les paupières, et malgré tous ses efforts, il ne parvenait plus à rester droit sur la selle de sa monture. Un hennissement, peut-être inquiet, lui parvint derrière le brouillard cotonneux d’un demi-sommeil et il prit une inspiration glacée qui ne le réveilla qu’à demi. L’océan approchait. S’endormir si près des côtes serait l’assurance de ne jamais s’en réveiller. Malgré l’alarme que cette inquiétude faisait sonner en lui, le sommeil continuait de le happer par à coups, au point d’engourdir chacun de ses membres d’une incommodante souffrance. La lourdeur de son corps, frôlant maintenant l’encolure de sa monture, semblait si proche de le faire chuter vers la terre qu’il s’efforça d’amener son destrier à une altitude plus basse. Usant de ses dernières forces, il s'harnacha d’un sortilège à la selle de l’ethonan et se laissa aller contre son encolure, enfouissant son visage rougi par le froid dans la crinière imposante du cheval ailé.
Un sursaut brutal réveilla Aïlin, qui s’appuya contre l’encolure du cheval pour se redresser. La nuit était si noire que lorsqu’il leva les yeux, le jeune homme ne s’étonna pas de ne voir aucune étoile. Le vent soufflait toujours, moins violemment à présent que l’ethonan s’était posé sur la terre ferme. Mais il était à présent chargé d’humidité, et la moiteur de l’air promettait un orage. Peut-être était-il encore en Irlande, peut-être n’y était-il plus. Il lui était très difficile de le savoir, car il ignorait tout bonnement combien de temps il avait pu rester endormi. Dans l’obscurité la plus complète, il était totalement désorienté, ne pouvant plus se fier qu’au pas tranquille de sa monture, qui avançait sans se presser.
L’alchimiste annula le sortilège qui le maintenait à sa selle, puis éclaira les alentours d’un lumos, avec l’espoir un peu maigre de reconnaître son environnement. Les arbres tordus par les mugissements persistants du zéphyr pouvaient aussi bien lui rappeler sa terre natale que l’Écosse. L’herbe courte et foisonnante, se dressait drue sur une terre plane où jaillissaient parfois quelques larges rochers et, derrière lui, il devinait à grand peine la limite brutale et acérée de la terre, qui chutait en vertigineuses falaises pour mourir dans l’océan Atlantique. Tout était calme, le monde semblait s’être éteint, plongé dans un noir opaque que la faible lumière de sa baguette ne parvenait pas à percer assez pour lui permettre de s’orienter. L’alchimiste ne pouvait qu’espérer être parvenu jusqu’aux Hébrides. Il choisit de miser sur l’intuition innée de sa monture pour maintenir le meilleur cap et posa sa baguette dans la paume de sa main pour murmurer un sortilège de boussole, qui lui indiqua aussitôt le nord. Se rappelant que Portree était à l’ouest des falaises sur lesquelles il était sensé avoir atterrit, il se dirigea donc vers le point cardinal au petit galop.
Portree n’était qu’à quelques lieues du point où Aïlin avait atterrit, mais la ville dormait si paisiblement qu’il dû se trouver à moins d’une lieue pour deviner enfin les premières habitations. Il se sentit aussi déboussolé qu’à son réveil lorsqu’il remarqua à quel point les ruelles étaient sombres, sans même une lueur de bougie surgissant de la fenêtre d’une auberge. L’époque n’était clairement plus à l’accueil, et même ici, dans la ville la plus tolérante du Royaume-Uni, on ne s’attendait plus à voir débarquer un voyageur aussi tardivement. Autre fait bien plus étonnant, on ne voyait dans les rues pas la moindre torche, on n’entendait pas le moindre frottement d’acier des armures des Gardiens patrouillant à la recherche de sorciers à prendre en flagrant délit. Non, contrairement aux villes et villages encerclant le manoir Bower, la nuit ici était simplement paisible. Si paisible que sorcier et monture sursautèrent en voyant filer tout à coup devant eux la silhouette chétive d’un chat noir. La baguette du jeune homme dévia vers les murs des habitations, et son regard fut attiré par l’enseigne qui s’éclaira sous la lueur de son lumos. Il s’agissait d’une auberge qu’avec une crispation de cœur, Aïlin reconnut comme celle qui l’avait hébergé, quelques mois plus tôt, avec Elya. L’alchimiste tira doucement sur les rênes de l’ethonan, qui s’arrêta devant la porte. L’auberge, comme tous les autres bâtiments, était plongée dans le noir, mais Aïlin n’avait d’autre choix que de tenter sa chance s’il ne voulait pas passer la nuit dehors. Une pluie fine mais froide commençait d’ailleurs à tomber tandis qu’il descendait de sa monture et la libérait de sa bride et de sa selle. D’une tape sur la croupe, il l’invita à prendre son envol.
« Tâche de ne pas te faire gober par un dragon… ! » murmura-t-il tandis que dans un claquement de sabots, l’ethonan quittait le sol.
Se tournant vers la porte de l’auberge, Aïlin frappa. La lourdeur de l’air l’inquiétait. Malgré la pluie fine qui se déversait déjà, l’alchimiste craignait de voir frapper l’orage. D’ailleurs, alors que son premier appel restait sans réponse, les nouveaux coups qu’il donna contre la porte furent étouffés par le grondement guttural des cieux. Alors qu’il allait frapper une troisième fois avec impatience, la porte s’ouvrit pour laisser apparaître une petite créature qu’Aïlin ne remarqua pas tout de suite. L’elfe de maison, ses gros yeux verts levés vers l’étranger, tritura son pagne à motifs écossais tout en s’aventurant à une courbette maladroite.
« Pardonne-moi auprès de ton maître de frapper si tard à sa porte, mais je viens de poser le pied sur l’île et je cherche un toit sous lequel passer la nuit, tenta Aïlin dans un gaélique écossais où se mêlait inconsciemment les intonations, les prononciations et les mots de l’irlandais. Je me souviens de l’accueil chaleureux que messire Muir m’a fait lors de ma dernière visite, et j’espérais qu’il m’accorde le gîte malgré l’heure indécente à laquelle je me présente. »
Une maigre grimace embarrassée crispa le visage de l’elfe, qui répondit :
« Une auberge digne de ce nom reçoit à toute heure du jour et de la nuit, milord… hélas, Finegal a le profond regret de vous annoncer que l’établissement est fermé depuis plusieurs jours… Le maître de Finegal est souffrant depuis l’attaque des Gardiens sur la ville… Finegal est tout seul pour tenir l’auberge, et les sorciers étrangers refusent de payer Finegal… Alors, Maître Muir a dû fermer. »
Aïlin contint un soupir tandis que l’elfe répétait ses excuses. Il était trop tard, et le jeune homme était bien trop épuisé pour partir en quête d’un autre abri. Alors, il sortit de son gousset une bourse de cuir et l’ouvrit pour y piocher trois gallions, qu’il tendit à l’elfe.
« Je comprends, mais j’ai les moyens de payer, et je suis honnête. Je pense que ces gallions combleront largement le déficit de ton Maître. Peu m’importe qu’il n’y ait plus à boire ou à manger. J’aimerais seulement une chambre propre et un feu de cheminée. »
L’elfe, éberlué, accueillit dans ses mains la somme faramineuse. Il hésita, partagé entre l’ordre explicite de son maître et sa logique puis, ayant conclut que l’ordre ne tiendrait plus en pareilles circonstances, s’écarta enfin pour laisser entrer le jeune Bower. À l’instant même où celui-ci posa le pied sur le pas de la porte, un éclair fendit le ciel dans un rugissement assourdissant. Un frisson parcourut l’échine de Bower, qui jeta un coup d’œil nerveux par-dessus son épaule. Le vent s’éleva si brutalement que Finegal manqua de s’envoler tandis qu’il posa sa main minuscule sur la porte pour la fermer. La créature claqua des doigts avant que ses pieds ne quittent le sol et la porte se ferma d’elle-même et se scella de sortilège anti intrusions. Ce n’étaient là que des charmes très basiques, mais savoir qu’ils existaient rassura Aïlin. S’il avait quitté son refuge sans se laisser le loisir de la réflexion, il n’oubliait pas pour autant quels dangers il courait, seul et sans escorte. Suivant l’elfe au travers la salle principale, il s’achemina vers l’escalier menant aux chambres d’hôtes.
« Est-ce que tu dors, petit ange ? »
Un gloussement cristallin ponctua l’appel de l’enfant, qui se retourna avec un sourire vers la source du rire. Bronach baissa un regard tendre et pétillant vers le garçon, puis leur regard bifurqua en même temps vers le berceau où dormait paisiblement un nouveau-né.
« Elle est si mignonne… Elle semble aussi fragile qu’un rayon de soleil en février… »
Un nouveau rire, aussi délicat que le premier, ponctua la remarque de l’aîné, et Bronach posa sa main sur l’épaule de celui-ci.
« Elle l’est pour l’instant, mais elle ne le sera pas toujours… Pourtant, il te faudra veiller sur elle. Il s’agit de ta petite sœur, Aïlin. Elle aura besoin de tout ton amour et de ta protection.
— Je la protègerai toujours ! » s’empressa de répondre le jeune garçon. Se penchant sur le berceau, il tendit la main vers le nourrisson, pour caresser avec une infinie délicatesse sa joue toute ronde. Il craignait de l’abîmer rien qu’en l’effleurant, tant elle était menue.
« Je ne serai jamais méchant, moi. Et puis, je ne laisserai ni Torin, ni personne te faire du tort. »
Le bébé ouvrit de grands yeux ronds, gris comme la pluie qui tombait paisiblement au-dehors. Un sourire rassurant naquit aussitôt sur les lèvres d’Aïlin, mais il perdit vite de son aplomb quand une grimace déforma le visage de la petite Lynn. Elle ouvrit sa bouche édentée, étonnamment grande pour un si petit être, et un cri proprement déchirant s’échappa de sa bouche. Paniqué, le garçon alla pour quérir l’intervention de sa mère mais, lorsqu’il se retourna, il était seul. L’obscurité baignait la pièce en grande partie, seulement éclairés par les lueurs froides et irrégulières des éclairs au-dehors. Un tremblement le secoua face à la démonstration de colère du ciel.
« Mère ? Mère ! »
Bronach ne répondit pas. Il savait, d’instinct, qu’il était complètement seul dans cette pièce. Le besoin, pressant, de retrouver sa mère guida ses pas vers la porte, qu’il ouvrit pour déboucher sur un couloir. Lynn avait besoin d’eux, mais il ne savait que faire de ce bébé si fragile, qui hurlait comme si la vie lui était devenue proprement insupportable.
Il marchait, à présent, quasi à l’aveugle dans le couloir, et les cris, de plus en plus effarants, paraissaient maintenant provenir de l’autre côté du manoir. L’obscurité était totale devant lui, mais un ricanement étouffé lui parvint de là, malgré les cris. Un rire enfantin et pourtant cruel, familier et si lointain.
« T…Torin ? »
Guidé par le mur à sa droite, Aïlin se mit à courir. Il eut à peine le temps de prendre de l’élan qu’il pila, interpelé par de la lumière s’échappant des interstices d’une double-porte. Bower la poussa, mais elle résista. Il poussa, encore et encore, cogna de l’épaule contre l’ébène, lequel resta inébranlable. Les hurlements de femme devinrent si affreux que la nécessité supplanta son hésitation. Prenant du recul, Aïlin courut vers la porte et, d’un coup brutal d’épaule, força le battant, qui s’ouvrit grand sur le salon du manoir.
Il ne vit que les yeux désespérés de sa sœur se braquer dans les siens tandis qu’un ricanement d’enfant s’élevait dans la pièce. Il savait ce qui allait se produire, et il hurla, mais en vain. Le sang coula sur la tempe de Lynn et, comme un pantin dont on rompait les fils, elle s’effondra. Alors, Kenneth le toisa, une lueur narquoise irradiant ses yeux cruels.
« Est-ce que tu dors ? »
Son rire se noya dans le rugissement du tonnerre et Aïlin se redressa dans son lit, luisant de sueur et haletant. La maigre lueur de la lune lui renvoya les meubles de sa pièces en ombres démesurées, tandis que la pluie battaient sans relâche le carreau de sa fenêtre.
C’était un cauchemar. Il était seul dans cette nuit sans fin.
« Seul et dans le noir. C'est toujours ainsi que l'on est. Seul et dans le noir. »
Aïlin rabattit les draps et se leva, poussé par un étrange instinct qui le força à se rapprocher de la seule lumière existante. Même en s’approchant, il ne distingua quasiment rien au travers le brouillard laissé par l’orage sur la vitre, mais il leva les yeux vers le cercle incertain de l’astre nocturne avant que celui-ci soit de nouveau recouvert par un nuage. Il tremblait, encore transi de l’effroi suscité par son cauchemar, mais, se rappelant les mots de son père, il se rappela en même temps que l’accalmie succédait toujours à l’orage. S’il avait subit celui-là, il ferait sienne la prochaine tempête. Pour son honneur, et en mémoire de sa sœur.
- Héritier rebelle
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Re: Fly, far away, away from tears and sorrow. - Scotland, 1686 par Lun 13 Fév - 0:12
Le peu de repos dont il avait profité l’avait quelque peu apaisé. Alors qu’il faisait ses ablutions puis se vêtait d’une simple robe de sorcier noire, il se sentait plus calme qu’il ne l’avait été ces derniers jours. Ce n’était pas de l’apathie pour autant. Son esprit semblait avoir profité de la nuit pour se recentrer sur l’instant présent, plutôt que sur les évènements passés, bien que ses rêves s’en trouvaient encore hantés. Peut-être aurait-il dû se trouver pressé par le temps et l’impérieuse nécessité de trouver Drew Black, mais il ne ressentait ce matin-là que l’envie de s’asseoir au bureau qui avait été aménagé dans la chambre d’auberge, et profiter des vélins laissés à sa disposition pour faire le bilan de sa situation. Il avait agi sur un coup de sang en claquant les portes du manoir, contrôlé par sa colère et sa souffrance. Mais, aussi vives étaient encore ces deux émotions, il ne pouvait continuer à agir inconsidérément. Les enjeux étaient trop élevés, et pas seulement pour lui.
Les faits qu’il couchait sur le papier n’étaient pas fameux. Aïlin n’avait pas été préparé à la visite d’Elya et, par un prodige réalisable de lui seul, il était parvenu à briser sa confiance en quelques mots. Il avait tourné le dos à son père, à son maître et à Cecilia. S’il avait permis à Elya de faire connaissance avec son père, les conséquences de cette rencontre avaient été dévastateurs pour elle et pour lui. Le peu de positif dans toute cette affaire avait été balayé par le souffle de la colère de Cathleen Black, un souffle mortel dont il avait réchappé, mais pas sa sœur.
Que lui restait-il, aujourd’hui ? Relevant la plume de son rouleau de parchemin, Aïlin tourna les yeux vers la fenêtre. Ce fut à peine s’il nota l’entrée de Finegal avec un plateau sur lequel reposait un copieux breakfast, tandis qu’il réalisait que sa première décision cohérente avait été de revenir ici, à Portree. Ici, où tout avait commencé. Si Cathleen apprenait la vérité, sûrement enverrait-elle ses sbires dans l’archipel, mais c’était un risque à prendre, si l’héritier Bower voulait éviter que toute cette souffrance n’ait été vaine.
Pourtant, l’instant d’après, une voix aigre s’éveilla en lui. Elya méritait-elle qu’il se donne tout ce mal ?Aussitôt que cette question effleura ses pensées, Aïlin se leva de sa chaise, aussi vivement que si un doxy l’avait piqué. Il passa ses mains dans ses cheveux sombres et se tourna vers le plateau, sans éprouver la moindre envie d’y toucher pour autant. La question ne méritait pas d’être posée. Elya n’avait été dans tout cela qu’un prétexte pour meurtrir l’égo de la plus éminente représentante des sang-pur au Conseil des Sorciers. Il avait voulut frapper, humilier, meurtrir ceux qui lui avaient volé, d’une simple dénomination, son rang et les honneurs qui lui étaient dû. Impur. Aussitôt que le mot se formula dans son esprit, une colère brûlante irradia son ventre.
Son aigreur, sa rancœur l’avait poussé à se comporter avec une cruauté qu’il ne se connaissait pas. Une cruauté si peu assumée qu’il avait choisi de la camoufler sous des prétextes poisseux de bonnes intentions. La vérité n’était pas celle qu’il avait donné, dans un premier temps, à Elya. La vérité était celle qu’il avait froidement lâchée à son père dans l’espoir de frapper fort les Sang-pur. Révéler leur visage, démontrer son audace, c’était cela qu’il avait voulu. Il avait profité de ses charmes et de la confiance qu’il semblait lui inspirer pour trahir une amie d’enfance, laquelle n’aurait certainement pas approuvé un seul instant ce qui se tramait dans l’esprit d’Aïlin à l’encontre de Lady Black. Il ne l’avait pas fait sans scrupule, mais il l’avait fait. Il n’avait pas espéré mettre en péril l’intégrité d’Elya, mais, une fois encore, il l’avait tout de même fait. Il n’était pas entièrement responsable, cependant. Il ne pouvait pas être en colère contre lui seul. Son père avait semé le chaos en une seule soirée, quand son fils s’était retrouvé trop loin pour l’apprendre et intervenir. Il savait, désormais, qu’il ne pouvait compter que sur lui-même. C’était une leçon chèrement acquise.
Il ne lui restait, désormais, que deux solutions. Il pouvait encore faire profil bas et laisser les Black régler leurs histoires sans plus faire de vagues. Retourner à sa vie d’alchimiste, s’enfermer dans l’imposante bibliothèque du manoir et laisser le monde à ses tribulations en acceptant d’être perçu comme vaincu par plus fort que lui. Accepter l’étiquette du lâche, du couard, de celui qui avait voulu se faire plus fort que la gorgone, mais qui n’avait pour seule motivation qu’un trop grand orgueil. Se résigner à être le sang-mêlé qui ne mériterait plus même qu’on s’acharne à tenter de mettre fin à ses jours. Après tout, la vérité sur ce qui s’était passé n’était connue que d’un cercle restreint, et les Black ne pourraient s’en vanter sans avoir à révéler une part de leurs secrets les plus méprisables. Quant à lui, il ne lui resterait qu’à se taire, ou mentir. À feindre l’ignorance, si d’aventure une personne extérieure, comme Crestian, venait à parler d’Elya et de son inquiétante disparition. Quels liens pourraient-on tisser afin de remonter jusqu’à la culpabilité de l’héritier Bower dans toute cette affaire ? Aucun. Cependant, il ne s’imaginait pas vivre avec le fardeau de son humiliation, il ne pouvait fouler aux pieds son propre honneur en choisissant de courber l’échine dans une ultime lâcheté. Sa sœur avait payé le prix de ses machinations. Devin ne la vengerait peut-être pas.
Restait la seconde option. Celle de faire face. Celle d’aller jusqu’au bout, de prouver, une bonne fois pour toutes, qu’on n’écrasait pas un Bower aussi facilement. Lequel de ses ancêtres aurait plié ? Lequel n’aurait pas démontré l'inextinguible instinct de survie de leur race ? Il n’était pas le premier à commettre l’erreur de s’attaquer à plus grand que soit sans s’y être suffisamment préparé, mais aucun de ses aïeuls n’avait reculé au milieu d’une bataille. Il y avait eu des histoires tragiques, des morts inutiles, des tensions si violentes qu’elles avaient menées à des dissensions extrêmes entre membres du même sang.
Au fil de leurs rencontres successives, et particulièrement ici, dans cette même auberge, à Portree, Aïlin avait redécouvert Elya Black. Il s’était mis à éprouver pour elle une tendresse sincère, ainsi qu’une admiration pour la force de son caractère et la sensibilité qu’elle cachait si subtilement derrière ses plus fiers atours. Le jeune homme réalisait à présent qu’il avait fait une terrible erreur en montrant un excès de sincérité car, le drame de toute cette histoire, c’était qu’il avait fini par désirer plus ardemment la voir s’émanciper des valeurs qui la tenaient prisonnière que de s’affirmer comme un adversaire qu’il ne fallait pas sous-estimer. La dimension humaine de leur aventure l’avait touché. Il avait vu en Drew Black des principes, une honnêteté et le remord d’un père ayant failli. Il l’avait apprécié, avait bu et ri avec lui. Il avait rassuré, encouragé, accompagné sa fille, avec l’espoir sincère de voir ses retrouvailles s’ensuivre d’un épilogue juste pour l’un comme pour l’autre. Elya désormais dans la nature, rien n’était totalement perdu.
Aïlin s’approcha de nouveau de son bureau et son regard se baissa vers un rouleau de parchemin vierge. Il pouvait encore expliquer tout cela, faire montre de repentance, avant qu’elle ait le temps de reprendre ses esprits et disparaître de nouveau pour lui. Ce pas en arrière que Bower avait fait devant elle lui avait fait perdre tout contrôle sur la jeune femme. Elle ne resterait pas indéfiniment immobile et esseulée, ce n’était pas dans son tempérament. Et, alors, ses tentatives pour ramener auprès d’elle le plus cher allié qu’elle puisse avoir seraient une entreprise encore plus folle et risquée qu’elle ne l’était déjà.
Lui écrire, cependant, était exclu. La colère d’Elya contre lui était juste et sa fierté ne lui permettrait pas de prêter crédit à ses excuses. Aïlin imaginait d’ailleurs sans mal Elya agir à l’opposé de tout ce qu’il pourrait lui proposer dans le seul dessein de lui refuser le pardon. S’il voulait agir, il n’avait qu’une seule opportunité, à condition d’agir vite. Quant à sa vengeance… Si cette entreprise se réalisait, s’il parvenait à sortir Drew de son immobilisme, il la tiendrait peut-être. À moins de briser les défenses du manoir Black pour tuer la matriarche, c’était le mieux qu’il puisse faire. Assassiner Cathleen Black n’avait hélas rien d’un projet viable.
Il restait, cependant, un dernier point qu’il n’avait pas abordé. Le visage du vampire lui revint à l’esprit et l’alchimiste s’assombrit. Pour l’heure, il ne pouvait rien contre l’assassin de sa sœur. Il n’en avait ni la force, ni les moyens. Il ne l’oubliait pas, cependant, et ne lui pardonnerait pas.
L’héritier Bower attrapa sa baguette posée sur le bureau et, d’un sort, réduisit en cendres les vélins qu’il avait maculé d’encre. Il savait ce qu’il avait à faire et réalisait que ce ne serait pas une mince affaire. Drew Black craignait sa mère. Il fallait espérer qu’il aimait plus sa fille qu’il n’avait peur de celle l’ayant condamné à l’exil. Prenant place à la table où l’elfe avait déposé son repas, Aïlin se décida enfin à prendre son petit-déjeuner. Il devait reprendre des forces car sans cela, sa volonté fraîchement recouvrée ne perdurerait pas. Or, il était plus que temps de cesser de s’apitoyer : il avait un sorcier à convaincre.
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Re: Fly, far away, away from tears and sorrow. - Scotland, 1686 par Mar 8 Aoû - 20:32
Il réapparut près du dispensaire avec une vive appréhension. Il lui aurait suffit de transplaner trop près d’un dragon qui se reposait là pour se mettre inutilement en péril, mais le sorcier avait tout de même pris le risque. Par chance, un grondement loin au-dessus de sa tête lui fit comprendre qu’il n’avait rien à craindre pour le moment. Au loin, un homme s’activait autour d’un Noir des Hébrides récalcitrant. Une autre appréhension supplanta la première : celle de se retrouver plus vite face à Drew qu’il ne l’avait présumé.
Le soigneur de dragon fit volteface au grondement sulfureux de sa bête. Celle-ci dardait un regard d’ocre terrifiant sur la silhouette qui s’avançait imprudemment vers eux. Sa gueule chargée d’épaisses écailles noires s’ouvrit sur des crocs aussi larges qu’une main d’homme… et aussi longs qu’un avant-bras. Drew s’interposa, opposant au dragon comme à l’intrus le plat de ses mains.
« Doucement, Blake ! Hé toi, personne ne t’a appris à te tenir hors de portée du crachat enflammé d’un drag… Bower ? »
Aïlin s’était figé, jetant alternativement des regards nerveux à la bête à écailles et au père d’Elya. Il ne savait vraiment qui il avait le plus envie d’affronter, quand bien même il avait plus de chances de s’en sortir avec l’un qu’avec l’autre. Le jeune alchimiste inclina la tête en signe de salut. Une ébauche de sourire surpris était née sur les lèvres de Black, mais la surprise passée, la venue du jeune lord lui faisait l’effet d’une menace.
« Bonjour, Messire Black. Pardonnez mon imprudence, la fatigue du voyage m’a fait oublier les bases de prudence les plus élémentaires.
- Elya est avec toi ?
- Non, je le regrette… »
Aïlin n’eut guère le temps de rouvrir la bouche. Tendu, Drew lui fit soudainement face. Derrière lui, le dragon se redressa en soufflant une épaisse fumée noire. Son grondement se répercuta en onde menaçante dans le ventre du Serdaigle.
« Où est-elle ?
- Il serait sage que nous parlions dans un endroit privé, loin des oreilles indiscrètes.
- Nous sommes déjà dans un tel endroit, rétorqua Black, ne cachant pas le soupçon qui montait en lui.
- Une place sécurisante pour vous et moi serait l’idéal. Les mois ont passé comme s’il s’agissait de siècles, et il y a bien des choses desquelles je dois vous entretenir. »
Drew ne réagissait pas.
« Tu as l’air d’un mort. …Elle sait, n’est-ce pas ?
- Je vous en prie, Sire Black, allons discuter dans un lieu approprié... »
La gorge d’Aïlin était nouée depuis qu’il avait vu dans les yeux de son allié d’un temps une peur qu’il n’aurait jamais cru trouver dans le coeur d’un homme de cet âge, lorsqu’elle était destinée à sa propre mère. Il étaient désormais assis l’un en face de l’autre dans le salon d’une modeste demeure typiquement écossaise, au toit de chaume capable de résister miraculeusement aux flammes des dragons fendant régulièrement le ciel de Portree. Rien dans cette maison ne laissait soupçonner qu’elle fut habitée par un Black. Ni blason, ni symbole, ni devise. Aucune mention à la prestigieuse lignée de cet homme ne venait rappeler au visiteur quel nom portait le propriétaire des lieux. Ici, l’ancien lord n’était personne d’autre que Drew. Il n’était personne d’autre que lui même. Tandis qu’Aïlin recevait une pinte de bière fraîche, il envia quelques instants le sort du sorcier. Il était peut-être exilé, mais, défait de son héritage et de ses devoirs, il n’avait plus à prétendre à être qui que ce soit d’autre que lui-même. Mais alors qu’Aïlin se disait cela, le regard terrifié par la seule idée de la revanche d’une mère perça encore à travers l’attitude neutre que Drew voulait se donner. Drew n’était pas libre. Il ne l’avait jamais été. Il vivait passivement sa punition depuis des décennies pour sauvegarder sa propre vie. Quel homme cela signifiait-il être ? Et si Drew Black n’était tout simplement plus personne ? Elya serait alors seule. Plus qu’elle ne l’avait jamais été. Cependant, Aïlin ne laisserait pas son dernier espoir mourir pour un seul regard.
« Elle sait, asséna Black, funestement.
- Que savez-vous des dernières semaines, Lord Black ?
- Je t’ai dis de ne jamais m’appeler comme ça… s’énerva-t-il, avant de soupirer : Rien. Depuis aussi longtemps que ce titre ronflant que tu me prêtes ne me revient plus, je ne m’intéresse plus aux intrigues de l’Angleterre ou de l’Irlande. Tu le sais déjà.
- Ainsi, votre rencontre avec Elya n’a-t-elle rien changé ? Demanda Aïlin avec une pointe d’incrédulité.
- En vérité, je craignais plus encore de m’intéresser aux évènements du monde depuis que j’ai rencontré son visage. Savoir qu’elle macère dans ces intrigues nauséabondes me donne la nausée… Mais tu m’interroges au lieu de m’expliquer ce qui t’amène ici. Si la vie de ma fille est en danger, je trouve ton manège plus que déplacé. »
L’était-elle ? Elya avait pris la fuite. Cathleen ferait tout pour remettre la main sur elle, quoi qu’il arrive. Cependant, elle ne pouvait pas la mettre à mort sans faire éclater le scandale.
« Non, la vie de votre fille n’est pas directement en danger. Mais Cathleen sait que nous nous sommes enfui, elle et moi. Elle ne connaît pas la véritable raison, et je suppose qu’Elya lui a laissé croire qu’il s’agissait d’une folie de jeunes gens amoureux. C’était en tout cas la réponse la plus sûre pour assurer votre protection, et connaissant Elya comme je la connais, elle aura tout fait pour protéger son secret. Et vous protéger. Je crois, Messire Black, que c’est à votre tour de lui rendre la pareille. »
Drew s’enfonça dans son siège. Il était terriblement pâle et avait les mâchoires serrées. Malgré le nœud dans sa gorge, Aïlin s’octroya une pause bienvenue, lors de laquelle il but une longue gorgée de bière en réfléchissant à la façon dont lui raconter les évènements.
« Je croyais que vous aviez été d’une prudence exemplaire… Tu m’avais assuré qu’elle ne courait pas le moindre risque.
- Vous me tenez responsable, et vous avez raison. » murmura Aïlin après un instant d’hésitation. Son pouls s’était accéléré, et il évita le regard de son interlocuteur lorsqu’il admit : « J’ai commis une terrible erreur. J’ai placé ma confiance en la dernière personne en qui j’aurais dû croire. Cette personne m’a trahie, mais ne me regardez pas ainsi, Drew. Si vous avez soudainement envie de me trancher la gorge, sachez que cela me soulagerait davantage que cela me punirait. Cathleen a mis ma tête à prix, et faute d’être parvenue à sa fin une première fois, c’est ma sœur qui a payé le prix de mon audace. Elle est morte. »
D’un geste sec, Aïlin arracha le foulard qu’il portait au cou, révélant l’épaisse cicatrice encore bleuâtre et vaguement gonflée. « Cette nuit où l’allié vampire de votre mère m’a attaqué, j’ai survécu, et cela tient du miracle. Je donnerais mon âme pour revenir en arrière et sacrifier ce miracle à ma sœur plutôt qu’il me profite. »
Black passa ses mains sur son visage, submergé par le trop plein d’informations.
« Attends… attends… Cathleen ne s’allierait jamais à des vampires… ? Par Morgane, qu’est-ce que l’Angleterre est en train de devenir ?! Je suis navré, Aïlin, sincèrement navré pour ta sœur. Mais j’ai besoin de savoir : qu’est-ce qu’est devenue Elya dans tout ça ? Pour quelle raison es-tu venu me voir ? Qu’est-ce que tu attends de moi ? »
L’empressement de Drew Black, paradoxalement, calmait Bower. Il perdait son sang-froid, et la vivacité de son inquiétude le faisait aller droit au but. Le jeune homme avait peut-être une chance de s’en sortir sans se voir attribuer le pire rôle de toute cette histoire.
« Je ne sais pas ce que Ladyship Black a fait à votre fille, Drew. M’est avis qu’elle l’a longuement affamée et torturée, avant que le sort funeste de ma sœur ne la pousse à prendre la fuite pour préserver ce qui lui restait d’intégrité. C’est en tout cas ce qui me fut permis de croire lorsque j’eus enfin l’opportunité de la voir, il y a de cela quelques jours. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même, et elle est en fuite. Elle a besoin de vous, Messire Black. Elya a besoin de son père. »
Des larmes perlaient au bord des yeux du père. Jamais Bower n’aurait cru cet homme aussi facilement submergé, mais il ne semblait plus lui-même depuis la mention à Cathleen, et ce que venait de lui dire Aïlin avait fini de le désemparer. C’était le but, et quand bien même cela lui fendait le coeur, Bower s’en félicitait. Il était là pour convaincre Drew. Il était là pour le sortir de son immobilisme, le forcer à se lever enfin et venir au secours de sa fille. Mais, alors que Drew secouait vivement la tête, refusant d’abord de croire en les propos du jeune homme, il le vit se lever pour mieux se reculer.
« Non… Non, elle n’a pas pu faire ça… Pourquoi des vampires ? Je crois plutôt qu’il s’agit de l’oeuvre de quelqu’un d’autre, Cathleen ne s’allierait jamais avec eux, ce sont des monstres à ses yeux !
- Les ennemis de mes ennemis sont mes amis… soupira Aïlin.
- Quand bien même… Je ne comprends pas, Aïlin, pourquoi es-tu ici et pas elle ? Si elle a besoin de mon aide, pourquoi n’êtes-vous pas venus me trouver tous deux ? »
L’alchimiste aurait aimé que Black élude ce genre de question, mais il devait bien reconnaître qu’elle était pertinente. Et fortement embarrassante.
« Trop dangereux, répliqua précipitamment Aïlin. Elle est en sécurité dans un endroit gardé par un sortilège de fidelitas. Prendre le risque de voyager jusqu’ici alors qu’elle est activement recherchée, tout comme je le suis, serait de la folie. Mais votre fille n’est pas faite pour demeurer enfermée, messire, et elle n’a pas quitté une cage pour en trouver une autre. Elle ne tardera pas à s’aventurer au-dehors en dépit de la raison et lorsque Cathleen l’attrapera de nouveau, elle ne la relâchera plus jamais. Si j’étais Cathleen, croyez-moi, c’est ce que je ferai. Et je lui attribuerai pour cela le pire des geôliers afin d’être certain, et bien certain, que la seule idée de la fuite devienne une folie comparable au suicide. Il faut que vous la retrouviez là-bas, je vous en conjure. Aidez-la. »
L’étonnement frappa le visage de Drew lorsqu’il entendit le ton suppliant de l’héritier Bower et l’imploration adoucir les traits naturellement austères de son visage pourtant juvénile.
- Tu parles pour me convaincre, Aïlin, et tu me convaincs que tu l’as perdue. »
Drew posa le plat de ses mains sur la table, dardant un regard noir et scrutateur dans les yeux surpris de son vis-à-vis.
« Tu ne me dis pas toute la vérité. Tu es au courant de toutes les machinations que se trament et tu es en bien meilleure position que moi pour venir en aide à Elya, pour vous soutenir mutuellement. Alors pourquoi me supplies-tu de la rejoindre dans une planque obscure alors que je n’ai aucune arme en main pour la protéger ?
- Vous en avez au moins une, Black, rétorqua Aïlin d’une voix presque tremblante. Cathleen ignore qu’Elya vous sait en vie. Ce n’est plus à moi d’être son soutien, mais à vous de l’être. C’est la raison pour laquelle j’ai pris le risque de l’amener jusqu’à vous, une raison que j’ai déjà payé bien chèrement. Vous êtes son père, c’est à vous de lui offrir la protection, c’est à la famille d’être le socle d’un soutien mutuel. Vous en avez aujourd’hui l’opportunité, ne la laissez pas passer.
- Cathleen nous tuera tous les deux. Toi et moi. Et Elya finira dans les mains d’un immonde consanguin comme tu le suggérais à l’instant. C’est le seul avenir que je prédis si j’ose remettre un pied en Angleterre.
- Vous pouvez en être sûr, Drew, c’est son destin, avec ou sans vous. A vous de voir si vous estimez que son bonheur a assez de prix à vos yeux pour risquer de le payer de votre vie. Vous pouvez renverser Cathleen, vous pouvez reprendre ce qui vous est dû. Vous pouvez changer le cours de plus d’un destin si vous osez affronter la peur que vous avez de votre mère. »
Soudain, Drew sembla prêt à se mettre à hurler. Son poing frappa la table sourdement, faisant sursauter les deux pintes sur la table. Aïlin demeura stoïque, car il savait quel point sensible il venait de chatouiller et quel était le risque.
« Tu sais ce que je pense, Aïlin ? »
L’homme avait aussi vite recouvré son sang-froid et s’était redressé. Il portait, soudain, une dignité et une superbe, malgré ses habits grossiers, qu’Aïlin ne lui avait encore jamais vu. Par instinct, ce dernier se leva à son tour, ayant l’intuition soudaine de s’adresser à lord Black, celui qui fut, et que Drew croyait mort. Il y vit un peu d’Elya, en particulier dans l’étincelle dans ses prunelles, et le relevé de menton. Son charisme aurait pu en écraser plus d’un, s’il l’avait voulu.
« Je pense que nous n’avons toujours pas eu de conversation d’égal à égal depuis que tu as posé ton cul de pourceau sur cette maudite chaise ! »
L’insulte choqua tellement Aïlin qu’il resta passif, éberlué, tandis que Black contournait la table pour lui faire face.
« Tu as les moyens de défendre Elya ! N’était-ce pas le plan ? N’est-ce pas ce pourquoi tu as été trouver le soutien de ton père ? Celui-là même qui a une armée à disposition, si seulement il le souhaite ? Ne me prends pas pour une bleusaille, Bower, tu essaies de me piquer depuis tes premiers mots afin que j’agisse sans poser de question. Mais n’oublies pas que tu parles à un Black ! »
Si Aïlin n’était pas présentement menacé par la baguette de son interlocuteur, il aurait souri. Enfin, il le disait. Cela signifiait-il pour autant qu’il remettait un pied dans la famille ? Plutôt que de s’en réjouir, le jeune homme recula plutôt d’un pas afin d’assurer ses arrières, et ne pas défier davantage cet homme dont il espérait obtenir enfin la coopération.
« Que s’est-il passé, entre Elya et toi ? Quel mal lui as-tu fais que tu cherches désespérément à réparer ? »
Le choix des mots était si clairvoyant qu’Aïlin fut pris de court. L’accusation fit rosir ses joues pâles.
« J’ai eu l’audace de vouloir changer le cours des choses. Mais à vous voir vous en prendre à moi plutôt que de voler au secours de votre fille me laisse croire qu’il vaut mieux fauter en agissant que fauter de n’avoir rien fait. »
Une détonation puissante propulsa Aïlin en arrière. Avant qu’il réalise que ses pieds avaient quitté le sol, son dos heurta avec une violence inouïe le mur de pierre. Le choc fit trembler la porte d’entrée tandis qu’il poussait un cri de douleur. Bower rouvrit les yeux pour voir Drew s’approcher, furieux. Le jeune homme tâtonna pour s’emparer de sa baguette magique, mais à peine eut-il mis la main dessus que la botte de Black lui écrasa le poignet.
« Je n’ai pas les moyens de ma mère pour te faire souffrir, mais je ne te laisserai pas venir ici sous mon toit pour me donner des leçons, Bower ! Pour l’heure, la duplicité que je te soupçonne ne te laisse même plus l’avantage de la reconnaissance que j’ai jusqu’alors éprouvé envers toi. Sois un peu honnête. Dis-moi ce que tu me caches, par Merlin ! »
Tel un chat coupé de toutes perspectives de retraite, Bower retourna un regard furibond à Black.
« Je lui ai dis, à elle, la vérité. Et c’est tout ce qui importe. Que vous importe-t-elle à vous alors que vous m’attaquez moi plutôt que de retourner vos crocs de limier vers celle qui mérite le mieux votre haine ? Mais si vous tenez à la savoir, la vérité, c’est que je voulais briser cette femme qui règne en tortionnaire sur le beau monde, et par la faute de qui je ne fais figure que de bâtard. Je refuse de porter cette insulte pour une mère née moldue tout au long de ma vie, et voir ses valeurs rétrogrades gangréner notre monde comme la religion gangrène l’autre. L’aveuglement de ma haine m’a fait voir en l’opportunité de vous aider, celle aussi de faire tomber la reine. » cracha-t-il, fixant droit dans les yeux Drew. « Je le lui ai dis, car je m’en repens ! Je ne voulais pas ce qui s’est passé, et je ne voulais pas qu’elle se pense coupable de la mort de ma sœur alors que je suis celui qui a amorcé ce jeu dangereux. Et je ne pouvais pas lui laisser croire qu’elle pouvait me confier aveuglément sa vie alors que je l’ai manipulé malgré moi. Car, à ce moment, je croyais bien faire, je croyais l’aimer. Mais je ne l’aime pas. »
S’il s’était rendu compte des larmes débordant soudain de ses yeux, il n’aurait pas compris pourquoi cette affirmation qu’il venait de cracher lui tirait une telle émotion. Sa colère faisait battre son coeur, et ne se tarit pas lorsque Drew retira son pied de son poignet pour se reculer avec une moue de dégoût.
« Et tu viens me supplier de finir le travail… De reprendre un titre dont je ne veux plus depuis belles lurettes, pourquoi ? Pour sauver ta tête ? J’imaginais que tu avais de la droiture et de la moralité, mais ce que je vois en toi me dégoûte. Tu es malsain, Bower. Avec ce que tu viens de me dire, crois-bien que je la mettrai volontiers à prix moi aussi !
- Peu importe. Nous sommes nés pour être ennemis, votre famille et moi, et j’aurais dû m’en tenir à ce tenant de l’histoire. Mais si je n’aime pas Elya comme un amant, je l’aime comme l’ami que je n’ai pas su être. Quoi qu’il arrive, ce n’est qu’une question de temps avant que Cathleen ne vienne chercher par ici, et si Elya est venue vous trouver d’elle-même avant, vous aurez perdu l’avantage que vous avez sur elle. Ma famille n’a pas la réputation d’être fleur bleue, il lui suffira d’un rien pour entrevoir la vérité. »
Aïlin tenta de se relever, mais Drew, raffermissant sa poigne sur sa baguette, lui ordonna :
« Reste au sol ! »
Les yeux relevés vers Drew et Drew le menton baissé vers lui, aucun d’eux ne cilla. Doucement, Black abaissa finalement sa baguette.
« C’est la seule place que tu mérites. »
Levant sa main libre, il fit apparaître d’un claquement de doigts une lourde cape de voyage, qu’il posa sur son épaule. Puis, dépassant le jeune homme encore à terre, il s’arrêta seulement sur le pas de la porte pour retourner un regard menaçant à Aïlin :
« Ne t’approches plus jamais de ma fille. Plus jamais. »
Aïlin bondit sur ses jambes aussi vite que son dos meurtri le lui permettait.
« Vous fuyez ?
- C’est la seule option, grâce à tes prouesses. Regarde ce que tu as déjà fait. Le monde brûlera avant que Cathleen ne tombe.
- Vous ne pouvez pas abandonner Elya !
- J’aime Elya. J’aime mes filles, et pour leur bien-être, il est plus que temps de cesser de défier la Gorgonne qui leur sert de gardienne. Ne me donne pas de leçon, je te le dis ! Tu l’avais abandonné avant même de lui avoir donné la main ! »
Drew faisait de nouveau face à Aïlin, sa baguette lançant des éclairs dans sa direction, mais l’alchimiste s’était cette fois-ci préparé. Il brandissait la sienne aussi, également prêt à sceller la porte d’un sort s’il fallait ça pour le retenir.
« Mais je ne suis pas son père ! Je n’étais pas même son ami alors ! » s’exclama-t-il. « Je ne connaissais d’Elya que la jeune fille qu’elle fut à Poudlard, une camarade de Maison certes remarquable mais une enfant tout de même ! Je savais ne jamais pouvoir prétendre à rien. Je n’aurais jamais eu le droit d’être son allié, et je n’en aurai plus jamais l’espoir… Mais elle est votre fille, et vous l’aimez. Je l’ai vu dans vos yeux ! Ne faites pas le choix d’être ce père si médiocre qu’il préfère sacrifier sa fille plutôt que de prendre le risque de perdre… de perdre quoi, d’ailleurs ? Vous n’avez plus rien. »
Le sort fusa, mais le jeune homme était prêt. Aussitôt, un bouclier magique sortit de sa baguette et absorba le maléfice.
« Vous n’êtes plus personne ! Admettez-le !
- Et toi, Aïlin ? Regarde-toi ! Quel genre d’homme es-tu ?! »
La question faisait mal, quand bien même l’alchimiste savait l’avoir méritée plus qu’amplement. Une réponse lui vint, pourtant, avant même qu’il n’y réfléchisse.
« Celui qui ose admettre sa faute, aussi affreuse soit-elle, au risque de ne gagner qu’un ennemi mortel de plus quand il en a déjà assez battant activement les campagnes pour obtenir sa tête. Non pas pour se racheter, mais pour qu’Elya puisse avoir ne serait-ce qu’une infime chance d’obtenir une fin heureuse. Et elle ne peut l’avoir qu’avec ceci. »
Aïlin, qui avait glissé sa main libre sous le revers de sa cape, tira un morceau de parchemin, qui s’envola en douceur pour se poser sur la table à laquelle il était assis, il y avait une éternité de cela, lui semblait-il. Son air suppliant ne contenait plus sa colère de tout à l’heure, de même que le visage de Drew reflétait sa circonspection.
« Rappelez-vous ce que vous m’avez dit lorsque nous nous sommes rencontré pour la première fois. Je n’aurais jamais pris de tels risques personnels si j’avais imaginé que votre volonté flancherait si facilement.
- Va-t-en, ordonna Black, le regard rivé sur le morceau de vélin.
- Drew…
- Dégage, Bower ! Ne me force pas à te jeter dehors par moi-même. »
Quand Black ouvrit la porte pour lui permettre de s’en aller, Aïlin sut qu’il venait de gagner un nouvel ennemi, ou, tout du moins, de perdre définitivement l’espoir d’être un jour son ami. Silencieux, le jeune homme s’avança et baissa la tête lorsqu’il parvint à la hauteur de Drew, pour passer le pas de la porte. L’épuisement moral n’était cependant pas la seule raison du choix qu’il venait de faire en s’octroyant, une fois de plus, le mauvais rôle. Il était nécessaire que Drew ne n’imagine pas un instant qu’Aïlin puisse être de nouveau, et d’une quelconque façon, un soutien pour Elya, car alors, peut-être serait-il resté paralysé par sa peur de la terrible Cathleen. Une part de lui l’excusait, l’autre l’en blâmait. Cependant, quand la porte claqua derrière-lui et qu’Aïlin prit le chemin vers l’auberge, il tâcha d’étouffer cette rancœur naissante. Il avait fait le maximum et, désormais, il ne tenait qu’à Drew d’inverser le cours des évènements.
- Héritier rebelle
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Messages : 814Date d'inscription : 21/06/2013
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